Lubrizol – Info/Intox

Après l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen, des intox en série

De nombreuses publications mensongères et alarmistes ont été relayées sur les réseaux sociaux, quatre jours après l’accident de l’usine chimique Lubrizol. 

Par  Mathilde Damgé et  Assma Maad – Le Monde 30 septembre 2019

Depuis l’incendie de l’usine Lubrizol survenu le 26 septembre à Rouen (Seine-Maritime), les autorités se sont montrées rassurantes et le gouvernement a promis une « transparence totale » sur les résultats d’analyses de la pollution engendrée par l’incendie. Sans convaincre.

En effet, les inquiétudes demeurent. Bon nombre d’entre elles se sont exprimées sur les réseaux sociaux, avec des allégations parfois douteuses, voire complètement inventées. En voici quelques exemples pour ne pas tomber dans le panneau.

1. Le faux communiqué préfectoral

« Nuage de fume traversant la zone nord, suite à l’incendie de Rouen : des effets secondaires dangereux pour la santé à court et long termes ne sont pas à exclure. » (SIC)

Au lendemain de l’incendie, un communiqué de presse inquiétant a très largement circulé sur les réseaux sociaux. Daté du 27 septembre, ce texte d’une dizaine de lignes est censé émaner de l’agence régionale de santé (ARS) et la préfecture du Nord. On y lit, notamment, que « des analyses réalisées, ce jour, en Normandie montrent que les effets de ce nuage peuvent se révéler irritants et odorants avec une toxicité aiguë ».

Ce communiqué est un faux assez grossier. Plusieurs éléments permettent de s’en apercevoir assez rapidement. Tout d’abord, le texte est truffé de fautes d’orthographe. Ensuite, de flagrantes incohérences géographiques décrédibilisent un peu plus ce texte. Il est signé à Lille, mais cite la préfète de Normandie et de Seine-Maritime. En pied de document, seule la préfecture du Nord est mentionnée, alors que celles de Seine-Maritime et de Normandie auraient dû l’être également. Enfin, c’est le logo de l’ARS des Hauts-de-France qui figure en tête du communiqué, alors que les analyses réalisées sont supposées être en cours en Normandie. 

Le préfet de Seine-Maritime, Pierre-André Durand, a confirmé auprès de France Bleu qu’il s’agissait bien d’un faux : « C’est évidemment un montage qui a été réalisé à partir des logos de l’Etat et de l’ARS avec des informations erronées et malveillantes visant à diffuser de la fausse information. (…) » Il ajoute : « Cette attitude est inadmissible et nous envisageons de saisir l’autorité judiciaire et de déposer plainte. »

2. Les photos décontextualisées d’animaux morts

Plusieurs photos d’animaux morts présentées comme prises à Rouen ou ses alentours ont énormément circulé ; elles sont censées illustrer les dangers des fumées noires de l’incendie. Une photo, en particulier, est devenue extrêmement virale.

Selon le site RouenInfo, qui a diffusé initialement l’image, ces deux oiseaux morts ont été photographiés par un Rouennais prénommé Alexandre, au lendemain de l’incendie. Faut-il, pour autant, lier le décès de ces deux volatiles avec les substances émises par l’usine chimique ?

Interrogé par Paris-Normandie le 27 septembre, le préfet a affirmé ne pas avoir eu « connaissance de tels événements ». Le site de la chaîne LCI a, pour sa part, contacté, le Centre d’hébergement et d’étude sur la nature et l’environnement (Chéne), à Allouville-Bellefosse (Seine-Maritime). Il appelle à la prudence concernant les causes qui ont pu entraîner la mort des deux oiseaux. Le centre ajoute n’avoir « constaté aucun surcroît d’activité » depuis l’incident.

S’il est donc prématuré de tirer une quelconque conclusion concernant ces oiseaux, on peut en revanche affirmer facilement que d’autres photos sont mensongères. Cette image, publiée par plusieurs internautes, montre une route jonchée de volatiles morts. Elle date de janvier 2011 et a été prise en Louisiane (Etats-Unis).

