Fraude fiscale & Réseaux sociaux

Fisc, douanes : la surveillance de masse des réseaux sociaux validée par le Conseil Constitutionnel

Le fisc et les douanes pourront expérimenter la surveillance de masse des réseaux sociaux : le ministre de l’Action et des comptes publics Gérald Darmanin l’a annoncé : Le Conseil Constitutionnel valide une expérimentation de trois ans comme le prévoit le projet de Loi des finances 2020. Le but est de mieux lutter contre la fraude fiscale. 

De nombreux députés avaient en effet saisi le Conseil constitutionnel autour de l’article 154 du PLF 2020 estimant d’une part que l’article et la surveillance de masse des réseaux sociaux qu’il engendre ne relevait pas du domaine des lois de finances et d’autre part qu’il porterait « une atteinte inconstitutionnelle au droit au respect de la vie privée, au droit à la protection des données personnelles et, dès lors qu’il conduirait les utilisateurs d’internet à s’autocensurer, à la liberté d’expression et de communication ».

Si le Conseil constitutionnel a donné son feu vert aux nouveaux outils du fisc, celui-ci ne pourra pas utiliser toutes les données collectées. Une partie de la mesure a été censurée.

Le 4 janvier 2020

La collecte et l’utilisation par le fisc de données publiées sur les réseaux sociaux pour traquer les fraudeurs. Dans l’ensemble, l’article 154 de la loi de Finances – qui autorise donc la collecte de données sur Facebook, Instagram, Twitter ou encore Leboncoin puis le traitement automatisé – a été validé par le Conseil Constitutionnel.

Ce dernier juge que « le législateur a assorti le dispositif contesté de garanties propres à assurer, entre le droit au respect de la vie privée et l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, une conciliation qui n’est pas déséquilibrée ». Pour le ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, c’est une bonne nouvelle. Et, surtout un « outil de plus pour lutter contre la fraude », s’est félicité le ministre.

Une censure partielle de la mesure

Toutefois, le Conseil Constitutionnel a retoqué une partie des nouveaux outils dont voulait se doter l’administration fiscale. Il interdit en effet « la collecte et l’exploitation automatisées de données pour la recherche du manquement sanctionnant d’une majoration de 40 % le défaut ou le retard de production d’une déclaration fiscale dans les trente jours suivant la réception d’une mise en demeure. »

Dans les faits, si le fisc vous envoie une mise en demeure vous réclamant une déclaration fiscale, et que vous ne répondez pas dans les temps impartis, il ne pourra pas s’appuyer sur vos photos Instagram ou Facebook qui prouvent que vous étiez chez vous et que vous avez donc très certainement reçu son courrier. Selon le Conseil Constitutionnel, dans ce cas précis, l’administration fiscale «qui a mis en demeure le contribuable de produire sa déclaration, a déjà connaissance d’une infraction à la loi fiscale, sans avoir besoin de recourir au dispositif automatisé de collecte de données personnelles».

Enfin, si la mesure est en partie censurée, le Conseil Constitutionnel a malgré tout validé la phase d’expérimentation du dispositif, prévue pendant trois ans.

Après l’affaire Cahuzac, du nom de l’ex-ministre du Budget qui avait dissimulé au fisc de l’argent à l’étranger, le gouvernement avait créé en juin 2013 une cellule temporaire pour permettre aux exilés fiscaux – ou à leurs ayants droit – de se déclarer volontairement et de se mettre en conformité avec le fisc, moyennant une remise de pénalités sur les avoirs régularisés. Entre 2014 et 2017, le « Service de traitement des déclarations rectificatives » (STDR) a permis de régulariser 32 milliards d’euros d’avoirs et fait rentrer 8 milliards de redressements fiscaux dans les caisses de l’Etat. Mais ce dispositif à vocation temporaire a été dissous au 31 décembre 2017.

Le texte porte bien atteinte aux libertés, mais il le fait de manière proportionnée

Le Conseil constitutionnel a rappelé qu’une Loi des finances peut comporter « des dispositions relatives à l’assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toute nature qui n’affectent pas l’équilibre budgétaire ». Le dispositif prévu par l’article est ainsi compris comme un « nouveau dispositif de contrôle pour le recouvrement de l’impôt », et a donc pour le Conseil constitutionnel toute sa place dans le projet de loi de finances 2020. Quant à la dimension « liberticide » de cette expérimentation, les membres du conseils concèdent que la mesure porte « également atteinte à l’exercice de la liberté d’expression et de communication ».

Mais le Conseil ajoute immédiatement que le législateur a déjà limité le nombre de manquements susceptibles d’être recherché par ce biais avec des cas d’infractions particulièrement graves et difficiles à déceler autrement. Par ailleurs, le fait que ces données aspirées doivent être en libre accès (le Fisc ne peut pas consulter des comptes privés) et rendus volontairement publics par les administrés, ainsi qu’une série d’autres garanties (le Fisc et les douanes ne peuvent pas par exemple faire usage de reconnaissance faciale) – ainsi que le fait que les données sans rapport avec les infractions soient supprimées dans les cinq jours, amène à la conclusion que le dispositif est proportionné.

