Covid-19 : vers une géolocalisation des malades en France ?

L’Elysée a lancé ce mardi une réflexion sur le suivi par GPS des personnes infectées au Covid-19, expérimenté non sans succès en Corée du Sud. Une ligne rouge pour les défenseurs des libertés.


« Alerte! Vous avez croisé une personne contaminée au Covid-19, veuillez vous présenter au drive de dépistage pour test immédiat » : recevra-t-on demain, une fois sortis de confinement, des SMS sur nos téléphones portables pour nous avertir que l’on a peut-être contracté le coronavirus et nous isoler, le cas échéant?

Ce scénario de science-fiction, les Sud-Coréens, Taïwanais, Chinois ou Singapouriens l’ont expérimenté grandeur nature pour enrayer la pandémie. Non sans succès, mais à quel prix? La France, pays des Lumières et des droits de l’Homme, peut-elle accepter de rogner sur ses libertés individuelles au nom de l’intérêt général dicté par la « guerre », selon le terme présidentiel, contre la maladie?


Un comité de douze chercheurs et médecins a été mis en place à l’Élysée à partir du mardi 24 mars pour conseiller le gouvernement sur les moyens d’endiguer la propagation du coronavirus. Le numérique figure parmi les thèmes à l’étude, notamment pour identifier des personnes ayant été potentiellement exposées au virus. De nombreux pays ont déjà opté pour la géolocalisation des smartphones afin de traquer les déplacements des individus.

Covid-19: Le “backtracking”, le suivi par GPS des personnes infectées

“C’est grâce à la science et à la médecine que nous vaincrons le virus”, selon Emmanuel Macron. En ce sens, le président de la République a annoncé mardi la création d’un Comité analyse recherche et expertise (Care), qui réunit douze chercheurs et médecins pour conseiller le gouvernement sur les traitements et les tests contre le coronavirus, et sur les moyens possibles pour limiter la propagation.  

Dépistage: Olivier Véran refuse de comparer la France à la Corée dont il dénonce les méthodes de “tracking”

Interrogé par Danièle Obono sur le dépistage, le ministre de la Santé a refusé la comparaison avec la Corée. 24/03/2020

Alors que plus de 2,6 milliards de personnes dans le monde sont appelées à se confiner afin de limiter la propagation du virus, de nombreux États ont déjà pris des mesures drastiques de surveillance pour faire respecter les limitations de déplacements. C’est le cas de la Chine, de la Corée du Sud, d’Israël ou encore de la Russie et même l’Italie. Tous ont notamment déployé des systèmes de géolocalisation des smartphones. Le but : détecter et reconstituer les déplacements des personnes potentiellement contaminées pour repérer les populations susceptibles d’avoir été exposées au virus.

Orange collabore déjà avec l’Inserm

En France, l’opérateur télécoms Orange a annoncé vendredi dernier travailler avec les chercheurs de l’Institut français de la recherche médicale (Inserm) sur l’exploitation de données de géolocalisation anonymisées afin de mieux suivre les mouvements de la population dans l’Hexagone pendant la pandémie.

Côté français, la question de l’utilisation des données des opérateurs télécoms se pose également. Interviewé par Le Figaro le 20 mars 2020, le PDG d’Orange, Stéphane Richard, a annoncé travailler avec l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Si l’objectif est de permettre aux épidémiologistes de modéliser la propagation du virus, les données pourraient également servir à évaluer “l’efficacité des mesures de confinement”.

“Nous travaillons actuellement avec l’Inserm et des préfectures afin de pouvoir alimenter sous quelques jours les autorités avec des indicateurs statistiques construits en toute conformité avec la réglementation sur les données personnelles”, a indiqué Orange à l’AFP.

Orange ne fournirait dans ce cadre “que des données agrégées“, ne comportant aucune information sur l’identité, ni même sur l’âge ou le sexe des personnes concernées, a indiqué un porte-parole d’Orange à l’AFP. En effet, l’Union européenne encadre le déploiement de tels dispositifs grâce au RGPD (règlement sur la protection des données), entré en vigueur en mai 2018, et la directive e-privacy.

L’Union européenne demande aux opérateurs télécoms de pister leurs clients

Thierry Breton, commissaire européen chargé du marché intérieur, s’est entretenu avec plusieurs opérateurs télécoms – dont Orange et Deutsche Telekom – pour leur demander de fournir les données mobiles liées aux déplacements de leurs clients.

