Scandale Facebook : Qui est Cambridge Analytica ?

Une affaire de manipulation de l’opinion publique et d’atteinte à la démocratie

Des entreprises spécialistes de la manipulation politique
Violation des règles de droit applicables à la collecte et au traitement des données personnelles
Cambridge Analytica, face émergée de l’iceberg
Facebook est prêt à mieux faire… si la loi l’y oblige

Les autorités américaines ont déclaré mercredi a décembre 2019 que la firme britannique Cambridge Analytica, connue pour le scandale de détournement massif de données d’utilisateurs de Facebook, a trompé les utilisateurs du réseau social sur sa façon de collecter et de traiter leurs informations personnelles.

Cambridge Analytica, « un service de propagande »

Alexander Nix, ancien dirigeant de la firme Cambridge Analytica, le 6 juin 2018 à Londres
Tolga AKMEN, AFP

L’histoire de Cambridge Analytica débute en 2014, selon le New York Times. À l’approche de l’élection américaine de mi-mandat, l’entreprise n’avait pas les données ou les outils nécessaires pour le ciblage politique qu’elle voulait mettre en place. Elle aurait récupéré 15 millions de dollars du milliardaire conservateur Robert Mercer, via Steve Bannon, qui jouera par la suite un rôle central dans la campagne présidentielle de Trump.

Qui est Cambridge Analytica, ce consultant de l’ombre qui se vante d’influencer des élections ?

Entreprise britannique spécialisée dans le Big Data, au cœur d’une affaire de détournement et d’exploitation de données personnelles, Cambridge Analytica est soupçonnée d’avoir contribué à l’élection en 2016 du 45e président des États-Unis, Donald Trump. Elle aurait dans ce but extorqué les données de dizaines de millions d’utilisateurs de Facebook, donnant ainsi son nom à un vaste scandale qui a permis de démasquer l’existence de trafiquants d’informations personnelles gravitant autour de la multinationale du numérique.

Si Facebook est un service « gratuit » pour ses utilisateurs, les informations personnelles et le « temps de cerveau disponible » de ces derniers sont vendus à des annonceurs. Les utilisateurs acceptaient jusqu’alors, plus ou moins consciemment, de confier leurs données, en échange de l’intérêt et du confort de vie que leur procurent les services en ligne. En ira-t-il autrement une fois comprises les dérives à des fins de propagande électorale, de promotion de théories du complot et de soutien au mouvement alternative right (ou alt-right), l’extrême droite américaine ?

Cambridge Analytica. Avec son nom sorti d’un mauvais James Bond, cette société britannique se trouve au cœur d’une polémique qui a fait tanguer Facebook en Bourse.

Le directeur général de Cambridge Analytica, Alexander Nix, en septembre 2016. — Bryan Bedder / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Accusée d’avoir récupéré les données de 50 millions d’utilisateurs du réseau sans leur consentement en 2014, la société, qui a notamment travaillé sur la campagne de Donald Trump, a suspendu son patron, Alexander Nix, ce mardi, alors que des enquêtes ont été ouvertes au Royaume-Uni et aux Etats-Unis.

Qui est Cambridge Analytica ?

Fondée en 2013, cette société privée anglo-américaine d’analyse de données et de communication stratégique, filiale du groupe britannique SLC Group, n’a pas de lien avec l’université de Cambridge. Elle se vante d’être capable « d’influencer des électeurs » dans le monde entier grâce à une « sauce secrète » qui mélange big data, profilage psychologique et microtargeting. Royaume-Uni, Kenya, Italie, Afrique du Sud, Colombie, Indonésie…. Elle aurait travaillé sur plus de 100 élections aux quatre coins du monde. Son plus gros coup : l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis.

