Faut-il interdire l’abattage rituel ?

L’abattoir de Sobeval à Boulazac, en Dordogne, n’a-t-elle pas respectée la réglementation ? C’est ce qu’affirme ce jeudi l’association L214.
Preuve à l’appui : cette dernière a diffusé une vidéo sur laquelle on voit les conditions d’abattage des veaux.

Au total, l’association de protection animale dit détenir six heures d’enregistrement datés de novembre et décembre 2019. Des enregistrements sur lesquels, selon la L214, de nombreuses “infractions routinières” à la réglementation seraient visibles. Notamment des “ratés” lors de l’étourdissement des animaux, des reprises de conscience sur la chaîne d’abattage, ou des égorgements de veaux en station debout et non couchée.


L’enfer des veaux à l’abattoir Sobeval (version filtrée)

Souffrances animales : faut-il interdire l’abattage rituel ?

Par Aurélie Sipos et Emilie Torgemen – 20/202/2020 Le Parisien

Bien-être animal d’un côté, liberté religieuse de l’autre : une vidéo de L214 relance ce débat ultrasensible. L’association publie ce jeudi 20 février de nouvelles images chocs d’un abattoir en Dordogne, pratiquant notamment l’abattage rituel pour la viande halal et casher. Elle réclame, au nom du bien-être animal, l’interdiction de cette pratique, réalisée sans étourdissement.

Cette fois, L214 a installé ses caméras cachées chez Sobeval en Dordogne, un abattoir gigantesque et ultramoderne spécialisé dans le veau, qui a la particularité de pratiquer abattage standard comme abattage rituel. On y voit notamment des animaux tués selon les règles religieuses musulmanes ou juives. Certains semblent agoniser de longues minutes, d’autres « se réveiller » et relever la tête après avoir été suspendus par une patte arrière à la chaîne.

Autant d’images qui poussent L214 a vouloir interdire l’abattage rituel, malgré sa légalité. Cette année, deux provinces belges, la Flandre et la Wallonie, ont interdit ces pratiques sur leur territoire. En France, politiques de tous bords marchent sur des œufs. Il est même difficile d’obtenir des chiffres du nombre de poulets, veaux, moutons ainsi tués selon les rites juifs ou musulmans. Selon un rapport confidentiel du ministère de l’Agriculture dévoilé en 2011, sur l’ensemble des animaux tués en 2010, 40 % des bovins adultes l’auraient été sans étourdissement. Un chiffre contesté, jugé surévalué. Pour tenter d’y voir plus clair, en 2017, un nouveau rapport a été commandé. Mais son contenu est resté secret.

Le Parisien a interrogé Sébastien Arsac, le cofondateur de L214, qui demande l’interdiction de l’abattage sans étourdissement, et Bruno Fiszon, vétérinaire et grand rabbin de Metz, qui assure que les animaux ne souffrent pas davantage lorsqu’ils sont tués selon le rituel religieux. Débat.

« Cela fait beaucoup plus souffrir l’animal »

Sébastien Arsac, cofondateur de L214, responsable des campagnes de l’association

Pourquoi réclamer l’interdiction de l’abattage sans étourdissement (halal et casher) ?

SÉBASTIEN ARSAC. Parce que tuer sans étourdir l’animal au préalable le fait beaucoup plus souffrir. En Europe, l’étourdissement des animaux est obligatoire avant leur saignée. L’abattage rituel sans étourdissement n’est qu’une dérogation.

Le Rassemblement national (RN) s’oppose lui aussi à l’abattage rituel. Etes-vous sur la même ligne ?

Non. La position de ce parti est malhonnête. Il agite cette question avec des sous-entendus antimusulmans. On n’entend en revanche pas le RN sur les souffrances horribles infligées aux oiseaux par les chasseurs à la glu. Chez L214, nous sommes cohérents. C’est notre job d’association de dire les choses comme elles sont. On ne veut pas se censurer. Sans compter que beaucoup de musulmans et de juifs de France se sentent aussi concernés par le bien-être animal. Leur ouvrir les yeux sur ce qu’il se passe dans les abattoirs est important. Et on ne veut pas se censurer.

La défense des animaux ne s’oppose-t-elle pas à la liberté religieuse ?