Une fois les données agrégées et anonymisées, l’objectif sera de suivre en temps réel la propagation du Covid-19 afin de savoir où les demandes de matériel médical sont les plus pressantes. Concrètement, les informations récoltées vont permettre de savoir où les personnes contaminées sont allées, voire quelles interactions sociales elles ont eu, pour repérer les populations susceptibles d’avoir été exposées au virus. Interrogé par Politico, Thierry Breton a précisé qu’un seul opérateur sera sélectionné par pays et que le dispositif doit être mis en place le plus rapidement possible. 

LÉGALISER LE “BACKTRACKING” EN FRANCE ?

Interrogé le 24 mars 2020 dans le cadre des questions au gouvernement, le ministre de la Santé et des Solidarités, Olivier Véran, s’est montré réticent envers ces dispositifs.

La réflexion dépasse les frontières européennes. L’administration américaine se pose également cette question et a rencontré quelques-uns de ses géants technologiques, comme Facebook et Google, pour nourrir sa réflexion. En Israël, une méthode vient d’être autorisée où les services de sécurité intérieure peuvent désormais retracer les parcours d’individus infectées et identifier les personnes avec qui ces derniers ont été en contact. Taïwan, l’un des pays a avoir le mieux jugulé la propagation de la maladie sur son territoire, a déjà mis en place ces pratiques et les applique avec beaucoup de fermeté.

«C’est Big Brother !»

CONTRE LE COVID-19, LA GÉOLOCALISATION DÉJÀ AUTORISÉE

19 mars 2020www.laquadrature.net

Face au COVID-19, de nombreux États annoncent leur intention de recueillir massivement des données de géolocalisation auprès des opérateurs de communication. En Chine, aux États-Unis, en Italie, en Israël, en Corée du Sud, en Belgique. En dépit d’un amendement scélérat proposé par l’opposition, une telle ambition est pour l’heure absente du projet de loi français dédié à l’épidémie, actuellement débattu au Parlement. Et pour cause : depuis 2015, la loi renseignement semble déjà autoriser de telles mesures. L’an dernier, nous avons attaqué cette loi devant le juge de l’Union Européenne, dont nous attendons bientôt la décision. Prenons ici un moment pour en rappeler les dangers.

La loi renseignement adoptée en 2015 permet à l’État de surveiller la population pour une très large variété de finalités, notamment « pour le recueil des renseignements relatifs à la défense [des] intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France ». Si, comme Emmanuel Macron, on admet facilement que « cette crise sanitaire sans précédent aura des conséquences […] économiques majeures », il faut conclure que la loi renseignement autorise déjà l’État à surveiller la population afin de lutter contre l’épidémie. Rien de surprenant au regard de la démesure des pouvoirs que lui a conférés le Parlement en 2015.

Parmi les mesures autorisées par la loi renseignement, l’article L851-1 du code de la sécurité intérieure prévoit que les services de renseignement peuvent exiger la transmission par les opérateurs téléphoniques des « données techniques relatives […] à la localisation des équipements terminaux utilisés » par leurs clients. En application de l’article L851-4, ces données peuvent même être « recueillies sur sollicitation du réseau et transmises en temps réel par les opérateurs ». Pour exiger ces transferts, l’administration agit seule, sans le contrôle ou l’autorisation préalable d’un juge.

L’État n’informe jamais la population quant à la façon dont il utilise concrètement la loi renseignement, celle-ci organisant une totale opacité. Nous n’avons à ce stade aucune information permettant de corroborer l’utilisation de ces pouvoirs de surveillance dans le cadre de la lutte contre l’épidémie du virus COVID-19. Mais, en droit, rien n’interdit à l’État d’user de ces pouvoirs, par exemple, pour identifier les personnes se déplaçant de villes en villes ou ayant visité certains lieux sensibles, voire pour s’assurer que les injonctions de confinement soient suffisamment respectées1.

Si, aujourd’hui, l’administration utilisait la loi de 2015 en ce sens, serait-ce conforme au règlement général sur la protection des données (RGPD) ? En théorie, les données sensibles, telles que les données de santé que révélerait une telle surveillance (par exemple le fait que, en raison de ses déplacements, une personne présente un haut risque d’avoir contracté le virus), peuvent bien être traitées « pour des motifs d’intérêt public dans le domaine de la santé publique ».

