Affaire Epstein : la communauté scientifique éclaboussée à son tour

Le milliardaire a multiplié les dons et les amitiés auprès de chercheurs et de sommités scientifiques. Certains font aujourd’hui leur mea culpa.

Jeffrey Epstein avait beaucoup d’amis célèbres, Bill Clinton, le prince Edward, des grands patrons… Mais il fréquentait également tout un cercle de scientifiques et de Prix Nobel, dont Joichi Ito, le directeur du Media Lab, un laboratoire de recherche du MIT. Le financier, accusé d’abus sur mineures et qui s’est suicidé en prison, a fait des dons au Media Lab et a investi dans deux fonds de capital-risque créés par Joichi Ito. Lequel n’a pas été le seul bénéficiaire des largesses d’Epstein. Par le biais de ses fondations caritatives, le milliardaire a donné au MIT environ 800 000 dollars sur une vingtaine d’années. Et selon des documents judiciaires publiés récemment, une femme a témoigné que lorsqu’elle était adolescente, on l’avait envoyé sur l’île privée d’Epstein où elle avait eu des relations sexuelles avec Marvin Minsky, un ponte de l’intelligence artificielle fondateur de Media Lab, décédé aujourd’hui.

Plusieurs chercheurs de renom viennent de présenter leurs excuses pour avoir eu des contacts ou reçu de l’argent de l’ancien « golden-boy » accusé de trafic sexuel. Un scientifique du MIT a annoncé sa démission en signe de protestation contre l’un de ses collègues.

« Ma logique est simple : le travail de mon groupe touche à la justice sociale et à la prise en compte d’individus et de points de vue marginalisés. C’est difficile de faire ça sérieusement dans un endroit qui a enfreint ses propres règles de façon aussi flagrante en travaillant avec Epstein et en ayant dissimulé cette relation », a écrit Ethan Zuckerman sur Medium.

Dans ce message publié mardi 20 aout sur le forum Medium et amendé mercredi, Ethan Zuckerman, directeur du MIT Center for Civic Media, a annoncé que même s’il n’avait jamais eu aucun lien direct avec M. Epstein, il quitterait l’institution à l’issue de l’année scolaire 2019-2020.

Le scientifique proteste contre son collègue Joichi Ito. Le 15 août, le directeur du centre de recherche Media Lab du MIT s’est excusé dans une lettre ouverte pour ses liens avec Epstein. Joichi Ito a notamment reconnu s’être rendu dans des résidences que possédait le multimillionnaire, et avoir accepté son aide financière pour… Media Lab.


Ethan Zuckerman est directeur du MIT Center for Civic Media.
PHOTO WIKIPÉDIA

Ethan Zuckerman, le directeur du laboratoire des médias du M.I.T. a démissionné cette semaine en raison des liens de l’université avec Epstein, ouvre une nouvelle fenêtre. ..

Le chercheur Nathan Mathias a également décidé de quitter le laboratoire à la suite de ces révélations.

« Bien que j’aie été étudiant au laboratoire à l’époque où Joi entretenait une relation d’affaires et de financement avec Epstein, je n’étais au courant de rien de tout cela « , écrit Mathias. « Je suis profondément déçu des décisions que Joi a prises, et que le Labo a en quelque sorte laissé se produire. Le Media Lab m’a confirmé qu’aucune partie de l’argent d’Epstein ne m’est jamais parvenue, à moi ou à un fonctionnaire, ce qui est un petit soulagement.

Le financier aimait s’entourer de sommités scientifiques, sans doute pour cultiver une bonne image auprès de ses contacts d’affaires. Sur son site internet, il avait écrit qu’il avait « le privilège de parrainer de nombreux savants illustres ». Il les rencontrait notamment par le biais de John Brockman, un agent littéraire célèbre qui représente Stephen Hawking, Richard Dawkins, Marvin Minsky… Epstein organisait régulièrement des dîners dans sa résidence de Manhattan. Il a invité par exemple 21 savants sur son île en 1986 pour une conférence sur la gravitation. Il a même loué un sous-marin pour une balade à laquelle participait, entre autres, Stephen Hawking.

