La France ne se classe que 32ème dans le classement Reporters sans frontières pour la liberté d’expression. Force est de constater que le pays connaît de plus en plus de restrictions en la matière.
Par Alexandre Massaux pour www.contrepoints.org/
La dynamique étatique inquiétante contre la liberté d’expression en France
La France se targue d’être le pays des droits de l’Homme. Or l’un de ces droits les plus précieux est la liberté d’expression. Pour autant, la France ne se classe que 32ème dans le classement Reporters sans frontières. Car force est de constater que le pays connaît de plus en plus de restrictions en la matière.
Une liberté de la presse sous pression
La loi « anti-fake news », votée fin 2018, en période électorale, est critiquée par RSF qui voit dans le système de référé judicaire « un outil difficile à mettre en place et contre-productif ». En effet, cette loi attribue au juge un rôle de vérification de contenu qui n’est pas le sien et qui risque de lui donner un rôle politique. De plus, cette loi renforce le pouvoir du CSA « à l’encontre des médias contrôlés par un État étranger ou placés sous l’influence de cet État ».
Si cette disposition a été créée avec en tête la lutte contre les médias russes comme Russia Today et Sputnik News, elle peut donner lieu à des abus contre d’autres médias. Le directeur du journal Le Monde, Jérôme Fenoglio, critiquant les propositions de loi, indiquait très justement que : « La confiance, tout autant entre les journalistes et leurs lecteurs qu’entre les élus et leurs électeurs, se bâtit sur le temps long, sur chaque article et sur chaque jour de mandat. »
Les lois anti-fake news sont rares dans le monde. Actuellement, seuls quatre pays sont dotés d’un tel dispositif judiciaire : la France, l’Allemagne mais aussi la Russieet le Kenya. L’ironie étant que les deux premiers ont voté ces lois pour faire face à Moscou mais que le gouvernement et la Douma russe se sont inspirés des lois française et allemande pour faire ses propres lois.
Les mesures limitant la liberté d’expression : des outils renforçant paradoxalement les extrémistes
Outre la liberté de la presse, c’est la liberté d’expression des citoyens qui connaît des limites très diverses du fait de la loi. Depuis la loi du 29 juillet 1881 l’injure (article 29 alinéa 2) mais aussi l’incitation à la haine sont condamnées. Ce sont sur ces motifs que des demandes ont été faites à l’encontre de personnes tenant des propos extrémistes comme récemment Nick Conrad.
À cela s’ajoute l’action des autorités en matière de maintien de l’ordre public, qui n’est pas nouvelle, comme le montrait déjà en 2009 le cas d’Orelsan empêché de se produire à un festival sur demande de Ségolène Royal, alors présidente de la région Poitou-Charentes, ou celui de Dieudonné interdit de salles du fait d’une circulaire du ministre de l’Intérieur Manuel Valls.
Si la lutte contre l’extrémisme est en soi une noble cause, l’utilisation des pouvoirs publics pour censurer les discours et paroles des extrêmes est contre-productive. Dans les trois cas cités, la volonté de censure a abouti à un effet Streisand donnant de l’importance aux personnes censurées qui se sont alors posées en martyr. Cela n’a pas réduit leurs publics et l’a même parfois renforcé comme dans le cas de Dieudonné.
En effet, il est possible de contrôler l’expression mais pas l’opinion en elle-même restée présente dans l’esprit des personnes concernées et de leurs partisans et qui risque de devenir de plus en plus extrémiste. En outre, s’attaquer via la censure à des personnes qui se disent « anti-système » les confortent dans leur rhétorique.
Conformément aux idées de John Stuart Mill, la liberté d’expression est nécessaire pour assurer l’émergence de la vérité :
« Mais ce qu’il y a de particulièrement néfaste à imposer silence à l’expression d’une opinion, c’est que cela revient à voler l’humanité : tant la postérité que la génération présente, les détracteurs de cette opinion davantage encore que ses détenteurs. Si l’opinion est juste, on les prive de l’occasion d’échanger l’erreur pour la vérité ; si elle est fausse, ils perdent un bénéfice presque aussi considérable : une perception plus claire et une impression plus vive de la vérité que produit sa confrontation avec l’erreur. »
Le premier amendement de la constitution américaine qui interdit au Congrès de restreindre ce droit est une application de cette philosophie et vise à limiter les cas de censure. En effet, en intervenant dans la liberté d’expression à travers des moyens légaux on réduit et supprime le dialogue et radicalise les positions.
