La France, 1er pays à généraliser la reconnaissance faciale

On assiste en France à de plus en plus d’expérimentations sur la reconnaissance faciale, les portiques biométriques dans les lycées, au carnaval de Nice, ou encore dans les aéroports… Le Ministère de l’Intérieur et l’Agence Nationale des Titres Sécurisés lance une nouvelle application sur Android : Alicem. Elle propose aux citoyens de se créer une identité numérique pour tout ce qui est procédure administrative en ligne et ce, à partir de la reconnaissance faciale.

Selon les révélations de Bloomberg le 03 octobre (voir ci dessous traduction de l’article en anglais), elle sera lancée dès novembre.

La France sera donc le premier pays de l’Union Européenne à utiliser la reconnaissance faciale pour donner aux citoyens une identité numérique.

Mais cela pose de nombreuses questions, notamment sur la protection des données personnelles. Nous avons tenté de joindre le Ministère de l’intérieur qui n’a pas pu répondre à nos questions. Interview avec Martin Drago, juriste à la Quadrature du net, l’association de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet. Il engage une action en justice contre l’Etat.


Le Journal des sciences – La nouvelle application d’identité numérique lancée par le gouvernement.
Martin Drago

ÉCOUTEZ – Sidérant !!! La France : premier pays d’Europe à généraliser la reconnaissance faciale

France Culture le 04 octobre 2019


Martin Drago, juriste et membre de la Quadrature du Net le 10/10/19

La France s’apprête à lancer un programme national d’identification faciale à l’échelle nationale

Par Hélène Fouquet – 3 octobre 2019

La France est sur le point de devenir le premier pays européen à utiliser la technologie de reconnaissance faciale pour donner aux citoyens une identité numérique sécurisée, qu’ils le souhaitent ou non.

Le gouvernement du président Emmanuel Macron, qui dit vouloir rendre l’État plus efficace, fait avancer le projet de déploiement d’un programme d’identification, baptisé Alicem, en novembre, plus tôt qu’un premier objectif de Noël. Le régulateur des données du pays affirme que le programme viole la règle européenne du consentement et qu’un groupe de protection de la vie privée le conteste devant la plus haute cour administrative de France. Il a fallu un peu plus d’une heure à un pirate informatique pour pirater une application de messagerie “sécurisée” du gouvernement cette année, ce qui soulève des inquiétudes quant aux normes de sécurité de l’État.

Rien de tout cela ne dissuade le ministère français de l’Intérieur.

“Le gouvernement veut amener les gens à utiliser Alicem et la reconnaissance faciale “, a déclaré Martin Drago, un avocat membre du groupe de protection de la vie privée La Quadrature du Net qui a porté plainte contre l’État. “Nous nous dirigeons vers une utilisation massive de la reconnaissance faciale. Peu d’intérêt pour l’importance du consentement et du choix.” L’affaire, déposée en juillet, ne suspendra pas Alicem.

Identités numériques

La France rejoindra ainsi les Etats du monde entier qui s’empressent de créer des “identités numériques” pour donner aux citoyens un accès sécurisé à tout, de leurs impôts et de leurs banques aux factures de sécurité sociale et de services publics. Singapour utilise la reconnaissance faciale et a signé un accord pour aider le Royaume-Uni à préparer son propre système d’identification. L’Inde utilise la scintigraphie de l’iris. (https://uidai.gov.in)

https://www.smartnation.sg/what-is-smart-nation/initiatives/Strategic-National-Projects/national-digital-identity-ndi

La France affirme que le système d’identification ne sera pas utilisé pour surveiller les résidents. Contrairement à la Chine et à Singapour, le pays n’intégrera pas la biométrie de reconnaissance faciale dans les bases de données d’identité des citoyens. En fait, le ministère de l’Intérieur, qui a développé l’application Alicem, affirme que les données de reconnaissance faciale recueillies seront supprimées lorsque le processus d’inscription sera terminé. Cela n’a pas empêché les gens de s’inquiéter de son utilisation abusive potentielle.

http://www.assemblee-nationale.fr/15/cr-oecst/18-19/c1819051.asp

“Se lancer dans la reconnaissance faciale à ce stade est un risque majeur” en raison des incertitudes sur son utilisation finale, a déclaré Didier Baichere, un législateur du parti au pouvoir qui siège à la commission “technologies du futur” du Parlement et qui est l’auteur d’un rapport sur ce sujet en juillet. Permettre l’utilisation de masse avant de mettre en place des freins et contrepoids appropriés est “ridicule”, a-t-il dit.

