Les États-Unis & Airbus, parfum de représailles

Donald Trump augmente les taxes punitives sur les avions Airbus de 10% à 15%

Les États-Unis vont relever dès mardi 18 février 2020 de 10 à 15% les taxes douanières imposées aux Airbus importés d’Europe. « Ce n’est pas la bonne solution », dit l’avionneur.

Les États-Unis ont annoncé vendredi 14 février 2020 en soirée qu’ils allaient relever à 15% les taxes douanièresimposées aux avions Airbus importés d’Europe, tout en laissant inchangés les tarifs qui pénalisent d’autres secteurs de part et d’autre de l’Atlantique.

Depuis octobre, en représailles aux subventions à l’avionneur européen Airbus, le gouvernement américain inflige des tarifs douaniers punitifs à 7,5 milliards de dollars de produits importés (dont le vin, le fromage, le café, les olives et les anoraks) à hauteur de 25%, sauf pour les avions, qui étaient taxés à 10%. Ce sera 15% à partir du 18 mars.

Airbus et l’Europe « regrettent »

L’avionneur européen a réagi samedi face à une décision qu’il « regrette profondément » et qui, selon lui, « crée plus d’instabilité pour les compagnies aériennes américaines, qui souffrent déjà d’une pénurie d’appareils », du fait notamment des interdictions de vol qui frappent les 737 MAX de son concurrent Boeing.

« Nous prenons acte de l’annonce en provenance des États-Unis », a déclaré de son côté une porte-parole du ministère de l’Economie allemand, contacté par l’AFP. « Notre position de base est claire : nous rejetons toute augmentation unilatérale des taxes douanières, dommageables pour tous, y compris aux États-Unis ». Les ministres européens, qui ont plusieurs réunions prévues lundi à Bruxelles, pourraient en profiter pour exprimerune position commune sur le sujet.

Parfum de représailles

Depuis octobre, en représailles aux subventions à l’avionneur européen Airbus, le gouvernement américain inflige des tarifs douaniers punitifs à 7,5 milliards de dollars de produits importés (dont le vin, le fromage, le café, les olives et les anoraks) à hauteur de 25 %. Mais jusqu’ici, les avions étaient taxés à 10%. Ce sera 15% à partir de mardi 18 mars 2020.

Au conflit vieux de 15 ans qui oppose Airbus à Boeing par le biais de leurs États, s’ajoutent les tensions commerciales entre Washington et Bruxelles.

Du coup, à chaque nouvelle décision, les différents secteurs concernés retiennent leur souffle, dans l’espoir que leur catégorie soit retirée de la liste et dans la crainte que les tarifs ne soient augmentés, à l’image du Distiller Spirits Council, une association professionnelle américaine qui estimait vendredi que « l’industrie des boissons spiritueuses des deux côtés de l’Atlantique a suffisamment souffert » de ces hausses.

Un instrument de négociation pour Trump

Mais le président américain, Donald Trump, utilise aussi ces taxes comme instrument de négociation. Après des mois de guerre commerciale avec la Chine, à coups de tarifs douaniers punitifs réciproques, il s’est exclamé : « Notre stratégie a payé ! » quand les deux pays ont signé un accord mi-janvier.

Son attention se porte maintenant sur l’Europe. Donald Trump et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, ont annoncé fin janvier, après une rencontre à Davos (Suisse), leur volonté de relancer le chantier commercial transatlantique et de conclure un accord dans les prochaines semaines.

Le président américain, Donald Trump, et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, à Davos le 21 janvier 2020. (AFP/Archives/JIM WATSON)

Mais pour l’heure, les négociations n’ont pas abouti et les relations restent tendues alors que l’hôte de la Maison Blanche brandit toujours la menace de taxer les importations de voitures européennes, qui fait trembler en particulier les industriels allemands.

Lundi, il a déclaré qu’il était temps de négocier « très sérieusement » un accord commercial avec l’Union européenne. Il souhaite que les pays membres de l’UE ouvrent davantage leur marché aux produits américains, notamment agricoles.

Récemment, son administration a menacé de surtaxer « jusqu’à 100% » l’équivalent de 2,4 milliards de dollars de produits français. De quoi faire frémir les producteurs, mais aussi les importateurs américains de vin français qui, dans une lettre à l’USTR (Bureau du représentant américain au commerce), ont chiffré de 11 200 à 78 600 les pertes d’emplois aux États-Unis si ces menaces étaient mises à exécution.