Prudence également avec les images de poissons morts. « Des milliers de poissons ont été retrouvés morts cette nuit ! Leur mort serait dû à la pollution de l’eau dû à l’incendie de l’usine #Lubrizol à Rouen. Plus aucun bateau ne passe dans le canal depuis des années ! A Lallaing dans la Scarpe près de Douai » (SIC), écrit par exemple cet internaute. D’une part, l’une des images d’une base de données de photos d’illustrations. D’autre part, il est bien trop tôt pour conclure quoi que ce soit. De nombreux poissons ont effectivement été retrouvés morts dans une écluse à Lallaing (dans le Nord, à plus de 200 km de Rouen) dans la nuit du 26 au 27 septembre, mais il faudra attendre plusieurs semaines pour connaître le résultat des analyses et la cause des décès.

3. L’intox de l’arrêt de la mesure de l’air

Selon @tprincedelamour, multirécidiviste de l’intox sur Twitter, il y aurait eu « une grave opération de dissimulation » sur la mesure de la qualité de l’air à Rouen. Il n’est pas seul à affirmer cela. Quelques heures après le début de l’incendie, de nombreux internautes se sont émus de l’arrêt de la diffusion de l’indice Atmo. Cet indicateur journalier décrit la qualité de l’air dans les agglomérations françaises de plus de 100 000 habitants, en se basant sur la mesure de dioxyde de soufre, d’ozone, de particules fines et de dioxyde d’azote.

L’indice quotidien de la qualité de l’air pour Rouen n’a pas été diffusé, car il était jugé non représentatif de la situation. Mais les mesures ont tout de même été effectuées. Dans un communiqué publié le 27 septembre, Atmo Normandie a précisé les choses :

« Contrairement à ce qui a été cru hier durant l’incendie, Atmo Normandie n’a pas stoppé ses mesures qui étaient consultables en permanence dans l’onglet mesures” [du site Internet]. Seule a été temporairement suspendue la diffusion de l’indice Atmo synthétique lié à la pollution quotidienne car son mode de calcul ne prend pas en compte ni les odeurs ni les polluants atypiques émis lors d’un accident. Pour évaluer ces derniers, Atmo Normandie a mis en place durant la journée d’hier, jeudi 26 septembre, des mesures complémentaires dont l’analyse complexe ne peut être en temps réel car faite en laboratoire de chimie. »

4. L’alerte mensongère sur l’eau non potable

« Ne buvez surtout pas l’eau du robinet, y a des substances toxiques qui sont présentes. » Ce message alarmiste s’est répandu comme une traînée de poudre sur Facebook, quelques heures seulement après la catastrophe.

Un CHU aurait déconseillé aux habitants de Rouen et de ses alentours de boire l’eau du robinet. Certains indiquent même avoir trouvé cette information sur France Bleu ou le site local 76Actu. Ces messages sont tout bonnement inventés. Le centre hospitalier de Rouen n’a émis aucun avertissement. Il a d’ailleurs été contraint de démentir cette information sur Twitter à plusieurs reprises le 26 septembre. « Nous sommes en lien direct avec la cellule de crise du préfet de la Seine-Maritime : l’eau du robinet est potable. (…) Nous n’avons reçu aucune consigne nous disant de ne pas boire l’eau du robinet », a-t-il clarifié.

Des vidéos montrant une eau noire coulant du robinet de plusieurs habitants ont été massivement relayées aussi. Le préfet de la Seine-Maritime a assuré, le 30 septembre, que la métropole de Rouen et l’ARS de Normandie n’avaient pas constaté d’« anomalie » sur le réseau d’eau potable.

La métropole de Rouen a également indiqué que, suite à l’incendie, elle a procédé « immédiatement à des mesures complémentaires des analyses quotidiennes habituelles » et qu’« aucune trace de contamination n’a été relevée ». Elle précise « que les réseaux de distribution d’eau potable sont interconnectés et sécurisés de manière à pouvoir isoler toute nappe potentiellement impactée et ainsi assurer la distribution de l’eau potable au robinet des usagers ».

5. La fausse vidéo de l’explosion

Cette vidéo, qui a été massivement relayée quelques heures après l’incendie, a été en réalité prise en Chine en août 2015. Le compte Twitter de l’auteur à l’origine de cette intox a été suspendu depuis.

6. Le témoignage douteux d’un technicien de laboratoire

« J’ai honte… je travaille au labo chargé de l’expertise. On m’a demandé de falsifier les résultats. Je n’ai pas eu le choix. En fait le désastre est tel qu’il faudrait évacuer… département dans son entier ! » Ce témoignage relayé sans source est peu vraisemblable.

