Police : le business de l’Outrage

Arrondir ses fins de mois grace aux “outrages” et “rébellions”.

Les contrôles de police se passent souvent dans un climat de tension et les outrages à agents peuvent fuser rapidement. Les policiers peuvent ensuite porter plainte, car c’est un délit. Sauf qu’un business autour de ce délit est actuellement dénoncé par des avocats.

« Certains policiers viennent arrondir leur fin de mois en demandant des dommages et intérêts », assure Émilie Berengier, avocate pénaliste. Un rapport de l’Inspection générale rendu fin 2013 dénonçait déjà cette pratique. « Le rapport parle d’habitués. Un policier avait déposé 28 dossiers. Avec a minima 300 euros de dommages et intérêts, ça commence à faire beaucoup », souligne-t-elle.

Des frais de procédure coûteux pour l’État

Les frais d’avocats des agents sont pris en charge par l’administration. Un coût pour l’État de plus de 13 millions d’euros en 2012. Selon un représentant du syndicat Alliance Police, c’est « un procès d’intentions. Ce rapport est ancien et a été émis parce que ça coûtait trop cher à l’administration, pas parce que les faits n’existaient pas. »

Il y aurait à Paris cinq cabinets d’avocats spécialisés qui ne traitent que de ces délits d’outrage et de rébellion à agents. Selon les chiffres du ministère de la Justice, le nombre de plaintes pour outrages déposées par des agents de police est en baisse depuis deux ans. Mais le business des outrages existerait toujours.


27 policiers de la Brigade anti-criminalité (BAC) de Cergy (Val-d’Oise) annoncent porter plainte contre une substitut du procureur de Pontoise, révèle franceinfo. Soutenus par le syndicat Alliance du Val-d’Oise, ils dénoncent des propos diffamatoires. Les premières des 27 plaintes sont déposées dans l’après-midi du vendredi 7 février, a appris franceinfo auprès du syndicat.

Une affaire d’outrage et rébellion

France Info – publié le 07/02/2020


“En comparant les méthodes de la gendarmerie et de la police, elle s’est visiblement un peu égarée : elle a qualifié les méthodes de nos collègues de la BAC de Cergy de méthodes de ripoux”, raconte Ludovic Collignon, secrétaire départemental du syndicat policier Alliance dans le Val d’Oise.

Selon les policiers, la substitut a tenu ces propos le 27 janvier dernier lors d’une affaire d’outrage et rébellion. “Dans son réquisitoire, elle a dit qu’elle appréciait les gendarmes, qui eux n’étaient pas venus dans la salle pour arrondir leurs fins de mois, dénonce Ludovic Collignon, contrairement aux policiers, qui a priori doivent faire une espère de business avec les outrages et rébellion et avec les dommages et intérêts qu’ils peuvent toucher dans ce genre d’affaires.”


Le parquet de Pontoise refuse de commenter et affirme examiner la situation, sans pour autant faire de commentaire. Sachant que dans leur réquisitions, les procureurs ont une totale liberté de parole.


Police : « le business » de l’outrage à agents

Les contrôles de police se passent souvent dans un climat de tension et les outrages à agents peuvent fuser rapidement. Les policiers peuvent ensuite porter plainte, car c’est un délit. Sauf qu’un business autour de ce délit est actuellement dénoncé par des avocats.

« Certains policiers viennent arrondir leur fin de mois en demandant des dommages et intérêts », assure Émilie Berengier, avocate pénaliste. Un rapport de l’Inspection générale rendu fin 2013 dénonçait déjà cette pratique. « Le rapport parle d’habitués. Un policier avait déposé 28 dossiers. Avec a minima 300 euros de dommages et intérêts, ça commence à faire beaucoup », souligne-t-elle.

Des frais de procédure coûteux pour l’ÉtatLes frais d’avocats des agents sont pris en charge par l’administration. Un coût pour l’État de plus de 13 millions d’euros en 2012. Selon un représentant du syndicat Alliance Police, c’est « un procès d’intentions. Ce rapport est ancien et a été émis parce que ça coûtait trop cher à l’administration, pas parce que les faits n’existaient pas. »


Il y aurait à Paris cinq cabinets d’avocats spécialisés qui ne traitent que de ces délits d’outrage et de rébellion à agents. Selon les chiffres du ministère de la Justice, le nombre de plaintes pour outrages déposées par des agents de police est en baisse depuis deux ans. Mais le business des outrages existerait toujours.

France Info, publié le O1/04/2019

Voir vidéo : https://www.msn.com/fr-fr/video/auto/police-le-business-de-loutrage-à-agents/vp-BBVuPeF

Un homme brandit un gilet jaune devant l’Arc de Triomphe sur l’avenue des Champs Elysées lors d’une manifestation anti-gouvernementale appelée par le mouvement des “gilets jaunes”, le 21 septembre 2019 à Paris.
Photo / Lucas BARIOULET – AFP

Un policier sympathisant des Gilets jaunes jugé pour « outrage et rébellion » lors d’une manifestation.