La reconnaissance faciale est apparue depuis peu dans le débat public, en particulier depuis l’expérimentation récente menée par la mairie de Nice, ou l’interdiction par la ville de San Francisco de l’utilisation par ses services de tels dispositifs. Il a donc paru nécessaire à l’Office d’étudier les enjeuxtechnologiques, éthiques, juridiques et sociologiques relatifs à cette technologie.

La vision par ordinateur est un domaine de l’intelligence artificielle1 (IA) qui analyse des images de façon automatique. La reconnaissance faciale est une branche de la vision par ordinateur qui s’intéresse à l’analyse biométrique des visages présents sur une image. Ces technologies ont connu un fort gain en performance ces dernières années grâce aux progrès des algorithmes liés à l’utilisation de l’apprentissage profond (deep learning) et des technologies de cap- teurs.

Le processus peut être décrit schématiquement de la façon suivante : l’algorithme extrait d’une photo un gabarit, sorte de signature propre à chaque visage, puis il compare les gabarits issus d’autres images afin de déterminer si elles correspondent à une même personne. Il est important de rappeler que les disposi- tifs de reconnaissance faciale ne donnent pas de ré- sultat absolu ; les résultats sont exprimés en un pour- centage2de correspondance. Il faut donc faire le choix du seuil de correspondance à partir duquel on décide

La reconnaissance faciale _ Juillet 2019

http://www2.assemblee-nationale.fr/content/download/82754/922439/version/1/file/Note+Scientifique+-+Reconnaissance+Faciale+-+VF+19072019.pdf

Aucun consentement

L’application réservée à Android et portant le blason de la République française, que Bloomberg a pu consulter, sera le seul moyen pour les résidents de créer une identité numérique légale et la reconnaissance faciale en sera l’unique catalyseur. Une pièce d’identité sera créée au moyen d’une inscription unique qui consiste à comparer la photo de l’utilisateur dans son passeport biométrique à une vidéo d’autopsie prise sur l’application et qui saisit les expressions, les mouvements et les angles. Le téléphone et le passeport communiqueront grâce à leurs puces intégrées.

Les opposants affirment que l’application viole potentiellement la réglementation européenne générale sur la protection des données, qui rend le libre choix obligatoire. Emilie Seruga-Cau, qui dirige l’unité chargée de l’application de la loi à la CNIL, l’organisme indépendant de contrôle de la protection de la vie privée du pays, a déclaré que ses préoccupations étaient “très claires”.

https://ec.europa.eu/info/law/law-topic/data-protection/reform/rules-business-and-organisations/principles-gdpr_en

La sécurité est une autre préoccupation. Les autorités disent que la sécurité d’Alicem est au “plus haut niveau de l’Etat”. Pourtant, en avril, Robert Baptiste, un pirate informatique qui se fait appeler Elliot Alderson sur Twitter, a pu accéder en 75 minutes à l’une des applications ” hautement sécurisées ” du gouvernement, ce qui soulève des questions sur la résilience de la sécurité en ligne de l’État.

“Bug Bounty”

“Le gouvernement ne devrait pas se vanter que son système est sécurisé, mais accepter d’être contesté “, a déclaré M. Baptiste. ” Ils pourraient ouvrir une prime de bogue avant de commencer, parce que ce serait grave si des failles étaient découvertes après que les gens commencent à l’utiliser, ou pire si l’application est piratée lors de l’inscription, lorsque les données de reconnaissance faciale sont recueillies “.