À condition toutefois de respecter le reste du RGPD, ce qui n’est pas du tout le cas de la loi renseignement : une fois ces données collectées, cette loi laisse l’administration les ré-utiliser ensuite pour des finalités étrangères à la lutte contre l’épidémie (fichage politique, lutte contre la fraude, etc.). Si l’article L822-2 du code de la sécurité intérieure impose une suppression des données brutes de localisation au bout de 4 ans, il n’en est rien pour les « fiches » constituées sur la base de ces données : ni la durée de conservation, ni l’utilisation ultérieure de ces fiches n’est limitée. Cette violation du droit européen est une de nos principales critiques contre le texte dans notre affaire devant la Cour de justice de l’Union européenne – dont la décision devrait être rendue dans les mois à venir.

Dans cette situation de crise, en dépit des pressions politiques, le gouvernement doit résister à toute fuite-en-avant sécuritaire. Face au risque d’abus engendré par les pouvoirs démesurés que confère d’ores-et-déjà la loi renseignement à l’État, il doit également s’engager à faire immédiatement la transparence sur toutes les mesures de surveillance de la population mises en œuvre pour lutter contre la propagation du COVID-19. En attendant que les pouvoirs exorbitants que lui octroie la loi renseignement soient battus en brèche.

References :

1.L’article L821-2 du code de la sécurité intérieure prévoit que le Premier ministre autorise la mise en œuvre des techniques de renseignement à l’encontre de une ou plusieurs personnes qui, lorsque leur nom n’est pas déjà connu, sont « désignées par leurs identifiants ou leur qualité ». Aucun contingent ne limite le nombre de personnes pouvant être géolocalisées en même temps. Le notion de « qualité » des personnes surveillées est si large et indéfinie qu’il faut redouter quelle soit utilisée pour viser des caractéristiques générales telles « a fréquenté tel lieu » ou « a voyagé entre telle ville et telle ville à telle date ». S’agissant des personnes dont le nom est déjà connu des pouvoirs publics, telles que les malades dépistés, l’autorisation du Premier ministre pourrait les viser plus directement, par exemple pour surveiller leurs déplacements.

Coronavirus. L’application de ce Breton suit à distance les patients à risque

Un habitant de Dinan (Côtes-d’Armor) a créé, en 2018, une plateforme pour améliorer le suivi des patients atteints d’un cancer. Avec la pandémie du Covid-19, François-Guirec Champoiseau a adapté son application.

Ouest-France Recueilli par Clémentine MERCIER. Publié le 22/03/2020 

Entretien avec François-Guirec Champoiseau, président de la start-up dinannaise Cureety (Côtes-d’Armor). Il a créé, en mars 2008, cette application de santé avec Hugo Breitwiller. Elle a d’abord été déployée au centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes fin 2018. Aujourd’hui, Cureety compte une vingtaine d’établissements de soins partenaires dans toute la France.

À qui s’adresse la plateforme Cureety ?

Cureety s’adresse aux personnes qui ont déjà été hospitalisées et qui présentent une pathologie chronique complexe, comme le cancer. Avec la pandémie du Covid-19, nous avons adapté notre plateforme et elle s’adresse également à des patients dont l’infection par le coronavirus est suspectée ou avérée. L’objectif étant de limiter au maximum les déplacements des patients dans les hôpitaux et surtout les patients à risque, comme ceux atteints d’un cancer.

Elle a pour vocation à améliorer le suivi à distance de ces patients. Installée par un établissement de santé, la plateforme va questionner quotidiennement la personne sur son état de santé : suivie de symptômes comme l’évolution de la fièvre, de la toux, de l’essoufflement… Chaque symptôme est gradé et, en fonction des réponses, l’algorithme va classer le patient parmi telle catégorie de risque : vert, jaune, orange ou rouge. En orange, on va vous demander de consulter votre médecin traitant ou de téléconsulter un médecin généraliste. En rouge, il faudra appeler le 15 ou l’hôpital pour une prise en charge en urgence si l’établissement a ouvert une ligne dédiée pour ses patients.

Vous avez aussi intégré un groupe de travail à l’Institut Pasteur…

Oui, nous y participons avec beaucoup d’acteurs de la télémédecine. Nous sommes nombreux à vouloir apporter une réponse à la crise sur le plan digital. Pour certains acteurs, cela passe par une solution de téléconsultation et pour des acteurs comme nous, par un outil de suivi à distance des patients. Notre premier souci dans cette crise est d’assurer la continuité des soins pour nos patients qui ont un cancer. Et aussi de traquer chez ces patients-là d’éventuels symptômes liés au coronavirus. Dans ce cas, ils devraient être pris en charge de manière très particulière puisque ce sont des patients à risque.