Airbus et les viticulteurs se concertent à Toulouse

Les viticulteurs français réclament de leur côté à Airbus un fonds de compensation à hauteur de 300 millions d’euros pour les dédommager. “Je comprends leur profonde frustration d’être pris en otage”, a réagi Guillaume Faury, le patron d’Airbus, lors d’une conférence de presse à Toulouse jeudi. Mais “s’en prendre à Airbus, c’est méconnaître la situation de relation de bloc contre bloc dans laquelle nous nous trouvons (…) je pense que ce n’est pas la bonne solution”, a-t-il affirmé.

L’avionneur a rencontré vendredi, à son siège toulousain, les représentants de la filière viticole française “dans le but d’établir une stratégie partagée et solidaire” et de “définir des actions communes d’urgence auprès de l’Etat français ainsi que de l’UE dans les prochains jours”, selon une déclaration commune publiée samedi. 

Guillaume Faury, PDG d’Airbus, au Bourget le 20 juin 2019.
AFP/Archives/ERIC PIERMONT

L’avionneur a rencontré vendredi, à son siège toulousain, les représentants de la filière viticole française « dans le but d’établir une stratégie partagée et solidaire » et de « définir des actions communes d’urgence auprès de l’État français, ainsi que de l’UE dans les prochains jours », selon une déclaration commune publiée samedi.

En octobre, après 15 ans de bataille judiciaire, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) avait autorisé Washington à prendre des sanctions record, jugeant que le constructeur aéronautique européen avait bien bénéficié de subventions indues.

Dans une procédure miroir, l’OMC devrait au printemps autoriser l’UE à imposer, elle aussi, des droits de douane, en réaction à des subventions indues versées par le gouvernement américain… à Boeing cette fois.

Quinze ans de la guerre Airbus-Boeing devant l’OMC 

2004. Les États-Unis demandent des pourparlers avec l’UE et Airbus au sujet de prêts gouvernementaux versés par la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et l’Espagne, qu’ils considèrent comme des subventions. L’UE dépose une plainte sur l’aide américaine à Boeing.

2005. L’Organisation mondiale du commerce (OMC) lance une double enquête sur le soutien public à Boeing et à Airbus.

2006. Airbus annonce le lancement d’un nouvel avion de ligne, l’A350, et dit vouloir solliciter de nouveaux prêts gouvernementaux.

2009. Dans une décision provisoire, l’OMC estime que les aides accordées à Airbus violent l’interdiction des subventions à l’exportation.

2010. L’OMC demande l’arrêt de l’aide déloyale aux avions à réaction, dont le superjumbo A380. Elle rejette une demande américaine d’inclure une aide pour le plus récent A350.

2011. L’UE perd en appel mais l’OMC adoucit ses conclusions sur l’A380. Dans le même temps, des experts de l’OMC accusent les Etats-Unis, la Nasa et plusieurs Etats américains de soutenir Boeing à hauteur de 19 milliards d’aides.

2013. Boeing annonce le lancement de son 777X. Ce bimoteur sera construit dans l’État de Washington, qui a accordé 8,7 Mds$ en nouveaux allègements fiscaux.

2014. L’Union européenne porte plainte.

2015. Accalmie.

2016. L’UE ne s’est pas conformée à ses demandes, accuse l’OMC. Du coup, l’A350 est désormais ciblé.

2017. L’OMC autorise les Etats-Unis à continuer de soutenir Boeing. L’UE fait appel, en vain.

2018. Les États-Unis menacent de sanctionner des milliards de dollars de produits européens. Les deux parties entrent en arbitrage pour déterminer la portée des tarifs.

2019. L’OMC accuse les États-Unis de maintenir les allègements fiscaux subventionnés accordés à Boeing dans l’État de Washington. Les arbitres de l’organisation permettent à Washington d’imposer des droits de douane sur 7,5 Mds$ d’importations annuelles de l’UE. En octobre, Washington impose des tarifs de 10 % sur la plupart des jets Airbus fabriqués en Europe et de 25 % sur les produits allant du fromage italien au whisky écossais, en passant par les vins français.

2020. Dans une procédure miroir, l’OMC devrait au printemps autoriser l’UE à imposer elle aussi des droits de douane aux Etats-Unis.

 10 OCTOBRE 2019