Le docteur Aï Fen, lanceuse d’alerte de la pandémie, a disparue !

Depuis le début de l’épidémie, plusieurs journalistes indépendants, dissidents politiques et lanceurs d’alerte ont été interpellés ou ont disparus !

On a retenu le nom de Li Wenliang, le jeune médecin de Wuhan, mort du Covid-19, l’un des premiers lanceurs d’alerte de la pandémie. Ce que l’on sait moins, c’est qu’il a lui-même été alerté par le docteur Aï Fen, cheffe des urgences à l’hôpital central de Wuhan, réduite au silence par le régime de Xi Jinping.

La cheffe des urgences de l’Hôpital central de Wuhan, en Chine, a donné une interview début mars dans laquelle elle affirmait qu’on avait essayé de la faire taire alors qu’elle voulait alerter contre le coronavirus. Depuis, elle aurait disparu.

Docteur Aï contre Monsieur Xi

par Dominique André,  Hannuo Wu  publié le 7 avril 2020 à 13h21

En révélant la chronologie de la détection du Covid-19, dès la fin décembre, le docteur Aï Fen a-t-elle trop parlé ? Sans doute, aux yeux du régime de Pékin.

Aujourd’hui encore, rares sont ceux qui peuvent confirmer l’avoir vue, après qu’elle a été réprimandée par sa direction pour avoir “fait courir une rumeur et porté atteinte à la stabilité”.

Son rôle dans la crise

Le docteur Aï Fen a prévenu la direction de son établissement fin décembre de l’émergence de plusieurs cas de pneumonies suspectes. Elle a envoyé des prélèvements au laboratoire qui sont revenus positifs au “Sras coronavirus”. Elle décide alors d’alerter ses collègues dans les autres hôpitaux, qui comprennent qu’ils font face à une épidémie potentiellement dangereuse.

Elle a dit

Je ne suis pas une lanceuse d’alerte mais celle qui a fourni le sifflet.

Des déclarations qui fâchent

Le docteur Aï Fen, réputée pour sa capacité à traiter les malades en état critique, a fâché Pékin, qui à ce jour, n’a toujours pas fait la lumière sur l’origine de la pandémie apparue à Wuhan et a laissé courir différentes thèses complotistes ne reposant sur aucune preuve scientifique.

Le 10 mars, jour de la visite historique de Xi Jinping à Wuhan, une interview explosive de la chef des urgences de l’Hôpital de la ville est publiée par le magazine chinois Personnage. Elle y révèle avoir prévenu la direction de son établissement le 30 décembre 2019 de l’existence de plusieurs cas de pneumonies suspectes parmi ses patients. Et elle alerte ses collègues.

Chaque jour, confie-t-elle encore au magazine , “j’ai vu de plus en plus de patients arriver qui n’avaient pas de lien avec le marché des fruits de mer”, qui fut présenté comme le point de départ de la pneumonie.

Quatre médecins au sein de son hôpital mourront contaminés par le coronavirus, parmi lesquels le docteur Li Wenliang, l’un des lanceurs d’alerte dont le décès a bouleversé la population chinoise.

Deux jours plus tard, celle qui n’a jamais témoigné de défiance à l’égard du régime – elle est secrétaire de la cellule du Parti communiste du service des urgences –, est prise à partie par sa direction pour avoir “fait courir une rumeur et porté atteinte à la stabilité”. Mais Aï Fen regrette de ne pas avoir parlé “partout”

Si j’avais su comment l’épidémie allait évoluer, j’aurais ignoré les réprimandes.

La lanceuse d'alerte du coronavirus, introuvable depuis 2 semaines

Où est passée Aï Fen, la première lanceuse d'alerte du Coronavirus ?Depuis deux semaines, elle aurait mystérieusement disparu.

Publiée par Loopsider sur Jeudi 9 avril 2020

Le régime contre-attaque

L’interview du médecin urgentiste a rapidement été effacée sur les réseaux sociaux chinois, mais pour que le témoignage du docteur Aï Fen survive à la censure, une chaîne de solidarité s’est organisée parmi les internautes, qui ont publié l’article en plusieurs langues. Le docteur Aï Fen est aujourd’hui le médecin le plus célèbre de Wuhan, et, assure un internaute chinois, “un jour, des rues et des places en Chine porteront son nom”.

Dans l’intervalle, on tente de suivre à la trace Aï Fen. Le 16 mars, elle a posté un message sur son compte Weibo (le Twitter chinois) pour rassurer ses sympathisants.

Merci de vos attentions, actuellement tout va bien pour moi, je continue le travail. 

Ce que semble confirmer un témoignage envoyé au bureau de Radio France à Pékin. Le 5 avril, une infirmière qui travaille dans le même hôpital que le Dr AÏ Fen est interpellée dans la rue par un homme, qui nous a fait parvenir cet enregistrement.