Les hommes clés

Dans la saga actuelle, il y a cinq acteurs clés :

  • Alexander Nix, le dirigeant. Ce Britannique vient d’être suspendu par le conseil d’administration pendant la durée de l’enquête.
  • Steve Bannon, le parrain politique. L’éminence grise de Donald Trump a été vice-président de Cambridge Analytica à ses débuts.
  • Robert Mercer, le milliardaire. Ce contributeur du parti républicain et soutien de Donald Trump a injecté 15 millions de dollars dans l’entreprise, à la demande de Steve Bannon.
  • Aleksandr Kogan, le psychologue. Ce chercheur s’est basé sur les travaux de plusieurs de ses collègues de Cambridge pour récolter les données Facebook de 50 millions de personnes via un test de personnalité, puis les a vendues à Cambridge Analytica.
  • Christopher Wylie, le whistleblower. : Cet ex-employé, un Canadien de 28 ans, a lancé l’alerte. Dans une interview au Guardian, il dit regretter d’avoir « conçu l’arme de guerre psychologique de Steve Bannon ».

Quel est le lien avec Facebook ?

Selon une enquête du New York Times et du Guardian, la firme Cambridge Analytica est accusée d’avoir récupéré les données de 50 millions d’utilisateurs de Facebook sans leur consentement en 2014. Le réseau social accuse Aleksandr Kogan d’avoir enfreint sa charte en récoltant les données sous le prétexte d’une recherche universitaire avant de les vendre à l’entreprise britannique.

Facebook se présente en victime mais un ancien dirigeant affirme que l’entreprise fermait volontairement les yeux sur les abus et a laissé se développer un marché noir des données personnelles. « Il n’y avait aucun contrôle, une fois que les données quittaient les serveurs de Facebook, personne ne savait où elles allaient », affirme Sandy Parakilas au Guardian.

Le lanceur d’alerte Christopher Wylie, ancien ingénieur chez Cambridge Analytica, qualifie celle-ci de « machine à retourner le cerveau de la guerre psychologique menée par Steve Bannon ». Ex-président exécutif de Breitbart News LLC, société mère du média d’extrême droite Breitbart News, Steve Bannon a été le stratège de Donald Trump durant sa campagne pour l’élection présidentielle. Selon Christopher Wylie, Cambridge Analytica aurait également permis au camp du « Leave » de faire la différence au cours du scrutin britannique sur le Brexit. Aussi le lanceur d’alerte qualifie-t-il son ancien employeur de « danger pour la démocratie ».

Un mois seulement après avoir été embauché, en juin 2013, Christopher Wylie a compris que Cambridge Analytica travaillait à influencer l’élection présidentielle au Kenya. « Mon poste de directeur de la recherche était vacant parce que mon prédécesseur était mort dans des conditions inexpliquées dans sa chambre d’hôtel à Nairobi, alors qu’il travaillait pour Uhuru Kenyatta [actuel président du Kenya] », explique-t-il. Cambridge Analytica serait aussi intervenue dans l’élection présidentielle en Argentine, en menant une campagne contre Cristina Fernández de Kirchner.

L’interview vidéo de Christopher Wylie diffusée par le Guardian, dans laquelle il décrit les fins et les moyens de Cambridge Analytica, est stupéfiante : « Nous nous sommes servis de Facebook pour récupérer les profils de millions de personnes. Nous avons ainsi construit des modèles pour exploiter ces connaissances, et cibler leurs démons intérieurs. […] Il n’y a pas de règle pour eux [les dirigeants de Cambridge Analytica]. Ils veulent qu’une guerre des cultures ait lieu aux États-Unis. Cambridge Analytica devait être l’arsenal pour se battre. »

