Cédric O, fou de reconnaissance faciale

« Si nous continuons à somnoler, nous finirons par nous réveiller en Chine. Et tout aura été fait pour notre “bien”, évidemment. »

C’est peu de dire que le projet du gouvernement de tester la reconnaissance faciale dans les lieux publics a été fraîchement accueillie par l’opposition, le tweet du député européen Raphaël Glucksmann résume parfaitement les griefs contre cette idée.

Au départ, il s’agit d’une interview de Cédric O, le secrétaire d’État au Numérique, qui répond au Parisien le 24 décembre 2019 (voir interview ci-dessous) à des questions sur la biométrie, et notamment la mise en place du système Alicem, une application qui permettra de se connecter aux services publics à l’aide de son smartphone et de la reconnaissance faciale. Pour l’instant, c’est en stand-by, et reste donc en phase de test.

Dans les gares et les aéroports ?

Et à propos de test et de reconnaissance faciale, Cédric O révèle que la biométrie pourrait bientôt apparaître dans les lieux publics. « Le gouvernement souhaite donc ouvrir une phase d’expérimentation, de six mois à un an, sous la supervision de la société civile et des chercheurs. Cela doit nous permettre d’avoir des retours sur les différents cas d’usage et sur la performance réelle de cette technologie, ainsi que sur les questions qui se posent », répond-il à nos confrères.

Concrètement, « pour les personnes consentantes » selon le règlement RGPD cité par Les Échos, il sera possible d’être identifié sur les caméras de surveillance. Pour quelle utilité ? On évoque les gares et les aéroports pour accéder aux quais ou à la zone d’embarquement sans sortir son billet. Des applications concrètes qui inquiètent des organisations, dont la Ligue des droits de l’Homme, qui craignent une dérive sécuritaire et une utilisation exclusivement répressive de la vidéosurveillance.

Arrêté du 3 août 2007 portant définition des normes techniques des systèmes de vidéosurveillance.

Entretien du 24/12/2019 avec Thierry Vallat, avocat, spécialiste du droit du numérique. Il était invité à expliquer le fonctionnement légal d’Alicem, l’application développé par le ministère de l’Intérieur et destinée à identifier les citoyens, sur certains sites de services publics, par la reconnaissance faciale.

La reconnaissance faciale est une technique qui permet à partir des traits de visage :

  • D’authentifier une personne : c’est-à-dire,  vérifier qu’une personne est bien celle qu’elle prétend être (dans le cadre d’un contrôle d’accès)
  • ou
  • D’identifier une personne : c’est-à-dire, de retrouver une personne au sein d’un groupe d’individus, dans un lieu, une image ou une base de données.

https://www.cnil.fr/fr/definition/reconnaissance-faciale

Reconnaissance faciale : ces projets du gouvernement qui inquiètent les associations

Le JDD  le 27 décembre 2019

Le secrétaire d’Etat chargé du numérique Cédric O. a annoncé mardi souhaiter une expérimentation “de six mois à un an” de l’utilisation de la reconnaissance faciale sur des images de vidéosurveillance. Un nouveau dispositif qui divise, alors que les associations de défense des libertés numériques s’inquiètent de la multiplication des initiatives utilisant cette technologie controversée. 

Objet de nombreux fantasmes et critiques, la reconnaissance faciale gagne petit à petit du terrain en France. Alors que le gouvernement a lancé en mai dernier une application mobile permettant de s’identifier sur plusieurs services administratifs en ligne via cette technologie, l’exécutif souhaite désormais une expérimentation dans la vidéosurveillance. Ce test, dont les détails ne sont pas encore connus, dureraient de six mois à un an. Le JDD fait le point sur ces projets qui inquiètent les défenseurs des libertés numériques.

Reconnaissance faciale sur la vidéosurveillance : une phase d’expérimentation “de 6 mois à un an”

Il souhaite “un débat apaisé” sur un sujet “qui suscite trop de projections irrationnelles dans un sens comme dans l’autre”. Mardi, dans les colonnes du Parisien, le secrétaire d’Etat au numérique Cédric O. a fait part du souhait du gouvernement d'”ouvrir une phase d’expérimentation de six mois à un an” sur l’utilisation de la reconnaissance faciale sur les images de vidéosurveillance, le tout “sous la supervision de la société civile et des chercheurs”.

Les détails de cette expérimentation ne sont toutefois pas encore connus. Auprès des Echos, le gouvernement ne donne aucune date et précise que le comité d’expert n’a pas encore été formé. Le quotidien économique précise en revanche que “seuls les individus qui auront donné leur consentement seront identifiés lors de cette expérimentation”.

Pour le secrétaire d’Etat, une telle expérimentation “doit nous permettre d’avoir des retours sur les différents cas d’usage et sur la performance réelle de cette technologie, ainsi que les questions qui se posent”. Car Cédric O. le reconnaît : la reconnaissance faciale comporte “de toute évidence des avantages et des opportunités, mais aussi un certain nombre de risques pour les libertés publiques”.

