Doctolib, OPA sur la santé grâce au Coronavirus

Coronavirus : Doctolib le site, qui permet de prendre rendez-vous en trois clics chez un médecin, connaît une ascension fulgurante et enregistre avec le Covid-19 une « augmentation de 40% des téléconsultations »

« La téléconsultation va permettre aux médecins de travailler dans des conditions plus souples, en valorisant davantage leur temps médical, tout en assurant facilitant l’accès aux soins pour un meilleur suivi médical des patients », affirmait en septembre dernier à La Tribune Stanislas Niox-Château, co-fondateur et président de Doctolib.

Croquer la concurrence, anticiper la téléconsultation

Les praticiens doivent débourser 109 euros par mois pour utiliser la plateforme, qui en tirent l’essentiel de ses revenus. La jeune pousse dit être utilisée par 75.000 professionnels et 1.400 établissements de santé.

Succès fulgurant pour la start-up de prise de rendez-vous médicaux : en cinq ans, la société affiche une valorisation de plus d’un milliard d’euros. Mais cette réussite pose la question de l’impact qu’un tel acteur devenu incontournable peut avoir sur le secteur de la santé.

C’est désormais un site de référence, utilisé par 34 millions de Français chaque mois. En quelques clics, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, Doctolib permet de trouver un créneau de consultation rapidement, sans attendre les horaires d’ouverture du secrétariat. Du côté des médecins, l’application permet de soulager les secrétaires mais aussi d’éviter les annulations de dernière minute. Avec son système de rappel par SMS, la start-up affirme réduire de 75% le nombre de rendez-vous non honorés. Le credo de son PDG, Stanislas Niox-Château : créer les cabinets et les hôpitaux du futur. « Je les imagine avec du temps administratif réduit, plus de temps médical et une meilleure expérience pour les patients.« 

Mais Doctolib, c’est aussi une plateforme offerte aux médecins pour faire de la téléconsultation : depuis septembre dernier, la sécurité sociale rembourse ces consultations vidéo menées à distance, sous certaines conditions.

Une stratégie commerciale offensive

Pour l’heure, 17 acteurs se partagent le marché florissant de la prise de rendez-vous en ligne. Dans les faits, et surtout depuis que Doctolib a racheté son principal concurrent l’été dernier – le site MonDocteur – les 16 autres acteurs se partagent des miettes.

Pourtant, partie après les autres dans la course, la start-up n’a pas bénéficié de la prime au premier entrant. Elle a décroché son positionnement grâce à une stratégie pointue et efficace : au lieu de passer par le matraquage publicitaire, elle a constitué de solides équipes de développement technique d’un côté, et de commerciaux de l’autre. Et ça marche. En cinq ans, elle a embauché 800 salariés et levé des millions d’euros de fonds. Le dernier en date, d’un montant de 150 millions d’euros en mars dernier, lui a permis d’entrer dans le camp des « licornes » de l’économie, ces sociétés pas encore cotées en bourse, mais valorisées plus d’un milliard d’euros

Pour monter en puissance, Doctolib ne s’est pas contentée de démarcher les médecins libéraux. La société conclut également des contrats avec des cliniques, des centres de santé municipaux, des hôpitaux publics… En tout, 1 700 établissements de santé ont souscrit à son offre. Pour la start-up, c’est un moyen de toucher un grand nombre de médecins et d’attirer ceux qui exercent également en libéral. « Quand les patients de mon cabinet en libéral cherchaient à prendre rendez-vous sur Doctolib, ils ne trouvaient aucun créneau puisqu’il y a presque un an d’attente avec moi en secteur hospitalier à Necker« , raconte Luc Refabert, qui exerce en cabinet et à l’hôpital Necker à Paris. Il reconnaît avoir opté pour Doctolib par le biais d’un contrat passé avec l’AP-HP (Assistance publique – Hôpitaux de Paris) : « Ça a été un argument puissant pour me mettre sur Doctolib, pour que les patients trouvent des créneaux plus rapidement.« 

