Se soigner devient un luxe !

À partir du 1er janvier prochain, les patients refusant les médicaments génériques sans justification du médecin seront moins bien remboursés.

Pour cet antidouleur, cette pilule, cet antibiotique, cet anti-inflammatoire… que vous prescrit votre médecin depuis des années, le pharmacien vous a convaincu une fois de prendre la version générique. Vous ne savez pas vraiment pourquoi – le médicament générique ayant exactement les mêmes effets sur la santé – mais il ne vous a pas convenu.

Depuis, votre médecin inscrit systématiquement la mention « non substituable » sur l’ordonnance et plus personne ne vous pose de questions. À partir du 1er janvier prochain, votre médecin ne sera plus en droit de le faire. En refusant que le pharmacien vous fournisse le médicament générique en lieu et place du princeps, vous n’aurez plus droit au tiers payant et vous serez remboursé sur la base du tarif du médicament générique le plus cher du groupe générique correspondant.

Par Alexandra Ducamp – Corse Matin – 28 décembre 2019

100 millions d’économie et trois exceptions

« Nous demandons aux Français qui voudront accéder à un médicament de nom de marque de mettre de leur poche », avait expliqué la ministre de la Santé Agnès Buzyn lors de l’annonce de la mesure en septembre 2018. Le taux de substitution générique-princeps dépassait l’an dernier les 80% en France mais les « mécanismes en faveur de la substitution montrent aujourd’hui un certain essoufflement », justifie le gouvernement.

Qui vise les 90 % avec cette mesure.

Pour obtenir un médicament de marque sans reste à charge et en bénéficiant du tiers payant, le médecin devra fournir une justification médicale sur l’ordonnance. Un arrêté ministériel du 19 novembre dernier, prévoit trois situations médicales qui peuvent justifier un refus de substitution.

Première situation : quand la marge thérapeutique du médicament est dite étroite (MTE). Comprendre, lorsque les patients sont effectivement stabilisés avec un médicament, et à l’exclusion des phases d’adaptation du traitement. Le médecin devra mentionner sur l’ordonnance « non substituable MTE ». Cette situation ne concerne que certains principes actifs : entre autres, certains médicaments prescrits aux personnes épileptiques, les immunosuppresseurs ou hormones thyroïdiennes (dont le Levothyrox), mais aussi des traitements antirejet*. Le médecin pourra également refuser la substitution si le patient présente « une contre-indication formelle et démontrée à un excipient à effet notoire présent dans tous les médicaments génériques disponibles et que le médicament de référence correspondant ne comporte pas cet excipient ». Pas si simple de pouvoir prouver que l’on est allergique sans un dossier médical pointu. Par ailleurs, il est autorisé de refuser la substitution pour la prescription chez l’enfant de moins de 6 ans, lorsqu’aucun médicament générique n’a une forme galénique adaptée et que le médicament de référence disponible permet cette administration.

Une mesure subie par les pharmaciens, qui agace aussi les médecins. Et qui a pour objectif d’économiser 100 millions d’euros dans le budget de la Sécurité sociale ; les génériques étant, selon le gouvernement, 40 % moins chers.

*Il s’agit de : lamotrigine, lévétiracétam, pregabaline, topiramate, valproate de sodium et zonisamide (des antiépileptiques), lévothyroxine (une hormone thyroïdienne), azathioprine, ciclosporine, évérolimus, mycophénolate mofétil et mycophénolate sodique (des immunosuppresseurs) et buprénorphine (un traitement substitutif aux opiacés).

Une « sanction financière immédiate » pour les pharmaciens

Ils n’en ont pas fini de devoir expliquer à leurs clients au comptoir l’impact de cette nouvelle réglementation. Pas si simple de refuser un tiers payant ou d’imposer un générique à un réfractaire. « On a déjà commencé à le faire mais nous nous sentons un peu comme les dindons de la farce, estime le Dr Valérie Ollier, présidente du Syndicat général des pharmaciens des Bouches-du-Rhône. C’est la loi, on va s’y conformer mais tout cela s’est fait dans la précipitation. C’est brutal. Et comme nous sommes au bout de la chaîne, c’est sur nous que cela retombe ». Passer du temps au comptoir pour expliquer les bénéfices et les risques de telle ou telle prescription, « cela fait partie de notre métier. Mais pas de passer des heures à expliquer la loi ». Et ses conséquences financières, pour le client comme pour le pharmacien.