Pour les scientifiques, c’était une mine de financement. Jeffrey Epstein a donné par exemple 6,5 millions de dollars en 2003 à Harvard pour financer les travaux de Martin Nowak sur les principes mathématiques qui guident l’évolution. Il a donné aussi, semble-t-il, 250 000 dollars à Lawrence Krauss, un professeur de physique en charge d’un projet d’études sur les origines de l’univers à l’université d’Arizona. Krauss lui-même a été accusé de harcèlement sexuel. Au MIT, ses dons ont également soutenu des projets de recherche de Seth Lloyd, un professeur d’ingénierie mécanique. Et par le biais de ses fondations, Epstein a financé le Mount Sinaï Hospital et The Icahn School of Medicine. En 2002, Stephen Kosslyn, un psychologue d’Harvard, confiait au New York Magazine en parlant d’Epstein : « Il est incroyable. Comme une abeille. Il parle à différentes personnes et fait de la pollinisation croisée. Il y a deux mois, j’ai évoqué une nouvelle alternative à la psychologie de l’évolution. Ça l’a passionné et il m’a envoyé un chèque. »


Joichi Ito

Super étalon

Jeffrey Epstein se piquait de connaissances scientifiques. Dans le même article du New York Magazine, Martin Nowak affirmait : « Jeffrey a l’esprit d’un physicien. C’est comme si je parlais à un collègue dans mon domaine. » Mais il avait des centres d’intérêt très spécifiques. Selon une enquête du New York Times, il était fasciné par le transhumanisme, le mouvement qui milite pour l’amélioration de la race humaine par le biais de l’intelligence artificielle et de la technologie. Ce que les critiques dénoncent comme de l’eugénisme masqué. Epstein avait apparemment comme projet de transformer son ranch au Nouveau-Mexique en centre de procréation, où on inséminerait des femmes avec son sperme. Un projet inspiré du Repository for Germinal Choice, une banque de sperme créée dans les années 80 par un eugéniste fortuné qui avait pour but de ne recueillir que du « super sperme » de Prix Nobel et de génies au QI supérieur. La banque a fermé en 1999 et seul un Prix Nobel a reconnu avoir donné sa semence. Dans le cas d’Epstein, le super étalon, c’était lui.

Beaucoup de scientifiques ont pris leurs distances après son séjour en prison pour abus sexuels en 2007. Mais d’autres comme Seth Lloyd sont allés le visiter alors qu’il était incarcéré en Floride et ont continué à le fréquenter. Aujourd’hui, ils font tous un mea culpa public. «Dans mes efforts pour lever des fonds pour Media Lab, je l’ai invité dans le labo et je lui ai rendu visite plusieurs fois dans ses résidences », écrit Joichi Ito sur le site du MIT. Mais « je n’ai jamais été impliqué, ne l’ai jamais entendu en parler ou n’ai jamais vu des preuves des actes horrifiques dont il était accusé ». Le chercheur reconnaît son « erreur de jugement » et s’excuse auprès des victimes et de la communauté du MIT. Seth Lloyd s’est lui aussi excusé. Tout comme le président du MIT, qui a annoncé qu’il verserait l’équivalent des 800 000 dollars donnés par Epstein à des fondations pour ses victimes ou pour les victimes d’abus sexuels.

Harvard, elle, a fait savoir qu’elle n’avait pas l’intention de rendre l’argent.


Le MIT est la dernière université de la région de Boston qui révèle les dons importants de Jeffrey Epstein,

L’hôpital Mount Sinai fera don de l’argent d’Epstein à une œuvre de charité

Le système de santé de l’hôpital Mount Sinai a déclaré vendredi qu’il fera un don de charité Ouvrira une nouvelle fenêtre. équivalent à l’argent qu’il a reçu du pédophile condamné Jeffrey Epstein.

L’argent ira à un organisme axé sur la prévention de la traite des personnes et de l’exploitation sexuelle, ainsi qu’au programme d’intervention en cas d’agression sexuelle et de violence sexuelle du système de santé, qui offre un traitement et des conseils immédiats aux victimes d’agression sexuelle.

L’hôpital n’a pas dit combien d’argent a été donné par le financier déshonoré Ouvrira une nouvelle fenêtre. .

« Le système de santé Mont-Sinaï a un engagement profond et de longue date à assurer la santé, la sécurité et la dignité des victimes de viol, d’agression sexuelle et de violence conjugale « , a déclaré l’hôpital dans sa déclaration. « Le comportement répréhensible de Jeffrey Epstein est totalement contraire à ces valeurs. »

Le multimillionnaire était détenu sans caution en attendant son procès pour trafic sexuel d’enfants.

Epstein a fait don de l’argent à Mount Sinai après 2008, l’année où il a reçu une entente pépère qui lui a permis de plaider coupable d’avoir sollicité un mineur pour prostitution et d’éviter des accusations plus graves. Les procureurs fédéraux de New York ont rouvert l’enquête après que le Miami Herald eut publié un article d’investigation qui a suscité l’indignation au sujet de cette négociation de plaidoyer.

La décision de l’Université Mount Sinai a été prise un jour après que le Massachusetts Institute of Technology eut révélé dans une lettre qu’Epstein avait fait don d’environ 800 000 $ à l’université pendant 20 ans, l’argent allant soit au M.I.T. Media Lab, soit à Seth Lloyd, physicien, membre du corps enseignant du M.I.T.