Les législateurs de l’opposition s’inquiètent de l’intégration de la reconnaissance faciale dans les lois pour suivre les manifestants violents, comme lors des manifestations du Gilet Jaune. M. Drago, qui remet en question les plans du gouvernement en matière de protection de la vie privée et de consentement, a déclaré que l’absence de débat ” permet à l’État d’aller de l’avant, sans entraves “.

https://www.bfmtv.com/tech/loi-anti-casseurs-la-reconnaissance-faciale-plebiscitee-par-trois-amendements-lr-1623209.html

Pendant ce temps, les tests de reconnaissance faciale se multiplient. La surveillance par caméra en direct dans les rues du Pays de Galles a été jugée légale ce mois-ci par un tribunal de Londres. L’Allemagne, les Pays-Bas et l’Italie l’utilisent pour accélérer les contrôles aux frontières. En août, l’autorité suédoise de protection des données a infligé une amende à la municipalité de Skelleftea pour avoir testé la reconnaissance faciale d’élèves du secondaire afin de mesurer leur fréquentation. Apple Inc. a banalisé son utilisation comme biométrique pour déverrouiller les téléphones portables.

En tête du peloton ?

La nouvelle Commission de l’UE, dont le mandat débute en novembre, a notamment pour objectif la construction d’une “Europe digne de l’ère numérique”. Un document de politique interne de la Commission décrivait en détail les mesures que l’UE devrait prendre pour maîtriser les technologies de l’intelligence artificielle, y compris la reconnaissance faciale.

A LIRE – Article en anglais

https://www.bloomberg.com/news/articles/2019-09-04/human-rights-group-loses-welsh-fight-over-facial-recognition

https://www.bloomberg.com/news/articles/2019-09-30/eu-officials-call-for-technology-push-to-counter-u-s-china

“L’utilisation généralisée d’un équivalent d’un ADN public est un défi pour les régulateurs “, a déclaré Patrick Van Eecke, spécialiste de la vie privée et des données chez DLA Piper à Bruxelles. “L’utilisation par la France de la reconnaissance faciale pour l’identité numérique peut être envisagée de deux façons : elle va trop loin en termes de respect de la vie privée, ou elle utilise la nouvelle technologie la plus sûre. Sont-ils en tête ou dépassent-ils les bornes ?”

Reconnaissance faciale : la France à l’école de la Chine ?


Par Yannick Chatelain. le 05 octobre

Réjouissons-nous, la France « est sur le point de devenir le premier pays européen à utiliser la technologie de reconnaissance faciale pour donner aux citoyens une identité numérique sécurisée, qu’ils le veuillent ou non. ».

La France se mettrait elle à l’école de la Chine ? Depuis plusieurs mois, le gouvernement vante les mérites d’Alicem, « la première solution d’identité numérique régalienne sécurisée ». Une application qui permet l’« authentification en ligne certifiée sur mobile ». L’agence Bloomberg a ainsi révélé que l’État envisage le déploiement de celle-ci auprès des utilisateurs d’Android en novembre. Réjouissons-nous, la France « est sur le point de devenir le premier pays européen à utiliser la technologie de reconnaissance faciale pour donner aux citoyens une identité numérique sécurisée, qu’ils le veuillent ou non. » Comme le souligne Martin Drago, un avocat membre de la quadrature du net :  « Le gouvernement veut inciter les gens à utiliser Alicem et la reconnaissance faciale. »

MÉPRIS DES LIBERTÉS PUBLIQUES

Oh, bien sûr c’est à titre « expérimental » et sur la base du « volontariat ». Les utilisateurs qui voudront créer leur compte et utiliser ce merveilleux service devront accepter de voir leur identité vérifiée avec la reconnaissance faciale. Il ne fait aucun doute que certains vont collaborer avec grand enthousiasme. Les mêmes qui n’ont « rien à cacher » et qui se moquent d’être surveillés à leur insu au mépris des atteintes portées aux libertés publiques. Les mêmes qui n’ayant « rien à dire » se moquent éperdument des atteintes à la liberté d’expression.

ARTICLE COMPLET – Contrepoints

Généralisation de la reconnaissance faciale dans les transports : attention danger 

La reconnaissance faciale dans les aéroports tend à se généraliser. Elle est justifiée notamment par l’optimisation des dispositifs de sécurité.

En quoi ces dispositifs de reconnaissance faciale dans les aéroports font-ils courir le risque d’atteintes aux libertés individuelles fondamentales ?

Elise Dufour : La CNIL rappelle de longue date que « les enjeux de protection des données et les risques d’atteintes aux libertés individuelles que les dispositifs de reconnaissance faciale sont susceptibles d’induire sont considérables, dont notamment la liberté d’aller et venir anonymement ».

