Naomi Seibt, la nouvelle égérie des climatosceptiques

Qui est derrière l’ascension éclair de Naomi Seibt.

Une jeune youtubeuse de la droite allemande propulsée « égérie anti-Greta Thunberg »

Quasi inconnue du grand public il y a deux semaines, Naomi Seibt, qui publie des vidéos conservatrices sur YouTube, fait l’objet d’une intense couverture médiatique.

À seulement 19 ans, Naomi Seibt a été recrutée par un think tank américain pour donner une visibilité au discours des climatosceptiques. Depuis, la jeune youtubeuse allemande a acquis une notoriété fulgurante, allant jusqu’à être qualifiée d’”anti-Greta Thunberg”.

par Caroline Quevrain le 07/03/2020

“Pour la première fois, des gens de mon âge sont venus vers moi. Des jeunes fans voulaient prendre des selfies, elles m’ont dit que je les inspirais et que grâce à moi, elles s’intéressaient au changement climatique.”

À peine revenue du Conservative Political Action Conference (CPAC), haut lieu du conservatisme américain, Naomi Seibt nous raconte, avec un enthousiasme certain, l’accueil qu’elle y a reçu. Un accueil en grandes pompes, suivi d’un discours et d’entretiens accordés à Fox News ou au Telegraph. La jeune Allemande de 19 ans semble apprécier sa popularité, mais l’avoue seulement à demi-mot : “Je ne sais pas bien comment gérer. J’aime juste voir ces visages heureux dirigés vers moi”.

Une starification éclair

Car la notoriété de Naomi Seibt est naissante, et elle la doit à un seul homme : James Taylor, un avocat américain chargé de l’environnement auprès de l’Institut Heartland, un think tank à la fois conservateur et libertarien. Tout commence au mois de novembre lorsque ce dernier repère la jeune femme sur Youtube. Sur la plateforme, Naomi Seibt prend déjà publiquement la parole et aborde divers sujets plaisant à la droite allemande, allant de l’immigration à l’avortement ou au féminisme. Le climat, lui, n’émerge que plus tard dans son argumentaire.

Tout s’enchaîne rapidement : la jeune Allemande prononce deux discours, l’un à Munich à la conférence internationale sur le changement climatique en novembre dernier (organisé depuis 2008 par l’Institut Heartland) et l’autre à Madrid, en décembre, à l’occasion de la COP25. “C’était très spontané. Après ça, ils m’ont demandé si je voulais travailler avec eux.” L’opération de communication est lancée. En janvier, Naomi Seibt signe un contrat de trois mois avec le think tank, payé modestement selon ses dires, et se met à occuper le terrain environnemental en remettant en cause le consensus scientifique autour du réchauffement climatique actuel.
Celle qui se définit comme une “réaliste climatique”, par opposition aux “alarmistes”, assure avoir mené ses recherches par elle-même, après avoir observé du coin de l’œil le phénomène Greta : “Elle est devenue célèbre avec son mouvement Fridays for Futures, mais je ne voyais pas vraiment d’arguments scientifiques. J’ai regardé sur Youtube les discours de plusieurs scientifiques, comme Richard Lindzen, Judith Curry… Je pourrais en nommer plein.” Sa plongée dans ce monde scientifique teinté de scepticisme l’amène alors à la conclusion suivante : le changement climatique existe, il est réel, mais n’est nullement causé par l’activité humaine. “Le climat a toujours changé, cela arrive naturellement. Cela n’a rien à voir avec les émissions de CO2.” Pas de raison de paniquer, en somme.