Le gouvernement temporise sur Alicem

Dans cette même interview, Cédric O. revient sur le controversé programme Alicem. Autorisée par un décret publié en mai, l’application, encore en phase de tests par le ministère de l’Intérieur et l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS), proposera à l’utilisateur (sur Android uniquement) de se créer une identité numérique sécurisée lui permettant de se connecter à de nombreux services publics en ligne. Mais la création de cette identité numérique ne sera possible qu’après une reconnaissance faciale effectuée à l’aide du smartphone, comparant le visage de l’usager à celui présent sur son passeport ou son titre de séjour biométrique précédemment scanné. 

Dès la publication du décret, le projet a suscité une levée de boucliers. Dénonçant “un outil non pas au service du citoyen, mais contre lui”, la Quadrature du Net a déposé un recours auprès du Conseil d’Etat pour faire annuler le texte. “Le gouvernement cherche à imposer la reconnaissance faciale à tous les citoyens via des outils d’identification numérique”, dénonce l’association, fustigeant un moyen “de normaliser la reconnaissance faciale comme outil d’identification, en passant outre la seule condition qui devrait être acceptable pour son utilisation : notre consentement libre et explicite”.

Du côté de la Commission nationale informatique et liberté (Cnil), on s’inquiète de l’absence d’alternative à la reconnaissance faciale pour recourir à Alicem. Dans une note publiée mi-novembre, le gendarme français des données personnelles a détaillé sa position sur la technologie au coeur du dispositif. Reconnaissant “des cas légitimes et légaux d’usage de la reconnaissance faciale”, la Cnil appelait cependant à “tracer des lignes rouges avant même tout usage expérimental”. Et de rappeler l’importance du “consentement” des personnes visées, ainsi que la garantie d’un droit de retrait du dispositif ou encore la “sécurité” des données biométriques.

Le gouvernement, lui, avait assuré à plusieurs reprises qu’il ne serait pas obligatoire de créer un compte Alicem pour se connecter sur ces sites. Dans Le Parisien, Cédric O annonce par ailleurs “qu’aucune date de déploiement plus large n’a été validée”. Et le secrétaire d’Etat de se montrer évasif quant à l’avenir du projet en tant que tel. “Nous proposerons une solution d’identité en ligne, car cela permettra de faciliter nombre de démarches des Français. Cette solution s’appellera-t-elle Alicem, et aura-t-elle exactement les mêmes fonctionnalités techniques? Ce n’est pas certain. Elle devrait toutefois être assez similaire”, explique-t-il.

Surveillance de masse en Chine, manque de fiabilité : les critiques se multiplient

Les controverses autour de la reconnaissance faciale se sont multipliées ces derniers mois. Le 20 décembre, un rapport du gouvernement américain remettait en cause la fiabilité des systèmes de reconnaissance faciale, en relevant qu’ils identifiaient à tort les personnes asiatiques ou noires cent fois plus souvent que les personnes blanches. En avril, le New-York Times révélait que les autorités chinoises utilisaient la même technologie pour surveiller les mouvements des Ouïghours, la minorité musulmane du pays.

En France, les associations s’inquiètent également des dérives que les dispositifs à l’étude pourraient entraîner sur les libertés individuelles. “Il y a toujours un risque que, dans deux ou trois ans, une nouvelle vague d’attentats pousse des politiques à demander la connexion de ce fichier aux fichiers de police”, explique par exemple dans Marianne Laurent Mucchielli, directeur de recherche au CNRS, à propos d’Alicem. 

Par Caroline Piquet
Le 24 décembre 2019
 AFP/Eric Baradat

Reconnaissance faciale : Cédric O n’est «pas certain» qu’Alicem soit un jour déployée
Le secrétaire d’Etat au Numérique prévient toutefois : « une solution d’identité en ligne » avec reconnaissance faciale sera bien mise en place, mais dans une forme qui pourrait légèrement évoluer.

Avoir accès à certains services publics qui exigent de montrer patte blanche, sans avoir à se déplacer. C’est l’objectif, à terme, du programme Alicem (Authentification en ligne certifiée sur mobile), censé permettre de « prouver son identité sur Internet de manière sécurisée ».

Concrètement, Alicem prendrait la forme une application mobile sur smartphone, disponible à ce stade uniquement sur Android. Sa particularité : pour s’inscrire au service, l’utilisateur doit avoir recours à la reconnaissance faciale. Une technologique loin d’être anodine, a mis en garde la Cnil, qui évoque des enjeux « considérables » en matière de protection des données et d’atteintes aux libertés individuelles.

Le décret autorisant la création de l’application a été publié en mai dernier, mais le programme est toujours en phase de test. Une ouverture générale avait été évoquée pour le mois de novembre, avant d’être démentie. Cédric O, le secrétaire d’Etat au Numérique, répond aux questions du Parisien.

La date du déploiement d’Alicem a-t-elle été décidée ?