Partagée pour la première fois sur Facebook le 28 septembre, cette déclaration a, en fait, été publiée dans les commentaires d’un articledu FigaroL’auteur du témoignage, le supposé laborantin, est un habitué du site et a tendance à raconter tout et n’importe quoi.

Le 30 septembre, il expliquait « Notre fille a déjeuné hier d’un œuf à la coque et d’une tartine de pain beurré recouverte de miel, le tout comme d’habitude des environs de Rouen où nous vivons. Une irruption de plaque purulentes a rapidement recouvert son corps alors que son visage enflait. Ses cheveux étaient tous tombés quand nous sommes arrivés au CHU. » (SIC) 

La veille, le 29 septembre, il déclarait pourtant : « J’ai transféré ma famille à l’autre bout du pays… quant à moi après ces révélations je vais demander l’asile à l’ambassade d’Equateur à Londres ou bien à la Russie. Mais je continuerai de dire ce que je sais dans l’intérêt de mes compatriotes. » Bref, il s’agit d’un troll.

7. La présence de matières radioactives questionnée

Des publications alarmistes, comme celle du collectif Rouen dans la rue, ont voulu mettre en garde contre la présence de matières radioactives dans l’usine, en se basant sur des informations du ministère de l’écologie.

De fait, il y avait bien des matières radioactives dans l’usine, mais scellées dans des outils de mesure qui n’ont pas été touchés par l’incendie. Le préfet de Seine-Maritime, cité dans cette publication, le dit d’ailleurs très clairement « L’usine ne stocke pas de produits radioactifs à des fins de production. Quelques instruments de mesure, sous scellés, comportaient des éléments radioactifs et n’ont pas été exposés au feu ni dégradés. Ils ont été vérifiés ensuite. » D’ailleurs, dans la fiche de risque Seveso du site, le risque radiologique n’est pas évoqué.

Comme le précise Libération, citant un syndicaliste du secteur, « des appareils comprenant des éléments radioactifs sont utilisés pour mesurer la densité des liquides, comme de l’huile, dans certains milieux agressifs. L’élément radioactif de ces instruments est enveloppé dans du plomb ».

De son côté, France TV ajoute que ces appareils « servent à mesurer le niveau dans les bacs [de produits] et renvoient l’information à leur PC de contrôle », reprenant les explications de Jean-Yves Lagalle, colonel des sapeurs-pompiers et directeur du service départemental d’incendie et de secours (SDIS), qui gère les pompiers de Seine-Maritime. Selon Jean-Yves Lagalle, les doutes ont été levés grâce à « un véhicule spécialisé en risque radiologique, qui est venu avec ses appareils pour confirmer qu’il n’y avait aucun élément de source scellée qui ait été pris dans l’incendie, et qui pourrait éventuellement émettre des radiations ».

Au risque de flirter avec le complotisme, des élus n’hésitent plus à instrumentaliser les doutes et les inquiétudes de la population, après l’incendie du site chimique de Lubrizol. Accentuant le discrédit jeté sur les experts

5253 tonnes de produits ont été détruites, la liste publiée par la préfecture

Le préfet de Seine-Maritime a tenu une conférence de presse ce mardi 1er octobre et doit dévoiler la liste des produits qui ont brûlé.

LISTE DES PRODUITS PRESENTS SUR LE SITE LUBRIZOL
La préfecture a publié la liste des produits ainsi que les 479 fiches de sécurité . Elles précisent les caractéristiques des produits et les risques associés, notamment en cas de combustion.
>> La liste est disponible ICI