Il avait insulté des collègues policiers, les traitant de «bande de pédales» lors d’une manifestation de Gilets jaunes : le capitaine de police a soutenu vendredi 11 octobre devant le tribunal correctionnel de Paris, qu’être policier ne peut pas l’empêcher d’être « citoyen ».

« Un fonctionnaire de police, c’est un justiciable et un citoyen qui peut manifester avec les Gilets jaunes », a revendiqué ce gradé, en poste au service informatique du ministère de l’Intérieur.

Le 21 septembre, sur les Champs-Élysées, le capitaine participe à une manifestation de Gilets jaunes. Ce jour-là, celui qui s’est lui-même décrit pendant sa garde à vue comme un « sympathisant » du mouvement de contestation, n’est pas en service.

Un capitaine de police de Paris a été jugé ce vendredi 11 octobre devant le tribunal correctionnel pour avoir insulté des collègues en marge d’une manifestation de Gilets jaunes. Il explique son comportement par sa «colère de voir des manifestants pacifiques se faire casser la figure».

« Colère » face aux violences policières

« Mais je ne suis absolument pas homophobe ! », se défend-il, expliquant avoir plutôt voulu exprimer sa « colère de voir des manifestants pacifiques se faire casser la figure ».

Résultat, après 30 ans de « maison », ce policier qui est passé par la prestigieuse « Crim » du Quai des Orfèvres, les services de renseignement et l’antiterrorisme, fera partie des 158 personnes placées en garde à vue en marge des violences qui ont émaillé l’acte 45 des Gilets jaunes.

Il sera déféré le lendemain, avec une vingtaine d’autres manifestants. Poursuivi pour « outrage et rébellion », il avait obtenu un report lors d’une première audience en comparution immédiate fin septembre.

Les policiers surmobilisés

La présence massive et continue des forces de l’ordre dans la rue en France dans le cadre du mouvement social des Gilets jaunes né le 17 novembre 2018 fait partie des raisons évoquées par certains policiers pour évoquer un sentiment de ras-le-bol.

Le 2 octobre, une « marche de la colère » a rassemblé des milliers de policiers à Paris, sur fond de malaise de l’institution, de hausse des suicides et de réforme des retraites.

« J’aurais pu éviter les insultes », reconnaît le capitaine de police. « Mais j’ai toujours la même opinion de l’exercice de leur fonction par certains policiers, et mon opinion a été confirmée pendant ma garde à vue ».

PAS NOUVEAU …

Banlieue – 03 / 10 / 2014 – streetpress.com Paris, 19e.

« Les outrages ? Bien sûr qu’on connaît, c’est le business préféré des keufs », lâche Mehdi* en rigolant. Avec quelques potes, ils profitent des derniers rayons du soleil, au pied de leur tour HLM. Sur les 6 jeunes adossés à la rambarde, trois affirment être passés au tribunal pour ce motif.
« Moi, c’était un contrôle d’identité. Le mec, il me tutoie, je lui dis qu’il doit me respecter. Et là il me traite de petit con. Forcément le ton est un peu monté, je lui ai répondu. Ils nous ont foutus en garde-à-v’. Ils ont embarqué tout le monde, même ceux qui n’avaient rien fait et on est passés devant le juge », affirme Willy* maillot du PSG sur les épaules.

En 2012, selon un rapport du ministère de l’Intérieur, plus de 19.000 plaintes dans des affaires d’outrage, de rébellion ou de violence ont été déposées par des policiers. Avec à la clé des dommages et intérêts. 

Tribunal

Au tribunal, les récits d’outrage et de violence à agent prennent une autre tournure qu’en bas des tours HLM : « On prend les policiers pour du gibier », lance en plein procès Jérôme Andrei, avocat d’un fonctionnaire de police. Ce mercredi, au tribunal correctionnel de Paris, on juge les débordements du 14 juillet. Bakary, 18 ans à peine, ne fait pas vraiment le fier face au juge. Le soir de la fête nationale, avec quelques potes, il aurait tiré un feu d’artifice (en vente libre dans les tabacs du coin) en direction d’un groupe de policiers en patrouille. Aucun des hommes en bleu n’est touché. Mais face à la justice, la grosse bêtise d’une bande de gamin prend des allures de récit de guerre :

A minuit tout juste passé, les forces de l’ordre essuient « deux séries de tirs de mortier ». Et Bakary aurait « allumé la mèche de l’un des engins » tenu par un comparse mineur. C’est ce dernier qui aurait effectué le « tir tendu » en direction de la brigade en patrouille.  

Dommages et intérêts

Les réquisitions sont lourdes : trois mois de prison ferme. L’un des policiers s’est constitué partie civile. Il réclame 1.200 euros de dommages et intérêts. Bakary, lui, jure qu’il est innocent. Il sera finalement condamné à quatre mois de prison dont deux avec sursis et 100 euros au titre du préjudice moral subi par le policier, absent du tribunal. 