Le 2 mai 2018, Cambridge Analytica annonce sa mise en faillite. « Le siège mené par les médias a fait fuir presque tous nos clients et fournisseurs », a-t-elle regretté. Toutefois, ses activités semblent avoir été déjà transmises à la société Emerdata, créée en août 2017, située dans le même immeuble, avec pour partie les mêmes directeurs, la même maison mère britannique (SCL Group) et, surtout, le même objet social « Analyse de données et activités associées », avec probablement les bases de données et les algorithmes fournis par Cambridge Analytica. Dans le même temps, selon le Financial Times, une autre entreprise baptisée Auspex International a été fondée, en juillet 2018, par d’anciens employés de Cambridge Analytica, pour développer la même activité d’exploitation de données en Afrique et au Moyen-Orient. En outre, plusieurs salariés de Cambridge Analytica ont été embauchés, début 2018, par la société Data Propria, installée en Californie et spécialisée dans le marketing numérique, plus particulièrement dans la psychographie, mélange de science politique, de psychologie comportementaliste et de Big Data. Cette entreprise a signé divers contrats de partenariat avec la direction nationale du Parti républicain, avec pour objectif les élections de mi-mandat, le 6 novembre 2018. Elle travaillerait déjà à la réélection de Donald Trump en 2020.


Cambridge Analytica, face émergée de l’iceberg

La révélation de l’affaire Cambridge Analytica, le 19 mars 2018, a fait chuter de 7 % l’action Facebook à la Bourse de New York, entraînant une perte de 60 milliards de dollars de capitalisation boursière. Le 10 avril 2018, son patron Mark Zuckerberg a été auditionné par le Sénat américain, un événement qui traduit la gravité de la situation. Le réseau social s’est trouvé dans l’obligation de réagir, en prenant des mesures fortes. Il a commencé par lancer un vaste chantier d’analyse des applications partenaires ayant accès aux données personnelles de ses membres. Résultat : pas moins de 400 d’entre elles ont été suspendues, témoignant de l’ampleur des pratiques abusives de collecte de données. Une fois les données Facebook transférées sur d’autres serveurs, il n’y a plus aucun moyen, en effet, pas même pour le réseau social, de savoir ce qu’elles adviennent et quel usage il en sera fait.

Sources :

  • « Ce qu’il faut savoir sur le scandale Cambridge Analytica qui fait vaciller Facebook »,
    Klervi Drouglazet, usine-digitale.fr, 21 mars 2018.
  • « Cambridge Analytica : tout comprendre sur la plus grande crise de l’histoire de Facebook en 7 questions », Kévin Deniau, siecledigital.fr, 23 mars 2018.
  • « Retour sur le scandale Cambridge Analytica et la (molle) réponse de Facebook », Guénaël Pépin, nextimpact.com, 23 mars 2018.
  • « Cambridge Analytica and Facebook : What happened and did the company shift many votes ? », Alan Martin, alphr.com, April 5, 2018.
  • « Cambridge Analytica : comprendre le dossier en 5 minutes », Étienne Wery, droit-technologie.org, 10 avril 2018.
  • « Cambridge Analytica est mort, vive Emerdata ? », Sebastian Seibt, france24.com, 3  mai 2018.
  • « Cambridge Analytica : de nouveaux chiffres nuancent l’effet du mouvement #DeleteFacebook », Nelly Lesage, numerama.com, 21 mai 2018.
  • « Devant les eurodéputés, Facebook affirme qu’aucune donnée de ses utilisateurs européens n’a été transmise à Cambridge Analytica », La Correspondance de la Presse, 28 juin 2018.
  • « Données personnelles : merci Facebook ! », Georgia Wells, The Wall Street Journal & L’Opinion, 3 juillet 2018.
  • « Cambridge Analytica : le FBI enquête à son tour sur Facebook », Lucas Mediavilla, Les Echos, 4 juillet 2018.
  • « E-mail Inboxes Get Scanned », Douglas MacMillan, The Wall Street Journal & L’Opinion, 4 juillet 2018.
  • « Cambridge Analytica : une nouvelle société serait sur les rails », #LeBrief, NextInpact, nextinpact.com, 12 juillet 2018.
  • « La Commission européenne prépare un texte anti-Cambridge Analytica », Basile Dekonik, LesEchos.fr, 30 août 2018.
  • « How Whistleblower Christopher Wylie Is Seeking Redemption After Cambridge Analytica », Billy Perrigo, time.com, September 20, 2018.
  • « Piratage, données, manipulation russe : les scandales qui empoisonnent Facebook », AFP, tv5monde.com, 29 septembre 2018.