Ce qu’il faut retenir 
– Edouard Philippe s’est rendu sur le site ce lundi 30 septembre en début de soirée. Le Premier ministre a salué le travail des sapeurs-pompiers et rappelé la mobilisation des services de l’Etat, ainsi que sa compréhension de l’inquiétude des habitants. Il a promis une “absolue transparence” sur cette affaire. 
– Lundi soir, la métropole rouennaise a indiqué que l’eau était potable. “Aucune trace de contamination n’a été relevée”, a ajouté la Métropole dans son communiqué. 
– Une nouvelle manifestation est prévue à 18h devant le Palais de justice de Rouen.
– Le bâtonnier de Rouen Me Guillaume Bestaux indique que les avocats de la ville allaient mettre en place “des consultations gratuites spécifiques pour la problématique de l’incendie” de l’usine chimique Lubrizol. Par ailleurs, plusieurs avocats ont porté plainte à titre personnel.
– La préfecture a publié la liste des produits ainsi que les 479 fiches de sécurité . Elles précisent les caractéristiques des produits et les risques associés, notamment en cas de combustion.
ENQUÊTE (S)
– “Plus d’une quarantaine de plaintes transmises ou en cours de transmission”, a indiqué le parquet de Rouen dans un communiqué. 
– Le parquet de Rouen s’est dessaisi au profit du pôle santé publique du parquet de Paris en raison notamment de la technicité du dossier et “du nombre de plaintes pour mise en danger d’autrui”.
– Lubrizol a annoncé porter plainte pour “destruction involontaire” après l’incendie de son usine chimique à Rouen, et affirmé lundi que l’origine du feu serait “extérieure” au site. La plainte vise la “destruction involontaire par explosion ou incendie par violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence”, a précisé le procureur de la République de Rouen.
–  La ministre de la Transition écologique Elisabeth Borne sera auditionnée à 18h45 ce mercredi 2 octobre en commission à l’Assemblée au sujet de l’incendie de l’usine, sur lequel les demandes d’enquête parlementaire se multiplient.
– L’association Respire a déposé lundi soir un référé auprès du tribunal administratif de Rouen “afin de nommer un expert” dans le dossier de l’incendie de l’usine chimique Lubrizol, précise l’avocate Me Corinne Lepage. 
ECOLES 
–  Le rectorat indique à LCI que le dispositif “accompagnement délicat” a été mis en place dans plusieurs écoles. Ce dispositif est composé de médecins, d’infirmiers et de psychologues. Ces derniers n’ont relevé aucune “difficulté médicale”. 
AGRICULTURE La récolte des cultures et des denrées alimentaires d’origine animale est interdite dans une centaine de communes en raison des retombées de suie occasionnées par le nuage. Le lait, le miel et les œufs d’élevage en plein air pondus depuis jeudi sont visés “jusqu’à l’obtention de garanties sanitaires sur les productions”, selon des arrêtés préfectoraux.
INDEMNISATION– Didier Guillaume, ministre de l’Agriculture a annoncé une indemnisation totale aux agriculteurs dont la production est affectée par les retombées de suie de l’incendie de l’usine chimique Lubrizol de Rouen. Le ministre a promis des “avances de trésorerie rapides”.
Au moins 1.800 agriculteurs ont été touchés par les suies la semaine dernière, indique le ministère de l’Agriculture, selon lequel les premières indemnisations pourraient intervenir sous une dizaine de jours. Les agriculteurs qui ne peuvent pas vendre leurs productions seront indemnisés grâce au Fonds de mutualisation du risque sanitaire et environnemental, a précisé le ministère.


Opération de dépollution sur le bras de la Seine proche de l’usine chimique Lubrizol, samedi. (Nicolas MARQUES pour le JDD)

“Ils se sont vus mourir” : après l’incendie de Rouen, des détenus de la maison d’arrêt vont porter plainte

Alors que le préfet a annoncé qu’il restait “160 fûts dans un état délicat à évacuer” et que la qualité de l’air était “habituelle”, à la maison d’arrêt de Rouen, des détenus présentent des symptômes de stress important et de déshydratation, indique à LCI Julia Massardier, avocate de plusieurs d’entre eux. 01 oct. 19:07 – Amandine Rebourg 

Après l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen, les angoisses demeurent. Sur le front judiciaire, de nombreux recours ont été déposés devant les tribunaux, notamment de la part de syndicats, dont l’Unité SGP Police Seine-Maritime pour les forces de l’ordre ou encore des syndicats de France Télévisions pour les équipes de France 3 Rouen. 

A côté de ces recours, il y a celui de maître Julia Massardier, avocate de deux détenus de la Maison d’arrêt de Rouen. Elle avait saisi en référé le tribunal administratif afin que des relevés soient effectués et que l’air ainsi que l’eau soient testés dans l’établissement pénitentiaire, celui-ci se situant à un kilomètre de l’usine. Elle souhaitait également que des constatations médicales soient faites. La décision est tombée ce mardi 1er octobre à la mi-journée : elle a été déboutée de son référé. Reste que désormais, des plaintes au pénal vont être déposées.