CEDRIC O. Pour l’instant, aucune date de déploiement plus large d’Alicem n’a été validée. Un travail de consultation est en cours par le Conseil National du Numérique ainsi qu’une mission parlementaire. Il nous faut toutefois continuer à tester l’application afin de pouvoir proposer aux Français une solution d’identité certifiée en ligne à l’horizon mi-2021. Celle-ci devra permettre de s’identifier de manière élevée, c’est-à-dire d’accéder à des usages qui nécessitent de certifier l’identité de la personne qui est devant l’écran ou le téléphone portable. Alicem préfigure cette solution, même si elle ne constitue pas forcément exactement la solution retenue.

Alicem pourrait donc ne jamais être ouverte au grand public ?

Soyons très clairs : nous proposerons une solution d’identité en ligne, car cela permettra de faciliter nombre de démarches des Français. Cette solution s’appellera-t-elle Alicem, et aura-t-elle exactement les mêmes fonctionnalités techniques ? Ce n’est pas certain. Elle devrait toutefois être assez similaire.

Est-ce qu’il existera une alternative pour les utilisateurs qui souhaiteraient avoir accès au service, sans avoir recours à la reconnaissance faciale, comme le demande la Cnil ?

Le jour où nous déploierons largement une solution d’identité numérique, nous proposerons nécessairement une alternative à la reconnaissance faciale pour s’enrôler. Il y aura probablement une manière « physique » de s’inscrire, en se déplaçant en guichet – dans votre mairie par exemple.

L’objectif est de faire en sorte que l’on puisse ensuite vous ouvrir l’accès à des services privés ou public en ligne en ayant la certitude que vous êtes bien l’utilisateur. Pour cela, il faut que la correspondance entre vous et votre titre d’identité soit certifiée – soit en présentiel soit automatiquement par analyse d’une de vos caractéristiques physiques propres. D’autres solutions existent, comme les empreintes digitales, mais elles posent des problèmes de sécurité, par exemple au niveau des capteurs. Il ne faut en effet pas que cette identification puisse être falsifiée. À ce jour, le moyen le plus sécurisé dont nous disposons, c’est la reconnaissance faciale.

Comment l’Etat va-t-il garantir la protection des données biométriques faciales ?

Dans le cas d’Alicem, l’Etat ne conserve pas les données utilisées pour l’identification. Afin de vérifier que la personne devant le téléphone correspond à celle qui a fourni son titre d’identité, l’application vous invite à bouger votre visage devant la caméra – ce qui permet de vérifier qu’il ne s’agit pas d’une photo. Le téléphone envoie ensuite ces images sur un serveur sécurisé de l’ANTS pour comparer ces images avec votre photo d’identité. Une fois que nous avons confirmation qu’il s’agit de la bonne personne, ces images sont détruites.

Cette démarche est précisée dans les conditions d’utilisation d’Alicem et est indispensable à l’acceptabilité du système. L’objectif, c’est de faire en sorte que cette démarche soit la plus sécurisée possible. C’est tout l’enjeu de la certification de l’identité de niveau élevé qui est menée par l’ANSSI [Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information].

À quels services de l’Etat Alicem permettra d’avoir accès à court terme, mais aussi à plus long terme ?

Alicem permet aujourd’hui de s’identifier à France Connect, et donc d’accéder à un certain nombre de services publics [ Impots.gouv.fr, Ameli, mesdroitssociaux.gouv.fr, etc. ]. Les cas d’usage sont toutefois encore limités, puisque la solution n’est par définition pas encore disponible.

À plus long terme, l’identité numérique donnera accès à de nombreux de services de l’Etat, mais aussi privés, qui nécessitent une identification en physique. Je pense à la santé ou au renouvellement des cartes d’identité, par exemple. Côté services privés, cela peut permettre de dématérialiser entièrement toute démarche qui nécessite une vérification d’âge : ouvrir un compte en banque, avoir accès à des services de jeux en ligne nécessitant une identification…

Il s’agira d’un facteur de simplicité extraordinaire, puisque cela permettra de dématérialiser quasiment l’entièreté de toutes les procédures, avec un niveau de certification de l’identité élevé.

L’utilisation de la reconnaissance faciale en temps réel sur les images de vidéosurveillance est-elle à l’étude ?

Cette utilisation n’est aujourd’hui pas autorisée, car le RGPD interdit l’utilisation de la reconnaissance faciale sans le consentement des personnes qui y sont soumises. Je souhaite que nous puissions avoir un débat apaisé sur ce sujet, qui suscite trop de projections irrationnelles, dans un sens comme dans l’autre. Le gouvernement souhaite donc ouvrir une phase d’expérimentation, de six mois à un an, sous la supervision de la société civile et des chercheurs. Cela doit nous permettre d’avoir des retours sur les différents cas d’usage et sur la performance réelle de cette technologie, ainsi que sur les questions qui se posent.

Il sera ensuite nécessaire, selon moi, d’avoir un débat public, un peu à l’image de ce qu’il s’est passé dans le cadre de la loi de bioéthique et comme le demande la Cnil. Les Français doivent pouvoir discuter des cas d’usage – à la fois dans la vie de tous les jours, mais également en matière de sécurité – et de l’équilibre entre ces usages et la protection de la vie privée, mais aussi des éventuelles garanties à inventer. Il y a de toute évidence des avantages, et des opportunités, mais aussi un certain nombre de risques pour les libertés publiques.

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