Bien sûr que non. D’ailleurs, le respect de l’animal fait partie de l’éthique religieuse juive, chrétienne et musulmane. Bien souvent, pour justifier l’abattage rituel, des musulmans et des juifs de bonne foi expliquent que les sacrificateurs formés font moins souffrir que l’abattage avec étourdissement. C’est faux ! Nos vidéos à l’abattoir de Sobeval montrent, par exemple, des gestes de cisaillement qui prolongent la souffrance de l’animal, au lieu d’une saignée franche. Les musulmans ou les juifs qui voudraient respecter de façon stricte leurs prescriptions religieuses ne devraient même pas manger les poulets issus des élevages intensifs puisque toute leur vie n’est que souffrance.

Quelle solution ont-ils ? Devenir végétariens ?

C’est une possibilité. D’ailleurs, en Israël, pays où la conscience du bien-être animal est très développée, il y a un très important mouvement végane. Mais il existe aussi des solutions de compromis. Le Conseil économique, social et environnemental (Cese) vient de rendre un avis où il propose de pratiquer l’étourdissement juste après la saignée. Il faut aussi noter qu’un certain nombre de pays musulmans, comme l’Indonésie, acceptent que les animaux soient étourdis pour produire de la viande halal. En France, l’essentiel des poulets halal est passé dans un bain électrifié avant d’être saigné, c’est une forme d’anesthésie.

« Le rituel est extrêmement surveillé »

Bruno Fiszon, vétérinaire et grand rabbin de Metz et de la Moselle, membre du Comité national d’éthique des abattoirs

L214 réclame la fin de l’abattage rituel au nom du bien-être animal. Les animaux souffrent-ils plus de cette manière ?

BRUNO FISZON. Non, évidemment. L’abattage rituel, lorsqu’il est pratiqué dans les règles de l’art, permet une section des artères carotides et des jugulaires, ce qui entraîne une hémorragie massive et une perte de connaissance extrêmement rapide. Pour nous, la perte de connaissance de l’animal est déterminante, car on ne peut pas évaluer la souffrance animale. Mais, évidemment, lorsque l’on voit une volaille qui bat des ailes après la saignée ou un animal qui pédale après la saignée, cela choque et c’est le problème de ces vidéos de L214. Car il ne s’agit pas de gestes significatifs, il s’agit de gestes réflexes, alors qu’il existe des signes tangibles de la perte de conscience, comme la réaction à la menace.

Y a-t-il assez de contrôles dans les abattoirs ?

J’étais encore sur le terrain cette semaine et le rituel est extrêmement surveillé par les services vétérinaires, qui contrôlent presque chaque abattage. En 2009, l’Inra a d’ailleurs sorti un fascicule sur les douleurs des animaux dans les abattoirs et il indique les temps de perte de conscience pour les volailles, les moutons et les bovins. Il faut aussi comparer avec ce que donne l’étourdissement, et il y a beaucoup d’échec, jusqu’à 16 % des bovins sont mal étourdis par une tige perforante, et perdent conscience extrêmement tardivement. Chez les moutons, ce chiffre monte à 54 %. Selon ce même rapport, il y a 17 % d’échecs dans l’abattage rituel, juif et musulman confondus. Il peut y avoir des problèmes, mais ça reste minoritaire.

Craignez-vous une interdiction de l’abattage rituel, comme en Belgique ?

Evidemment, car le politique est sensible à l’opinion publique. Or si cette dernière se mobilise massivement, et c’est le but de L214, évidemment nous serons en difficulté.

Etes-vous étonné que L214 relaie cet appel ?

Je trouve que cibler les communautés juives et musulmanes cela peut dévoyer le combat de L214. De la défense des animaux, ils s’engouffrent dans une brèche politique. En Europe, et en France, le parti politique qui prône l’interdiction du rituel, c’est le Rassemblement national. Ces attaques sont en tout cas très mal vécues par la communauté qui se demande si on veut encore des juifs en Europe. Et je pense que pour les musulmans, c’est pareil.

ATTENTION VERSION NON FILTRÉE

https://www.l214.com/enquetes/2020/abattoir-made-in-france/veaux-sobeval