L. Rafael Reif, le président du MIT, écoute lors d’un panel en 2017.
Photo :Jessica Rinaldi / The Boston Globe

« A mon grand regret, bien que nous ayons suivi les processus qui ont bien servi le MIT pendant de nombreuses années, nous avons fait ici une erreur de jugement », a déclaré le président du MIT, L. Rafael Reif dans une déclaration.

« Aux victimes de Jeffrey Epstein, au nom de l’administration du MIT, je présente des excuses profondes et humbles « , a-t-il ajouté. « Avec le recul, nous reconnaissons avec honte et détresse que nous avons permis au MIT de contribuer à l’amélioration de sa réputation, ce qui a servi à détourner l’attention de ses actes horribles Ouvrira une nouvelle fenêtre. Aucune excuse ne peut défaire ça. En réponse, nous engagerons un montant égal aux fonds reçus du MIT de n’importe quelle fondation Epstein à un organisme de bienfaisance approprié qui bénéficie à ses victimes ou à d’autres victimes d’abus sexuels. »

Lloyd et Joi Ito, directeur du Media Lab, se sont excusés en ligne.


Joichi Ito

Une victime du milliardaire Jeffrey Epstein a témoigné qu’elle avait été forcée d’avoir des rapports sexuels avec le professeur Marvin Minsky du MIT, comme l’a révélé une nouvelle déposition non scellée. Epstein a été enregistré comme délinquant sexuel en 2008 dans le cadre d’un plaidoyer controversé. Plus récemment, il a été arrêté pour trafic sexuel au milieu d’un flot de nouvelles allégations.

Minsky, décédé en 2016, était connu comme un associé d’Epstein, mais c’est la première accusation directe impliquant le pionnier de l’IA dans le réseau plus large du trafic sexuel d’Epstein. La déposition nomme également le prince Andrew de Grande-Bretagne et l’ancien gouverneur du Nouveau-Mexique Bill Richardson, entre autres.

L’accusation contre Minsky a été portée par Virginia Giuffre, qui a été destituée en mai 2016 dans le cadre d’une poursuite en diffamation plus large entre elle et une associée d’Epstein nommée Ghislaine Maxwell. Dans sa déposition, Giuffre dit qu’on lui a ordonné d’avoir des relations sexuelles avec Minsky lorsqu’il a visité le complexe d’Epstein dans les îles Vierges américaines.

Dans le cadre de la poursuite en diffamation, l’avocat de Maxwell a nié les allégations, les qualifiant de « salaces et déplacées ». Les représentants de Giuffre et Maxwell n’ont pas répondu immédiatement à une demande de commentaires.

Un autre témoin a donné foi au récit de Giuffre, témoignant qu’elle et Minsky avaient pris un avion privé de Teterboro à Santa Fe et Palm Beach en mars 2001. Epstein, Maxwell, le chef Adam Perry Lang, et l’héritier de la marine Henry Jarecki étaient également passagers sur le vol, selon la déposition. Au moment du vol, Giuffre avait 17 ans, Minsky 73.

Membre clé du laboratoire d’intelligence artificielle du MIT, Marvin Minsky a été le pionnier des premiers algorithmes d’autoformation, notamment dans son livre Perceptrons de 1969. Il a également mis au point le premier écran monté sur la tête, précurseur des systèmes modernes de RV et de réalité augmentée.

Minsky était l’un des scientifiques éminents ayant des liens avec Jeffrey Epstein, qui s’est souvent qualifié de « philanthrope scientifique » et a fait des dons à des projets de recherche et à des institutions universitaires. Bon nombre de ces scientifiques étaient affiliés à Harvard, dont le physicien Lawrence Krauss, le généticien George Church et le psychologue cognitif Steven Pinker. L’affiliation de Minsky avec Epstein a été particulièrement profonde, y compris l’organisation d’un symposium de deux jours sur l’intelligence artificielle sur l’île privée d’Epstein en 2002, comme le rapporte Slate. En 2012, la Fondation Jeffrey Epstein a publié un communiqué de presse vantant une autre conférence organisée par Minsky sur l’île en décembre 2011.

Cette île privée aurait été le site d’un immense réseau de trafic sexuel. Mais les associés d’Epstein ont soutenu que ces crimes n’étaient pas apparents aux relations sociales d’Epstein, malgré la présence de jeunes femmes à plusieurs de ses réunions.

« Ces gens ont été vus non seulement par moi, mais aussi par Alan Dershowitz lors d’une déposition en 2015. « Ils ont été vus par Larry Summers, ils ont été vus par[George] Church, ils ont été vus par Marvin Minsky, ils ont été vus par certains des plus éminents universitaires et universitaires du monde. »

« Il n’y avait aucune allusion ou suggestion de nature sexuelle ou inappropriée en présence de ces personnes « , a poursuivi Dershowitz.