VOIR ARTICLE – Atlantico

Qu’est-ce qu’Alicem ?


Source gouvernementale…

Alicem, la première solution d’identité numérique régalienne sécurisée

Alicem est une application pour smartphone développée par le ministère de l’Intérieur et l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) qui permet à tout particulier, qui décide de l’utiliser, de prouver son identité sur Internet de manière sécurisée.

Alicem vise le niveau de garantie “élevé” au sens du règlement européen sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques, dit règlement « eIDAS ». La procédure de qualification par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) est en cours.

Le règlement eIDAS a pour ambition d’accroître la confiance dans les transactions électroniques au sein de l’Union européenne pour les services en ligne, notamment publics. Il définit 3 niveaux de garantie : faible, substantiel et élevé, en fonction du degré de robustesse de la solution d’identification électronique face aux tentatives d’usurpation d’identité sur Internet.

A quels services se connecter avec Alicem ?

Alicem donnera accès à l’ensemble des services partenaires de FranceConnect, le dispositif  de l’État qui facilite l’accès aux services en ligne (plus de 500 services publics disponibles).

Créer un compte Alicem n’est pas obligatoire. Les utilisateurs restent libres d’utiliser les alternatives disponibles :

  • La création d’un compte spécifique sur le service en ligne choisi ;
  • Les autres moyens d’identification électronique disponibles sur FranceConnect ;
  • Les procédures administratives « physiques » traditionnelles.

Alicem est actuellement en test avec un objectif d’ouverture au grand public avant la fin de l’année 2019.

Quels sont les avantages à utiliser Alicem ?

  • Des démarches en ligne simplifiées : 
    • Un seul accès à une multitude de services en ligne : l’utilisateur n’a plus besoin de mémoriser plusieurs identifiants et plusieurs mots de passe.
  • Une identification sécurisée : 
    • L’identité délivrée par Alicem est basée sur les informations contenues dans la puce sécurisée d’un titre biométrique (passeport ou titre de séjour).
    • Lors de la création du compte, Alicem vérifie par reconnaissance faciale que la personne qui utilise le smartphone est bien le détenteur du titre. C’est un moyen de lutter contre l’usurpation d’identité.
    • Le niveau élevé permettra de donner progressivement la possibilité d’accéder à des services qui imposent actuellement une vérification “physique” de l’identité des personnes soit à un guichet soit par l’examen de copies de plusieurs pièces envoyées par l’usager. Les champs d’application pourraient concerner : l’exercice de droits pour lesquels la certitude de l’identité du titulaire est indispensable, les demandes de certains titres et leurs modifications, l’accès à des données dans le domaine de la justice, des prestations sociales.
  • Un haut niveau de maîtrise par l’utilisateur de ses données : 
    • Les données personnelles sont uniquement enregistrées sur le téléphone portable de l’utilisateur, sous son contrôle exclusif.
    • Avec Alicem, les données ne sont partagées qu’auprès des services en ligne auxquels l’utilisateur choisit de se connecter. Le partage n’est validé qu’après saisie par l’utilisateur de son code de sécurité. 
      • Note : aucune donnée biométrique ne peut être partagée. La photo extraite de la puce du titre reste stockée sur le téléphone portable de l’utilisateur. La vidéo de reconnaissance faciale réalisée lors de la création du compte est effacée immédiatement après la vérification.
    • Les données ne feront l’objet d’aucun traitement et ne seront pas transmises à des tiers.

Quels sont les principaux enjeux pour l’État ?

  • Assurer sa mission régalienne de certification de l’identité dans un monde digital complémentaire du « monde physique ». Alicem est ainsi la préfiguration d’un service plus large d’identité numérique en cours de conception dans le cadre du programme interministériel mis en place en janvier 2018 par le ministre de l’Intérieur, la ministre de la Justice et le secrétaire d’État chargé du numérique.
  • Contribuer à la simplification des démarches administratives, en cohérence avec la priorité donnée par le programme Action Publique 2022 à la transformation numérique des administrations, avec pour objectif, 100 % de services publics avec un accès dématérialisé possible à horizon 2022.
  • Contribuer à la lutte contre l’usurpation d’identité en ligne, et de façon plus générale, contre la cybercriminalité, en proposant une identité numérique garantissant un niveau élevé de sécurité.