49.3, le passage en force

Après une semaine de débats houleux, le gouvernement n’exclut plus d’avoir recours au 49-3 pour faire passer la réforme des retraites. 

Pour rappel, l’article 49, alinéa 3, de la Constitution française prévoit que :
« le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session. »

Edouard Philippe ajoutera-t-il son nom à la liste des Premiers ministre ayant eu recours au 49-3 ? Face aux difficiles débats sur le projet de loi de réforme des retraites à l’Assemblée, le gouvernement n’exclut désormais plus d’avoir recours au 49-3 pour le faire voter avant l’été. Quatorze chefs de gouvernement en ont déjà fait l’usage, à 88 reprises.

Tentative avortée de Richard Ferrand

Richard Ferrand a tenté d’accélérer la cadence mercredi. En vertu du nouveau règlement, le président de l’Assemblée nationale a voulu rejeter les amendements à objet identique, s’ils n’ont pas une valeur juridique. Plus d’un millier d’amendements déposés par les communistes auraient ainsi pu disparaître. De quoi soulever la bronca. «Richard Ferrand voulait empêcher la discussion de 1184 de nos amendements, faisant ainsi des députés communistes la cible de son autoritarisme», a dénoncé le groupe dans un communiqué. Face à l’indignation qui a finalement dépassé les rangs de la gauche, le président de l’Assemblée a jugé bon de faire machine arrière.

«Le 49-3, nous en discuterons s’il y a lieu d’en discuter»

Longtemps écarté par les responsables de la majorité, le recours à l’article 49-3 paraît désormais inévitable pour contourner l’obstruction. Déjà utilisée sous le quinquennat de François Hollande, cette manœuvre permet au premier ministre de faire passer «en force» un texte de loi, en engageant la responsabilité du gouvernement. Interrogé par CNEWS vendredi matin, Gilles Le Gendre, le président du groupe LREM, a semblé préparé le terrain«Le 49-3, nous en discuterons s’il y a lieu d’en discuter», a-t-il prévenu.

Pas encore dégainé, son recours fait déjà polémique, jusqu’au sein même de la majorité. Quatre députés de l’aile gauche de LREM – Delphine Bagarry, Jean-François Cesarini, Stéphane Claireaux et Sonia Krimi – et deux apparentés au groupe majoritaire – Albane Gaillot et Annie Chapelier – ont fait savoir publiquement leur opposition vendredi. «Nous refusons de considérer comme seule issue l’emploi de cette procédure parlementaire qui – rappelons-le – permet au gouvernement de faire adopter une loi sans débats et sans vote, à savoir donc, sans le Parlement», dénoncent-ils dans un communiqué.

Quand les gouvernements ont utilisé le 49.3

• Michel Rocard (mai 1988-mai 1991) est le Premier ministre qui a le plus utilisé le 49-3 : 28 fois, pour 13 textes différents. Pour répliquer, l’opposition a déposé cinq motions de censure, à chaque fois rejetées. Il a notamment actionné ce levier pour faire passer la loi créant le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), des lois de finance, la réforme du statut de la régie Renault (avril 1990), la réforme hospitalière (avril 1991) ou la loi de programmation militaire 1990-1993. La raison de ces nombreux recours : Michel Rocard ne disposait que d’une majorité relative à l’Assemblée. « L’article 49-3 a été inclus dans la Constitution pour faire face aux situations où il n’y avait pas de majorité parlementaire. tout le monde en a eu, sauf moi. J’étais donc le seul légitime », s’était-il justifié auprès de Russia Today en mai 2016. « Manuel Valls s’est servi du 49-3 pour brutaliser et intimider sa propre majorité. »

• Edith Cresson (mai 1991-avril 1992) fait usage à huit reprises de l’article 49-3, pour faire passer en force quatre projets de loi dont le budget 1992.

• Pierre Bérégovoy (avril 1992-mars 1993) y a recours trois fois, pour la maîtrise des dépenses de santé, le fonds de solidarité vieillesse et le budget 1993.

 Le gouvernement Edouard Balladur (mars 1993-mai 1995) utilise le 49-3 une fois. Il engage la responsabilité de son gouvernement pour couper court à « l’obstruction parlementaire » menée selon lui par l’opposition, qui a déposé 3800 amendements contre le projet de loi sur les privatisations d’entreprises publiques.

• Alain Juppé (mai 1995-juin 1997), Premier ministre de Jacques Chirac, a recours deux fois à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution : pour faire passer le projet de loi l’autorisation à légiférer par ordonnances pour réformer la protection sociale (décembre 1995), et pour faire adopter le projet de loi sur le statut de France Télécom (juin 1996), avant la fin de la session parlementaire.

• Jean-Pierre Raffarin (mai 2002-mai 2005) l’utilise également deux fois. La première en février 2003 alors que la gauche et d’UDF ont déposé 13.000 amendements sur sa réforme des modes de scrutin régional et européen ; la seconde en juillet 2004 pour le projet de loi relatif aux libertés et responsabilités locales qui favorise la décentralisation.

• En février 2006, Dominique de Villepin (mai 2005-mai 2007) utilise le 49-3 pour faire passer le projet de loi pour l’égalité des chances qui inclut le contrat première embauche (CPE). Le projet de loi sera adopté mais la mobilisation lycéenne et étudiante contre le CPE aura raison de lui.

• Enfin, le plus récent à l’avoir utilisé est Manuel Valls (mars 2014-décembre 2016). Il y a eu recours à six reprises, pour faire adopter la loi Macron sur la croissance (les 17 février, 16 juin et 9 juillet 2015), et le projet de loi El Khomri sur la réforme du Code du Travail en 2016.

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