Une liberté d’expression de plus en plus encadrée sur le net
À cela s’ajoute une tendance de plus en plus forte du contrôle de la liberté d’expression sur le net et les réseaux sociaux. Les statistiques de Facebook et de Twitter montrent clairement une propension de la France à demander la suppression de contenus jugés non conformes à la loi.
En 2018, ce sont 667 suppressions de contenus Facebook et 243 réclamations twitter qui ont été faites par la France. À titre de comparaison, les Pays-Bas sont à 193 contenus Facebook et 6 réclamations sur twitter et la Pologne, pourtant connue pour ses dérives autoritaires est à 26 contenus Facebook et 6 sur twitter.
Il y a donc une dynamique de contrôle de l’activité sur les réseaux peu commune en Occident, qui couplée à la loi anti-fake news, renforce la responsabilité des plateformes numériques et le risque de leur auto-censure afin de se prémunir des sanctions potentielles.
Là encore les retombées sur la liberté d’expression en général seront néfastes. On peut déjà l’observer aux États-Unis où, sans contraintes légales, une plateforme comme Facebook supprime déjà un grand nombre de contenus politiques non limités aux publications des extrêmes. Si un cadre légal contraignant s’ajoute à cette politique interne du réseau social, il faut s’attendre à une amplification du phénomène.
Le point commun de toutes ces atteintes à la liberté d’expression est de lutter contre les extrémistes et les dérives. Néanmoins, ces limites de la liberté d’expression sont des portes ouvertes à une censure contre un plus grand nombre de personnes. De plus, censurer les propos offensants à travers la puissance publique peut se retourner contre le censeur si son adversaire arrive au pouvoir.
Toute personne peut être considérée comme un extrémiste par une autre personne ou un groupe ayant des idées différentes. L’humouriste anglais Rowan Atkinson (alias MrBean) qui a fait campagne pour la liberté d’expression, le résume bien :
« Le problème évident de l’interdiction des insultes est que trop de choses peuvent être interprétées comme telles. La critique est facilement interprétée comme une insulte. Le ridicule est facilement interprété comme une insulte. »
Une haine croissante contre les journalistes
RSF: L’année 2018 a vu le nombre des attaques et des pressions contre les médias d’information et contre les journalistes croître dangereusement. Insultés, menacés, agressés, voire blessés par des manifestants ou par les balles de défense des forces de l’ordre, des journalistes ont été confrontés pendant le mouvement des Gilets jaunes en novembre 2018 à un niveau de violence inédit en France. Mécontents de la couverture du mouvement, certains groupes de Gilets jaunes ont cherché à bloquer des imprimeries pour empêcher la distribution de médias.
Adoptée en juin 2018, la loi sur le secret des affaires a prévu une exception journalistique. Néanmoins, dans l’enquête des « Implants files », des journalistes se sont vus refuser l’accès à des documents. Le groupe Bolloré a multiplié les procédures judiciaires abusives, dites « procédures bâillons » – quitte à les abandonner en cours de route – et en a fait une mesure de rétorsion automatique contre les journalistes d’investigation dès lors qu’étaient évoquées publiquement certaines de ses activités.
Si la critique des médias est toujours légitime, elle a parfois été supplantée par la mise en cause haineuse du travail des médias d’information (mediabashing) de la part de personnalités politiques. En témoignent les propos irresponsables tenus à plusieurs reprises par le leader de la France insoumise à l’égard des journalistes. En France aussi, les journalistes n’échappent pas au harcèlement en ligne et deviennent une cible privilégiée des trolls en tout genre dissimulés derrière leurs écrans et leurs pseudos.
Pour lutter contre la désinformation massive et délibérée en période électorale, le gouvernement a fait voter une loi sur les « manipulations de l’information ». Certains mécanismes comme le référé judiciaire ont été largement critiqués car extrêmement difficiles à mettre en pratique, et le cas échéant contre-productifs.32au Classement mondial de la liberté de la presse 2019.
RSF tirait déjà l’alarme dans cet article du 4 mai 2016
France : RSF condamne les violences policières contre les journalistes en marge des manifestations – Voir article : https://rsf.org/fr/actualites/france-rsf-condamne-les-violences-policieres-contre-les-journalistes-en-marge-des-manifestations
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