Une figure d’opposante à Greta

Naomi Seibt détourne d’ailleurs la phrase de Greta Thunberg devenue célèbre, “I want you to panic” (“je veux que vous paniquiez”), qui devient dans sa bouche : “I don’t want you to panic, I want you to think” (“Je ne veux pas que vous paniquiez, je veux que vous réfléchissiez”). “Les gens qui paniquent ne se renseignent pas”, martèle la jeune Allemande, faisant allusion aux jeunes marcheurs du mouvement de Greta Thunberg. “C’est terrible d’avoir peur en l’avenir, de penser qu’il n’y a plus d’espoir. Les manifestants de Fridays for Future ne savent pas pourquoi ils protestent. Moi, je soutiens un activisme libre et éclairé.”

Ces multiples résonances à l’activiste suédoise lui vaudront d’être qualifiée d’”anti-Greta” par plusieurs médias, dont le Washington Post, et par James Taylor lui-même. Aujourd’hui, c’est une récupération qui a été entreprise par l’Institut Heartland et que reconnait Naomi Seibt : “Je suis devenue populaire avec ce terme. Je comprends la comparaison car je suis cette jeune femme, située de l’autre côté, qui promeut le réalisme climatique.” Mais la confrontation s’arrêterait ici, selon la youtubeuse, qui ne semble pas franchement à l’aise avec le Greta bashing : “Je suis contre ce qu’elle dit mais je ne suis pas contre elle. Je ne veux pas la détruire, lui faire honte. Greta n’est pas le symbole du changement climatique, elle est simplement une jeune fille innocente.”

L’Institut Heartland a trouvé en la jeune Allemande sa nouvelle tête d’affiche climatosceptique, comme une réponse à la verve de Greta Thunberg. Et Naomi Seibt semble tout avoir pour endosser le rôle qui lui a été confié : le jeune âge mais surtout la rhétorique, l’ambition. Une  ambition que la jeune femme ne dissimule pas d’ailleurs lorsqu’elle évoque sa vie à Munster, sa ville natale : “Je partirai surement à un moment. Je quitterai probablement l’Allemagne parce que je ne suis pas sure d’avoir un très bon avenir ici. Beaucoup de gens ne m’apprécient pas.” La jeune femme fait ici référence aux menaces de mort qu’elle dit avoir reçues et qu’elle attribue à des militants antifascistes. 

Des liens troubles avec l’AfD

Car si le discours est tenu et calibré, plusieurs des positions de Naomi Seibt suscitent une franche opposition. Comme par exemple son appartenance prêtée à l’Alternative nationaliste pour l’Allemagne (AfD), parti nationaliste allemand et ouvertement climatosceptique. “Je ne suis pas membre de l’AfD. Je ne suis affiliée à aucun parti ni aucun groupe, je ne parle qu’en mon nom”, réfute la jeune femme, du tac au tac. Elle admet toutefois avoir donné un discours à un événement du parti allemand il y a trois semaines, “mais de manière totalement indépendante”.

Et puis il y a aussi son soutien affiché au youtubeur canadien Stefan Molyneux, proche de Donald Trump et considéré par beaucoup comme un suprématiste blanc. “C’est faux”, répond-elle, là aussi catégorique. “Il s’est toujours revendiqué comme un libertaire, et c’en est un.” Jusqu’alors, difficile de cerner Naomi Seibt : a-t-on affaire à une jeune militante convaincue ou bien manipulée à des fins politiques ? Elle-même se définit comme un “esprit libre”. 

5 choses à savoir sur “l’anti-Greta Thunberg”

Ses prises de position sur le climat sont à l’opposé de celles de sa consœur suédoise. 

04 mars 2020 à 08h02 Par Jordane Guignon

Quand Greta Thunberg, 17 ans, déclare au forum de Davos, “je veux que vous paniquiez. Je veux que vous ressentiez la peur que je ressens chaque jour. Je veux que vous agissiez comme si la maison était en feu. Car c’est le cas”Naomi Seibt, 19 ans, lui répond, “je ne veux pas que vous paniquiez. Je vous que vous pensiez”. Nouvelle pasionaria des “climatosceptiques”, l’Allemande, à peine sortie de l’adolescence, est-elle l’antithèse de la militante suédoise ? Présentations.