Bonjour, vous êtes infirmière dans cet hôpital ? Est-ce que le Dr Aï Fen continue de travailler à l’hôpital ? Oui, elle travaille toujours ici.

Aï a-t-elle disparu ?

es seules informations dont nous disposons à ce jour proviennent du compte Weibo du docteur Aï Fen, ce qui nourrit cette question que  posent de nombreux internautes chinois : “J’espère que c’est bien toi qui tweete tous les jours.”

Car pour l’émission australienne 60 Minutes, depuis la mi-mars, le docteur Aï Fen a mystérieusement disparu. Même si, depuis le 29 mars, son compte Weibo n’a jamais été autant été alimenté en messages, en photos et en vidéos.

Le 1er avril, par exemple, elle publie une photo avec ces quelques mots énigmatiques “Joyeux poisson d’avril”.  Ou le lendemain, elle invite les Chinois à rester chez eux. “STAY AT HOME”, écrit-elle.



Covid-19 : ces lanceurs d’alerte menacés pour avoir dit la vérité sur la pandémie

Ils sont médecins, journalistes ou militaire. Leur tort est d’avoir, dans le cadre de leur mission, révélé des vérités qui fâchent sur le virus, sa propagation et la gestion qu’en font les autorités. Des gouvernements qui, parfois, instrumentalisent la pandémie pour renforcer la censure.

Ai Fen, cheffe du service des urgences de l’hôpital central de Wuhan, Chine

Le Docteur Ai Fen est la véritable première lanceuse d’alerte sur la dangerosité du coronavirus. Le 30 décembre 2019, elle découvre le rapport du laboratoire qui a analysé les échantillons en provenance d’une malade hospitalisée le 16 décembre, et dont l’état ne cesse de s’aggraver. Selon ce rapport, il s’agit d’un coronavirus de type « SRAS ». Il se transmet principalement par les gouttelettes émanant des secrétions pulmonaires du patient et la pneumonie atypique qui en résulte est “de manière évidente contagieuse”. Il faudra attendre le 20 janvier pour que les autorités chinoises reconnaissent officiellement la possibilité d’une contagion d’homme à homme. … … …

Li Wenliang, ophtalmologue à l’hôpital central de Wuhan, Chine

Le 30 décembre 2019, Li Wenliang partage sur un chat d’anciens étudiants en médecine la photo du rapport envoyée par le Docteur Ai Fen. Deux jours plus tard, en pleine nuit, il est interpellé avec sept autres médecins pour avoir “répandu des rumeurs” et “perturbé gravement l’ordre social”. Questionné pendant plusieurs heures, il est contraint de signer une lettre de réprimande pour diffusion de rumeurs sur internet. Il doit promettre de ne plus commettre “d’actes contraires à la loi”. Ce n’est qu’à cette condition qu’il est autorisé à retourner travailler. … … …

Sergueï Satsouk, rédacteur en chef du quotidien en ligne Ejednevnik, Bélarus

Le 25 mars, Sergueï Satsouk est arrêté et inculpé pour “corruption”, un crime passible de dix ans de prison. Trois jours plus tôt, Ejednevnik, célèbre pour ses enquêtes sur le système de santé du pays, a publié un éditorial qui met en doute les statistiques officielles sur l’épidémie de Covid-19. L’article critique également l’ordre donné par le Président Loukachenko de “s’occuper” des médias couvrant l’épidémie. . … … …

Tholi Totali Glody, journaliste reporter d’images à Alfajari TV, République Démocratique du Congo

Le 24 mars, Tholi Totali Glody est chargé par le média qui l’emploie de couvrir le confinement de deux jours décrété par le gouverneur de la province du Haut-Katanga suite à la découverte de deux cas suspects de coronavirus.

Le journaliste de 29 ans est en reportage à Likasi, deuxième plus grande ville de la province, et utilise un moto-taxi, quand il est interpellé par deux policiers, à qui il montre sa carte de presse et son ordre de mission qui l’autorisent à circuler et à travailler. Il est alors pourchassé et percuté volontairement par la police. 

Tholi Totali Glody se remet aujourd’hui d’une jambe cassée et de blessures au visage et au bras.

Ruth Michaelson, journaliste au quotidien britannique Guardian, expulsée d’Egypte

Ruth Michaelson travaille en Egypte depuis 2014. Dimanche 15 mars, elle rend compte dans le Guardiandes recherches effectuées par des spécialistes des maladies infectieuses de l’Université de Toronto, ainsi que des données de santé publique et des reportages qui indiquent que l’Égypte est beaucoup plus touchée par le coronavirus que ce qu’en dit le gouvernement.

Le lendemain de la publication, la journaliste est convoquée pendant 3h30 par le service d’information de l’État (SIS). Est également convoqué le chef du bureau du Caire du New York Times Declan Walsh.