D’autant que la pression est forte : « On sait que, dans les Bouches-du-Rhône, le taux de substitution est en dessous de celui des autres départements. La CPAM va donc suivre avec attention l’application de la loi. Et si nous ne le faisons pas, la sanction sera immédiate, car le dossier sera rejeté et on ne sera pas payé ». Les informaticiens de la pharmacie sont à l’oeuvre pour mettre en place les nouvelles conditions de remboursement dans le logiciel. « Nous n’avons pas la main sur les tarifs, on ne peut qu’appliquer ».

La Fédération des pharmaciens d’officine avait officiellement demandé le report de trois mois de la réforme. Sans succès. Et elle attend beaucoup de nouveaux arrêtés qui pourraient leur laisser une marge d’appréciation. « J’ai une famille d’aveugles. Je ne m’amuse pas à leur donner des génériques. La loi ne prévoit pas ce genre de cas mais on espère que la loi va être affinée et nous donner une marge d’appréciation ». Sur le plan comptable, les génériques sont moins chers que les princeps, mais les pharmaciens bénéficient d’une marge plus importante. « Au départ, c’est vrai. Cela a été fait pour nous encourager à proposer des génériques. Mais la marge sur les princeps a baissé. Au global, nos bénéfices sont en baisse d’année en année. Je peux vous dire que l’on participe largement aux économies réalisées par la Sécurité sociale ».

Réaction des médecins : des « risques de confusion » et des « effets pervers »

« La personne âgée, celle qui est malvoyante et qui est habituée à son traitement, l’illettré qui ne connaît pas le nom des médicaments et qui se repère aux couleurs de la boîte, j’en fais quoi, moi ? » interroge le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux français. Le CSMF a dénoncé clairement la mesure évoquant une « nouvelle dérive bureaucratique » et a appelé les généralistes comme les spécialistes à ne pas s’y conformer.

« Le médecin connaît son patient et sait ce qui est le mieux pour lui. Et là, nous allons faire face à de nombreux risques de confusion. Car un générique peut être produit par différents laboratoires, explique le Dr Ortiz. Et puis, vous ne pensez pas que l’on a autre chose à faire que de se justifier avec des codes à la con ? Je n’ai rien contre les génériques mais la liste (des principes actifs pour lesquels le médecin peut imposer le princeps) est ahurissante. Pour les immunosuppresseurs, par exemple, que prennent les patients qui ont été greffés, toutes les molécules n’y sont pas. Alors que ce sont des médicaments à marge thérapeutique étroite et que le risque de complications est important ».

Depuis plusieurs jours, le Dr Belaubre a, lui, posé sur son bureau une affichette expliquant la mesure. « Une patiente vient de me demander comme d’habitude de noter la mention non-substituable. Elle refuse le générique ». Et comme elle a les moyens, elle paiera la différence pour poursuivre son traitement avec le princeps. Ce psychiatre devra prendre en compte, aussi désormais, la question du générique dès lors qu’un traitement ne sera pas à la hauteur des attentes. « Dans toutes les prescriptions, il y a une part d’effet placebo. En psychiatrie, il n’est pas négligeable d’autant que nous n’avons pas de médicaments très ciblés. Tout praticien a une histoire particulière avec les génériques et ce, sans a priori. Parfois, je conseille une marque de générique plutôt qu’une autre à mes patients quand on remarque qu’il y a des effets secondaires sur certains. Mais tout cela est très empirique. En psychiatrie, cette chimie est déjà compliquée au départ. Quand vous prescrivez un hypotenseur, généralement, la tension baisse, alors que vous pouvez très bien prescrire un antidépresseur et que le patient soit toujours autant déprimé… » Et de pointer « les effets pervers » de certains génériques fabriqués avec des excipients au rabais ou contenant un principe actif en moindre quantité. « Si le générique était exactement identique au princeps, il n’y aurait pas cette liste d’exceptions pour les médicaments à marge thérapeutique étroite… Il faudra faire avec cette nouvelle disposition ».