Aaron Swartz : « Celui qui pourrait changer le monde »

https://www.franceculture.fr/ 18/03/2017

L’Américain Aaron Swartz était militant d’un Internet libre et ouvert, programmeur, activiste. Quatre ans après sa mort, à l’âge de 26 ans, ses écrits sont rassemblés dans un recueil publié en français. Sous le titre « Celui qui pourrait changer le monde ».

A qui le prix de la désobéissance civile? Si vous avez un nom à proposer, c’est le moment. Début mars, le célèbre MIT, le Massachusetts Institute of Technology, a ouvert les candidatures pour son nouveau prix : 250 000 dollars pour récompenser une personne engagée dans « une logique de désobéissance profitant à la société », que cela soit dans le domaine de la recherche scientifique, de la liberté de parole ou de la liberté d’innovation.


Justement, dans le Manifeste pour une guérilla en faveur du libre accès, écrit en 2008, on peut lire : « Il est grand temps pour nous, dans la grande tradition de la désobéissance civile, de manifester haut et fort notre opposition à la confiscation de la culture publique par les organismes privés. Il nous faut nous emparer du savoir où qu’il soit , effectuer et des copies et les partager avec le reste du monde . » Mais impossible de proposer le nom de son auteur, Aaron Swartz : le MIT demande que les prétendants au prix soient vivants. Or Swartz, lui, s’est suicidé en janvier 2013. Il avait alors 26 ans. C’était deux mois avant la tenue d’un procès où il encourrait 35 ans de prison et un million de dollars d’amende. Il était poursuivi par le MIT précisément, pour s’être introduit dans l’une de ses salles de serveurs et avoir copié près de 5 millions d’articles scientifiques, dans le but de les rendre accessibles au grand public.À RÉÉCOUTERRéécouter Régler nos dettes (3/5) : Ce que l’on doit à Aaron Swartz57 MINLES NOUVELLES VAGUESRégler nos dettes (3/5) : Ce que l’on doit à Aaron Swartz

Aaron Swartz fait partie de ces figures d’un monde numérique encore jeune. Elles ont la particularité d’être immensément connues de tout un monde de militants, penseurs, observateurs du numérique. Mais en même temps, cette notoriété est peut-être aussi forte, que limitée à un petit cercle.

Or justement les éditions B42 publient le 21 mars les écrits d’Aaron Swartz. Elles rendent ainsi disponibles en français ses posts de blog, conférences, écrits, pamphlets, rassemblés l’an dernier aux Etats- Unis, sous le titre de « Celui qui pourrait changer le monde » .

Ce garçon de Chicago n’a que 13 ans quand un concours lui permet de mettre les pieds au MIT. Son parcours précoce est d’abord celui d’un programmeur. Il joue par exemple un rôle décisif dans la création des flux RSS. Il a alors 14 ans. C’est au même âge qu’il rencontre à Harvard de grands penseurs du numérique. Parmi eux, il y a Lawrence Lessig. Ce professeur de droit réfléchit à une nouvelle manière de définir le droit d’auteur sur Internet et de permettre aux auteurs eux-mêmes de décider de l’utilisation de leur oeuvre. Aaron Swartz a 15 ans quand il crée les spécifications techniques de ces licences Creative commons. Tout son parcours est d’ailleurs retracé par le documentaire The Internet’s own boy.À ÉCOUTER AUSSIRéécouter Aaron Swartz : un héros contemporain4 MINCE QUI NOUS ARRIVE SUR LA TOILE Aaron Swartz : un héros contemporain

Le militantisme d’Aaron Swartz sur le partage de la connaissance sous-tend une réflexion politique qui peu à peu se déploie plus largement sur la question des inégalités et de la justice sociale.

Outre sa précocité, la spécificité d’Aaron Swartz est d’articuler savoir-faire technique, activisme politique et pensée critique. Son aspiration : « rendre ce monde meilleur grâce à la loi, à la politique et aux technologies« , résume-t-il dans l’un des écrits qui ouvre le recueil. Ils y sont rassemblées par grands thèmes : culture libre, ordinateurs, politique et médias, libre et culture, non- scolarisation.

Les poursuites judiciaires et son suicide ont participé à faire d’Aaron Swartz une sorte de héros tragique du numérique. Ce recueil, lui, témoigne de ses questionnements et de son parcours intellectuel. Mais surtout, au-delà de la personnalité même d’Aaron Swartz, ces textes sont d’une lecture éclairante et d’une actualité immense. Tant sur nos libertés numériques que sur la manière dont nous façonnons le monde en définissant des modalités d’accès au savoir et de partage des connaissances.

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