C’est une surdouée. Née en 2000, elle est native de Münster, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Elle a fréquenté le lycée catholique de St. Mauritz où cette élève brillante, douée en maths et en physique, a décroché son bac (Abitur) en 2017. Avec la note maximale de 1,0. Paraît-il aussi que son Q.I est de 157. Véritable “rat de bibliothèque” (son livre préféré, c’est Le Monde de Sophie de Jostein Gaarder), c’est à l’âge de 14 ans qu’elle a commencé à s’intéresser à la politique après avoir assisté à un débat à l’école sur “la politique de migration libérale”. Elle en est sortie “sceptique”. Encouragée par sa mère, Karoline, avocate (spécialisée dans le droit médical), elle l’a accompagnée à des meetings. Après avoir entamé des études d’économie, elle s’est tournée vers la psychologie. “Mais je ne veux pas faire de carrière politique”, a-t-elle assuré à l’hebdomadaire suisse Die Weltwoche.

Elle défend des positions extrêmes. Comme sa mère, elle est proche du parti (d’extrême droite) Alternative pour l’Allemagne (AfD). Réfugiés, école, féminisme, socialisme, avortement, médias d’État… Naomi parle de tout et se veut une apôtre de la liberté d’expression et d’opinion. Elle a trouvé en YouTube une plateforme idéale pour partager ses idées et elle compte à ce jour près de 70.000 abonné·e·s. Influente mais pas trop, en s’engageant sur l’écologie, le même terrain que Greta Thunberg (qui, elle, peut compter sur le soutien de millions de followers sur les réseaux sociaux), elle a gagné en notoriété. Mais contrairement à sa petite camarade suédoise et ses “prévisions climatiques apocalyptiques”, Naomi ne veut pas être une “alarmiste du changement climatique”. Elle affirme vouloir dénoncer “l’hystérie collective”autour de la “crise climatique”.

Elle a rejoint le Heartland Institute. Un think-tank (groupe de réflexion) américain, conservateur et libertaire. Et pro-Trump. En décembre 2019, elle a été leur invitée lors d’un forum sur la “réalité climatique” qui s’est tenu en marge de la COP 25, à Madrid, en Espagne. “Nous vivons dans une ère de progrès, d’innovation et on n’a pas le droit d’en être fiers. (…) C’est une insulte à la science, une insulte à la complexité de la nature et, plus important, une insulte à la liberté d’expression”, a-t-elle défendu. Naomi a déclaré qu’elle “ne contestait pas que les émissions de gaz à effet de serre gaz et les émissions de CO2 d’origine humaine réchauffent la planète”, mais elle soutient que “de nombreux scientifiques et militants ont exagéré leur impact.”

Elle est menacée. Quand on a des opinions, quels qu’elles soient, les défendre, c’est prendre un risque. Et comme Greta, Naomi n’est pas à l’abri des critiques, des insultes et des menaces. Lorsque les journalistes de Die Weltwoche la rencontrent, ils témoignent que la jeune fille “reçoit des appels menaçants, (…) la sonnette retentit plusieurs fois sans que personne ne réponde.” Elle leur raconte que des extrémistes de gauche l’ont menacée de mort et affirme qu’on lui a commandé “croque-mort conduisant un corbillard”“Mais je trouve ça pire de ne pas être écoutée parce que j’ai des opinions différentes”, a-t-elle jugé.

Elle ne veut pas être l’anti-Greta. Pour Naomi Seibt, Greta Thunberg – personnalité de l’année 2019 – est “jeune, innocente mais aussi totalement immature et sans instruction et on la manipule honteusement”. Elle ?“Je ne suis pas une marionnette endoctrinée”, a-t-elle répondu. Et de préciser : “Je suis Naomi Seibt et pas contre Greta. Je suis pour la liberté d’expression”. À quand un débat ou une rencontre entre les deux ?