AP-HP, le contrat qui fait grincer des dents

Ce contrat avec l’AP-HP a fait grincer des dents l’un des concurrents de Doctolib. »Quand un patient se rend sur le site de l’AP-HP pour prendre rendez-vous, le site va lui demander de créer un compte Doctolib. Et là, je ne comprends pas, fulmine Jean Bitton, l’ancien PDG de RDVmédicaux. Pourquoi un tel apport de patientèle d’inscription à un site privé via une instance publique ? » David Bitton identifie un second effet pervers derrière cette alliance entre l’AP-HP et Doctolib. « Le fait d’apporter des praticiens rares et recherchés à une plateforme va automatiquement la favoriser pour le référencement Google, explique-t-il. Je considère que la bonne démarche aurait été de proposer plusieurs plateformes de prise de rendez-vous, pour que chaque patient puisse choisir. Là, on serait dans un esprit qui anime la concurrence.« 

David Bitton a décidé, en décembre dernier, de porter l’affaire devant l’Autorité de la concurrence. Une enquête a été ouverte. Mais pour lui c’est trop tard : il a jeté l’éponge et revendu sa société à Cegedim, qui détient notamment la plateforme Docavenue.

Quand le ministère de la Santé fait la promo de Doctolib

La stratégie commerciale de Doctolib n’est pas uniquement tournée vers les clients. La start-up soigne tout particulièrement ses relations avec les syndicats, en sponsorisant des événements, en prêtant une oreille attentive aux remarques du Conseil national de l’Ordre des médecins…

Les politiques aussi sont l’objet de toutes ses attentions. Depuis l’élection d’Emmanuel Macron, les secrétaires d’État en charge du numérique qui se sont succédé, Mounir Mahjoubi puis Cédric O, ont rendu visite à Doctolib.  

En janvier dernier, un tweet faisant la promotion de Doctolib apparaît sur le compte de l’ASIP, un service du ministère de la Santé. C’est le tollé du côté des médecins. Le tweet est rapidement retiré, mais il fait craindre aux professionnels le manque de neutralité du ministère. Le fait que Doctolib ait débauché un ancien attaché de presse du ministère de la Santé, devenu son responsable communication et relations institutionnelles, n’est pas fait pour les rassurer.

Des risques pour le secteur de la santé

Ce succès fulgurant, qui a drainé 76 000 abonnés, dont la moitié gagnés en 2018, cache peut-être des dérèglements dans le secteur de la santé. Le premier d’entre-eux concerne le parcours de soins. « Le risque est que la santé devienne un marché comme les autres, s’inquiète Jacques Battistoni, président du syndicat de médecins généralistes, MG France. Une réponse immédiate à un besoin de santé oublierait ce qui est probablement la prévention, la prise en compte des habitudes de vie, l’histoire du patient, dans sa demande de soins immédiate. » Des études montrent qu’un médecin qui connaît moins bien son patient a plus tendance à lui prescrire des antibiotiques, par exemple.

La position monopolistique qui se dessine préoccupe aussi certains professionnels. Car si pour le moment les tarifs sont très bas, de l’ordre de 109 euros par mois pour accéder à l’agenda de Doctolib et de 79 euros pour la plateforme de télémédecine, la donne pourrait changer une fois le marché arrivé à maturité, quand la plupart des autres concurrents auront jeté l’éponge.

Certains clients du site ont déjà subi une modification de l’offre, décidée unilatéralement par Doctolib. Marie, sexologue, a ainsi connu une baisse drastique et soudaine de ses consultations le jour où Doctolib lui a annoncé son déréférencement, autrement dit, l’impossibilité de la trouver avec des mots-clés dans la barre de recherche. La raison ? Elle a poursuivi ses études en Belgique et elle n’exerce pas une profession réglementée. « Quand j’avais 80 consultations en novembre, après le déréférencement, j’en avais 40 en décembre et 30 en février » déplore-t-elle. De son côté, le PDG de Doctolib, Stanislas Niox-Château, déclare suivre les recommandations et listes fournies par l’Ordre des médecins et les syndicats.