Le Conseil ajoute dans son délibéré qu’en l’état « aucune procédure pénale, fiscale ou douanière ne peut être engagée sans qu’ait été portée une appréciation individuelle de la situation de la personne par l’administration, qui ne peut alors se fonder exclusivement sur les résultats du traitement automatisé ». Et que les administrés visés par une procédure « bénéficient, notamment, des garanties relatives à l’accès aux données, à la rectification et à l’effacement de ces données ainsi qu’à la limitation de leur traitement ». Le Conseil constitutionnel estime donc « que l’atteinte à l’exercice de la liberté d’expression et de communication est nécessaire, adaptée et proportionnée aux objectifs poursuivis ».

Le Conseil constitutionnel a néanmoins censuré une partie de l’article qui aurait permis à l’administration fiscale de sanctionner d’une majoration de 40% « le défaut ou le retard de production d’une déclaration fiscale dans les trente jours suivant la réception d’une mise en demeure », lorsque l’infraction a été constatée grâce à une surveillance automatisée. L’article a donc été validé à l’exception de cette disposition. Le Conseil invite par ailleurs les parlementaires à amender le texte si ils l’estiment nécessaire « au regard des atteintes portées aux droits et libertés », tout en tenant compte de son « efficacité dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales ».

Les sages se proposent alors d’examiner de nouveau le texte. Ce n’est donc pas encore un blanc seing total pour cette mesure, mais Gérald Darmanin a tout de même préféré saluer « un outil de plus pour lutter contre la fraude ».

Pour dénicher les petits fraudeurs, Bercy a mis le paquet sur le data-mining. En croisant des données – identité, informations bancaires et patrimoniales, données issues d’autres administrations et d’organismes sociaux, données nationales et étrangères… – l’administration fiscale a boosté la cagnotte des redressements. Dans les mois qui viennent, un logiciel d’intelligence artificielle pourra également passer au crible les déclarations foncières des contribuables.


la surveillance de masse des réseaux sociaux, ce qu’il faut savoir

Le Fisc et les douanes pourront désormais surveiller Facebook, Instagram, Twitter et Le Bon Coin : l’Assemblée Nationale vient de voter la surveillance de masse des réseaux sociaux, une mesure controversée dont le but est de mieux lutter contre la fraude. Les députés ont choisi d’ignorer les réserves de la CNIL qui parlait pourtant d’une mesure «potentiellement liberticide». Voici ce que cela signifie concrètement.

Le ministère de l’Economie et des finances est les douanes pourront désormais espionner l’activité publique des administrés sur Facebook, Twitter, Instagram et les réseaux sociaux dans leur ensemble ainsi que des plateformes comme Le Bon Coin, eBay et Airbnb pour mieux lutter contre la fraude fiscale. Les députés ont en effet adopté l’article 57 du projet de loi de finance pour 2020 mercredi 17 novembre 2019. Article qui permet la surveillance des plateformes avec des programmes informatiques, en particulier l’intelligence artificielle. Pour autant, la surveillance des réseaux sociaux par les impôts et les douanes n’est pas une nouveauté.

Un dispositif qui se veut proportionné

D’ailleurs, la redoutable IA de Bercy a déjà permis de récupérer plus d’un demi milliard d’euros de fraude en 2019. La différence, c’est que jusqu’ici la collecte n’avait lieu qu’au cas par cas, de manière ciblée, en cas de soupçons de fraude. Désormais il s’agit bien d’une « collecte générale préalable » comme l’affirme la CNIL, autrement dit tout ce que vous posterez sur les réseaux sociaux pourra être immédiatement croisé et analysé et vous exposer à un contrôle fiscal.

L’administration estime avoir besoin de ces nouveaux moyens face à la sophistication de la fraude. Il y a néanmoins des gardes fous. Le premier d’entre eux, c’est que cette méthode ne permettra que de déceler trois types d’infractions :

  • Domiciliation fiscale
  • Activités non déclarées
  • Activités liées à de l’économie souterraine

Le second garde-fous, c’est que toutes les données ne seront pas traitées de la même manière. Ainsi les données personnelles jugées sensibles, comme les convictions politiques, religieuses et l’orientation sexuelle, ne pourront pas être conservées par l’administration fiscale plus de 5 jours. Aucun sous-traitant ne pourra accéder aux données collectées par l’administration fiscale.

Expérimentation de 3 ans

Néanmoins les sages pourraient tout de même se satisfaire du texte dans la mesure où il s’agit d’une expérimentation pour une durée de trois ans. Expérimentation qui pourra être renouvelée ou non en fonction des résultats de cette collecte. Mais en cas de succès, il n’est pas impossible que le périmètre de cette collecte et les infractions contrôlées soit étendu.

Bien sûr, la meilleure façon d’échapper à un contrôle fiscal est de remplir correctement ses déclarations et de bien vérifier l’exactitude des données communiquées. Mais il faudra également se méfier désormais de certaines photos potaches, ou de votre vie rêvée sur Instagram que vous aviez pris l’habitude de mettre en scène. Histoire d’éviter tout malentendu.