Un médicament générique :
  • est conçu à partir de la molécule d’un médicament déjà autorisé (appelé médicament d’origine ou princeps) dont le brevet est désormais tombé dans le domaine public.  
  • doit avoir la même composition qualitative et quantitative en principes actifs, la même forme pharmaceutique que le princeps et démontrer qu’il a la même efficacité thérapeutique (même biodisponibilité).

Le docteur Michel Cymes tord le cou à cette idée très française selon laquelle le médicament générique étant moins cher, il est sans doute moins efficace.

www.rtl.fr – PUBLIÉ LE 03/12/2019 

J’ai l’impression que les Français ont peur des génériques. C’est en tout cas ce que laissent supposer les chiffres. Chez nous, ces médicaments représentent un peu plus d’un tiers des volumes de vente alors que dans des pays comme l’Allemagne ou le Royaume Uni, les génériques représentent 80% des médicaments vendus. 

Je ne sais pas d’où vient cette défiance. Enfin, j’ai quand-même ma petite idée. Comme toujours en France, quand une recommandation vient d’en haut, en l’occurrence des autorités, elle est mal vécue, mal perçue.

On n’est pas au pays d’Astérix pour rien. Reste, dans les cortex, cette idée selon laquelle le médicament générique étant moins cher, il est sans doute moins efficace, ce qui est évidemment faux.

Pourquoi ces médicaments sont moins chers ?

Il faut comprendre comment fonctionne l’industrie pharmaceutique. Les chercheurs mettent des années, parfois des décennies pour trouver la molécule qui soigne. Quand ils tiennent un médicament, ils obtiennent une autorisation de mise sur le marché.

À partir de là, le médicament rapporte de l’argent au laboratoire qui gagne sa vie mais qui en profite aussi pour financer de nouvelles recherches. Parce qu’au bout de 10 ans, la molécule tombe dans le domaine public. Ce qui fait que les laboratoires concurrents peuvent s’en saisir pour vendre le médicament sous un autre nom. Ces labos n’ayant pas eu à financer la recherche, ils peuvent vendre ce générique moins cher. Elle est là et uniquement là l’explication d’un prix plus abordable.

Seuls les excipients changent

Encore une fois, rien à voir avec le niveau d’efficacité du médicament. La qualité est la même. La molécule active est la même. La dose est la même. Seuls les excipients diffèrent. Les excipients, ce sont des composés qui permettent de faciliter l’absorption du médicament. Ça concerne la forme, le goût, la couleur. Pas le principe actif.

Ceci étant, certaines personnes disent mal tolérer les génériques. Cela vient du fait que certains excipients puissent avoir des effets secondaires chez certains patients qui souffrent d’allergie. Mais attention ! Ça fonctionne dans les deux sens. Parfois, ce sont les excipients du médicament de référence qui posent problème auprès de certaines personnes. L’efficacité du médicament, elle, n’est à aucun moment remise en cause.

Un patient peut-il refuser un générique?

Oui. Il peut dire à son médecin : « Je ne veux pas de générique ». Mais je lui conseille quand même d’argumenter. S’il a par exemple une allergie, c’est une bonne raison. Dans ce cas, le médecin l’indique sur l’ordonnance. Il met le nom du médicament de référence et précise : « Non substituable ». C’est écrit noir sur blanc à côté.

Si la mention ne figure pas sur l’ordonnance, vous pouvez toujours négocier auprès de votre pharmacien lors de l’achat du médicament. Le pharmacien n’ayant aucun intérêt à se fâcher avec vous, il accédera sans doute à vos désirs. Mais vous devez savoir que vous serez obligé d’avancer les frais supplémentaires que ça occasionne. Vous n’aurez pas droit au tiers-payant.

Par ailleurs, le remboursement prendra sans doute un peu plus de temps et il y a de fortes chances que vous ne soyez remboursé que sur la base du prix du générique. Pour l’instant, cette mesure ne concerne que certains médicaments. Mais dès l’an prochain, il en sera ainsi pour tous les médicaments. Donc vous le voyez, vous n’avez aucun intérêt à snober les génériques.

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