Données de santé : l’incertitude

Enfin, la question des données de santé reste un sujet d’inquiétude. Doctolib collecte les données personnelles des patients, mais aussi le nom des médecins qu’ils consultent et parfois, le motif de consultation. Du côté des médecins, outre leur spécialité, des enquêtes de satisfaction sont menées auprès des patients après chaque rendez-vous. Par ailleurs, avec la télémédecine, la société réceptionne également les comptes-rendus de consultation.

En France, ces données sont très encadrées grâce au règlement général européen de la protection des données (RGPD). Et les données de santé le sont encore plus : chaque société qui en récolte est chargée de les chiffrer et de les stocker chez un hébergeur agréé. Leur exploitation est très surveillée. De son côté, Doctolib protège ces informations en les confiant à trois hébergeurs différents. « Toutes les données sont propriété des patients et des praticiens, et elles sont chiffrées sur tout leur parcours », assure Stanislas Niox-Château.

Reste que si un jour, la start-up venait à passer sous giron américain, le RGPD entrerait en conflit avec le CLOUD Act, une loi américaine beaucoup plus laxiste sur l’usage des données. « Nous sommes très vigilants sur les risques potentiels car le CLOUD Act peut annuler les dispositions du RGPD, explique Alexis Vervialle, chargé de mission au sein de l’association de patients France Assos Santé. Dans ce cas, les données ne bénéficieraient plus de la même protection.

La réussite de Doctolib est donc indéniable, mais c’est un acteur privé puissant qui vient s’interposer entre les patients et le monde médical. Il pourrait donc, à terme, modifier significativement le secteur de la santé publique.

Source : publié le 18/05/2019 – Cellule investigation de Radio France

En visite officielle chez Doctolib, Cédric O a plaidé pour une innovation à la française

Perrine Signoret – 03 avril 2019

Nommé le 1er avril au poste de secrétaire d’État au numérique, Cédric O a effectué sa première visite officielle chez Doctolib. Il a profité de cette première intervention pour définir un peu plus en détail ses idées pour le numérique européen.

Des journalistes se sont étonnés du tutoiement adopté entre Cédric O et Stanislas Niox-Chateau, co-fondateur et président de Doctolib, s’amusant au passage de ses « méthodes à la Emmanuel Macron ».

Il a été nommé au secrétariat d’État au numérique après la démission de Mounir Mahjoubi . Âgé de 36 ans, il est pour beaucoup un parfait inconnu. Il gravite pourtant depuis quelques années autour de l’Élysée puisqu’il a été le trésorier de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron.

Lors de la passation de pouvoir,  Mounir Mahjoubi a offert à Cédric O un badge en forme d’oiseau rouge, symbolisant la French Tech. Le nouveau secrétaire d’État au numérique la portait ce mercredi 3 avril chez Doctolib.

Cette broche, comme le choix de Doctolib, reflètent les politiques numériques adoptées par le gouvernement depuis quelques années. Mounir Mahjoubi n’a jamais caché son attrait et ses ambitions autour de ce sujet, bien au contraire. En janvier, il annonçait la création du Next40 (en référence au CAC40), une sorte d’indice rassemblant les startups françaises les plus prometteuses.

Cédric O lors de sa visite chez Doctissimo. // Source : Numerama / Perrine Signoret

Cédric O semble vouloir poursuivre dans cette voie. Doctolib est récemment devenu une licorne, c’est-à-dire une entreprise du numérique valorisée à plus d’un milliard de dollars. C’est une firme connue et appréciée du grand public qui souhaiterait, comme l’a rappelé Stanislas Niox-Chateau, travailler de plus en plus avec les services publics. Doctolib a en effet pris la place d’un service qu’un état startup aurait pu développer et est rapidement devenu incontournable.

Le nouveau secrétaire d’État au numérique a raconté qu’il avait déjà rencontré le fondateur de Doctolib il y a quelques années. « C’est une rencontre qui m’avait beaucoup marquée car plus que les entreprises, ce sont les entrepreneurs que je regarde », a-t-il lancé. Il a expliqué être fasciné par ces personnes qui ont « quelque chose en plus » comme Mark Zuckerberg, dont il aurait aimé… qu’il soit Français.

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