Ubérisation du travail, vers la fin d’un modèle

Coup dur pour Uber. Mercredi 4 mars 2020, la Cour de Cassation a jugé qu’un chauffeur n’était pas un travailleur indépendant mais bien un salarié pour la société de VTC. C’est la première fois qu’une telle décision est prise en France. La juridiction a estimé qu’il y avait un lien de subordination entre lui et l’entreprise américaine. D’autres chauffeurs pourraient demander à être reconnus comme salariés, créant un effet “boule de neige” et menaçant le modèle économique d’Uber.

“Allo Uber tu m’entends ??” ; “Prenez en considération les chauffeurs et non pas que les clients !!” “A quand la fin des courses à 6€ ?”

Uber, plateforme de mise en relation entre chauffeurs de voiture et usagers, a ouvert une page de chat à destination de ses chauffeurs français, pour qu’ils partagent leurs questions et observations vis à vis de l’application. Cet espace de chat, que a consulté ICI , ne devait être qu’à usage interne. On y lit plus de 3800 doléances sur les conditions de travail, des tarifs jugés insuffisants, et du manque de transparence de l’opérateur californien.

Via l’application “slido”, les chauffeurs ont été invité à rejoindre un espace de chat. La conversation, ouverte le 11 février et dont la clôture était initialement prévue au 6 mars, jour des manifestations des chauffeurs de VTC, a été fermée plus tôt que prévu, le 27 février. 

Uber, qui n’a jamais gagné un dollar depuis 2010 et demeure un foyer de pertes abyssales, voit de plus en plus son modèle remis en cause. 

« Ubérisation ». La firme californienne Uber a donné son nom au modèle social de la nouvelle économie. Le système consiste à capter un marché de service grâce à une application et à son algorithme, puis à contraindre de fait les travailleurs prestataires de ce service, atomisés en des centaines de fournisseurs indépendants, de passer par ladite application.

Or c’est bien ce concept, imaginé et industrialisé dès 2010 par Travis Kalanick, le fondateur de l’entreprise américaine, qui est attaqué par la décision de la Cour de cassation du mercredi 4 mars. Mais pour le géant américain du VTC, dont la valorisation s’élevait ce même jour, à la fermeture de Wall Street, à 60 milliards de dollars (environ 54 milliards d’euros), ce n’est pas la seule situation dans le monde où les pouvoirs publics condamnent une forme de supercherie sociale.

Ironie de l’histoire, l’attaque la plus rude à ce jour est venue de Californie, berceau de la société fondée il y a dix ans à San Francisco. En septembre 2019, le congrès de cet Etat américain a adopté une loi contre ce que l’on appelle là-bas la gig economy (« l’économie des petits boulots »). Le texte rend plus difficile, pour les entreprises de plate-forme, le fait de considérer ces travailleurs comme indépendants plutôt que comme des employés.

En novembre, l’Etat du New Jersey a réclamé 640 millions de dollars en pénalités et taxes impayées à la société dirigée depuis 2017 par Dara Khosrowshahi, niant le droit à la firme de qualifier de travailleurs indépendants les personnes travaillant par l’intermédiaire de l’application.

Uber : La Fédération des autoentrepreneurs dénonce la requalification d’un chauffeur en salarié

La Fédération nationale des auto-entrepreneurs (FNAE) a dénoncé jeudi 5 mars la décision de la Cour de cassation de requalifier en contrat du travail le lien entre Uber et un de ses anciens chauffeurs, estimant qu’elle allait nuire à l’économie des plateformes.

Cette décision « risque de mettre en péril plus de 180 plateformes qui existent en France dans tous les domaines et qui ont fait travailler 280.000 personnes au moins une fois en 2019 », estime Grégoire Leclercq, président de la FNAE, cité dans un communiqué.

La connexion à la plateforme comme argument

« Il y a 97 % ou 98 % des autoentrepreneurs qui ne se plaignent absolument pas des conditions de travail ou d’exercice » de leur profession mais « ça va clairement les pénaliser en termes de revenus », a déclaré Grégoire Leclercq. La Cour de cassation a rejeté mercredi un pourvoi formulé par Uber, estimant que le lien de subordination entre le chauffeur et Uber est caractérisé lors de la connexion à la plateforme et que le conducteur ne doit donc pas être considéré comme un travailleur indépendant mais comme un salarié.

La plus haute juridiction française estime ainsi que le statut de travailleur indépendant du chauffeur plaignant était « fictif », selon son arrêt. « Pour moi, le dialogue social ne se construit pas dans les prétoires de tribunaux ou les cours de justice, mais dans une discussion d’égal à égal avec les grands acteurs des plateformes », argue le président de FNAE.

Une mission lancée sur le statut des plateformes numériques de services

« On a fait la démonstration de notre capacité à négocier », affirme Grégoire Leclercq, qui met en avant des avancées dans la loi Travail sur la couverture des autoentrepreneurs en matière d’accidents du travail, de maladie professionnelle et de droit à la formation. Selon lui, le modèle économique des plateformes ne leur permet de donner un statut de salarié aux autoentrepreneurs avec lesquelles elles travaillent, car cela augmenterait leurs coûts d’environ 40 %.

« Les plateformes qui s’en sortiront le moins sont les plateformes franco-françaises parce qu’elles n’auront pas les moyens d’assumer ça », contrairement à Uber, assure Grégoire Leclercq. Pour la FNAE, « il est désormais nécessaire que les parlementaires s’emparent de ce dossier ». « La jurisprudence n’innove pas alors que le législateur peut innover et construire un droit qui corresponde mieux aux enjeux technologiques, de mutation du travail », estime son président alors que la ministre du Travail Muriel Pénicaud a annoncé le lancement d’une mission sur le statut des plateformes numériques de services.

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