« Je peux payer tout de suite ? Oui, j’ai de l’argent sur moi », lâche le jeune homme au grand étonnement de la juge. « Vous savez une tierce personne peut payer pour vous plus tard. » 

Il est poussé vers la zone de détention, sans qu’on sache si la justice acceptera qu’il paye comptant. Quelques heures plus tard, on prend les mêmes – ou presque – et on recommence : Maître Andrei remonte à la barre pour défendre… le même fonctionnaire de police qui, le 14 juillet toujours, a essuyé d’autres « tirs de mortiers ». Cette fois, l’accusé reconnaît les faits mais le jugement est reporté. Dans l’après-midi l’avocat des forces de l’ordre plaidera dans quatre affaires impliquant des policiers, toujours avec demande de dommages et intérêts.

A la techno parade, jeunes et policiers font copain – copain. / Crédits : Michela Cuccagna

13ème mois

Dans les couloirs du tribunal, on n’est pas vraiment tendre avec ces policiers qui portent plainte. Un avocat croisé à la machine à café :

« Franchement, je commence à en avoir ras-le-bol des flics. Ils sont là pour se faire un treizième mois. »

Et d’ajouter que dans certains commissariats ces plaintes permettraient d’afficher de meilleurs résultats : « Un outrage, c’est une affaire résolue. C’est bon pour les stats ! » L’explosion des demandes de dommages et intérêts par des policiers est même dénoncée par un rapport du ministère de l’Intérieur . En septembre 2013, deux hauts fonctionnaires se sont penchés sur la question et le résultat est édifiant. Certains policiers utiliseraient bien cette méthode pour arrondir les fins de mois. En guise d’exemple, ils citent :

« Le cas d’un fonctionnaire “victime” à 28 reprises en 2012, sans aucune suite de la part de l’administration. Un des 8 SGAP [Secrétariat général pour l’administration de la police, ndlr] de France a signalé à la mission 62 cas d’agents victimes plus de quatre fois dans l’année. » 

Et d’évoquer un peu plus loin l’exemple « d’un policier qui va contrôler l’identité d’un SDF, apparemment alcoolisé, qui stationne sur la voie publique sans autre comportement répréhensible, et qui réagit en prononçant des injures. Certains policiers, certes peu nombreux, se sont même fait une spécialité de ce type d’intervention. »

Des abus qui énervent aussi certains magistrats, comme nous le raconte Jean-Christophe Ramadier, avocat inscrit au barreau de Meaux :  

« Il y a une juge qui, excédée face à ça, avait décidé de réduire de manière assez importante les dommages et intérêts accordés pour éviter que certains se saisissent de l’occasion pour arrondir les fins de mois. Et elle l’expliquait clairement en audience publique. »

Dur métier

Quand on évoque le rapport accusateur du ministère de l’Intérieur, Jérôme Andrei, l’avocat spécialisé dans la défense des policiers, grimpe au plafond. Pour lui, ceux qui abusent du système seraient « très peu nombreux ». Selon les statistiques du service d’aide au recouvrement des victimes (SARVI) « moins de 150 [policiers] soit 0,14% des effectifs environ ont ouvert plus de cinq dossiers depuis 2009. » L’avocat dénonce un rapport à charge qui mettrait en avant des exemples « caricaturaux et ne correspondant pas à la réalité du terrain ». Selon lui, les demandes de dommages et intérêts pour outrage simple sont plutôt rares :

«En général, l’outrage intervient dans le cadre d’un interpellation compliquée. Le policier se fait insulter mais est aussi victime de violence.»

Pour lui, si les plaintes sont si nombreuses, c’est que les fonctionnaires « se font insulter quasi-quotidiennement ». Les policiers interrogés ne disent pas autre chose : « Vous savez si on portait plainte à chaque fois qu’on est insultés, on passerait nos journées dans les tribunaux », lâche l’un d’eux.

Quant à sanctionner les habitués des tribunaux, comme le suggère le rapport, ce serait simplement impossible, affirme l’avocat :

« Comment sanctionner quelqu’un pour avoir porté plainte, même à plusieurs reprises, si par la suite, les faits sont reconnus par les tribunaux. »

Parole contre parole

Et c’est presque toujours le cas. Car si en théorie, en cas d’outrage, la parole du policier ne vaut pas plus que celle du citoyen lambda mis en examen (si, si on a vérifié !) dans les faits c’est loin d’être le cas. L’avocat amateur de café détaille :

« On a d’un côté un mec, souvent avec un casier judiciaire et de l’autre le témoignage d’un ou plusieurs policiers assermentés, qui d’ailleurs s’entendent pour raconter la même chose au mot près. D’autant que la justice n’a pas toujours envie de se mettre à dos des fonctionnaires avec qui elle est amenée à travailler au quotidien. »