Ana Lalić, journaliste du site d’information Nova.rs, Serbie

Le 1er avril, Ana Lalić est arrêtée par six policiers qui fouillent son appartement de fond en comble, saisissent son ordinateur et son téléphone portable et lui font subir deux auditions. Elle est libérée le lendemain, mais doit encore être interrogée par un procureur.

La veille de son arrestation, la journaliste a publié un article consacré à l’hôpital de Novi Sad, dans le nord de la Serbie. Son titre : Centre clinique de Voïvodine au point de rupture, aucune protection pour les infirmières. Ana Lalić y décrit “une _pénurie chronique d’équipements de base_ et des conditions de travail “chaotiques”. Sous couvert d’anonymat, un médecin raconte que “les infirmières se sont rebellées et ont refusé d’entrer dans les chambres des patients parce qu’il n’y avait pas d’équipement de protection”. L’article indique que les employés du centre d’urgence et de l’unité de soins intensifs, y compris ceux des salles d’opération, n’ont droit qu’à un seul masque de protection par jour.

L’hôpital a démenti cette information et déposé plainte contre Ana Lalić pour diffamation, criant son “indignation face aux rapports inexacts, non vérifiés et malveillants” de Nova.rs.

Tatiana Baïs, rédactrice en chef du journal en ligne Govorit Magadan, Russie

Accusé de diffuser des fausses informations, le journal régional en ligne Govorit Magadan, basé à Magadan dans l’Extrême-Orient russe, a dû supprimer le 31 mars un article sur le décès d’un patient soupçonné d’être atteint du coronavirus et finalement testé négatif. Son titre : Un homme alité dans l’hôpital régional de Magadan, soupçonné d’avoir le coronavirus, est mort. Une information fiable, vérifiée et n’indiquant pas la cause du décès, selon le journal, mais qui a déplu à l’autorité de contrôle des médias russes, le Roskomnadzor.

Depuis, un deuxième article a été censuré par le Roskomnadzor. Il établissait un “premier bilan de la modernisation du système de santé à Magadan”, révélant que “les médecins de l’hôpital pédiatrique des maladies infectieuses achètent des combinaisons de protection et se fabriquent des masques en tissu” .La rédaction suppose que la demande de suppression de l’article fait suite à une plainte d’un responsable politique local au procureur général. 

Le journal dénonce une censure contraire à l’article 29 de la Constitution russe, qui garantit la liberté d’expression des citoyens et dont la partie 5 interdit la censure. 

Brett Crozier, le commandant du porte-avions nucléaire américain Theodore Roosevelt

“Cap-tain Cro-zier ! Cap-tain Cro-zier !” Un homme descend seul une passerelle dans la nuit, sous les ovations venues d’un bateau de guerre. En bas de la passerelle, il salue son équipage d’un geste de la main avant de s’engouffrer dans la voiture qui l’attend. Ces images d’un quai de l’île de Guam ont fait le tour du monde ce vendredi. Un symbole du lanceur d’alerte, au sein cette-fois de l’US Navy.

04/04/2020 France Culture – Par Louise Bodet Avec la collaboration d’Eric Chaverou ARTICLE COMPLET

“Ceci pourrait être mon dernier texte” : pendant l’épidémie de Covid-19, les lanceurs d’alerte disparaissent les uns après les autres

Fang Bin n’a plus donné signe de vie depuis 15 jours. L’homme d’affaires chinois, reconverti en journaliste indépendant pour couvrir l’épidémie de Covid-19 à Wuhan, a disparu des radars, le 9 février. La télévision publique hongkongaise RTHK (en chinois) croit savoir qu’il a été interpellé chez lui. Des pompiers auraient fracturé sa porte pour ouvrir le passage à des policiers en civil, détaille la chaîne. “Fang Bin a révélé la réalité de l’épidémie que le gouvernement voulait taire, accuse un de ses proches, interrogé par franceinfo. Il s’est battu pour la vérité. Les autorités n’ont pas accepté qu’un homme les défie de la sorte.”

Conscient des risques, son entourage correspondait très régulièrement avec lui pour s’assurer qu’il était en sécurité. Lorsqu’il ne répond plus, des amis se rendent dans son appartement mais trouvent porte close, comme l’explique dans une vidéo Xu Xiaodong, un champion de MMA qui gravite autour du journaliste.

ARTICLE COMPLET – publié le 22/02/2020 – www.francetvinfo.fr/

Le coronavirus a déjà tué des milliers de personnes mais pourtant les autorités chinoises continuent la gestion opaque de cette crise épidémique en Chine. Le régime censure les informations sur le sujet et a mis un tour de vis conséquent sur les réseaux sociaux où certains journalistes s’étaient risqués à publier des reportages indépendants sur les souffrances de la population ou l’insuffisance des mesures prises par le gouvernement face au virus. De nombreux journalistes ont disparu, été arrêtés ou réduits au silence. C’est notamment le cas du journaliste freelance Chen Qiushi qui a été arrêté le 6 février 2020 et est depuis porté disparu par sa famille.