3 Milliards de tonnes de bombes chimiques dans la mer du Nord

On connaît la pollution plastique qui ravage nos mers et océans, mais il en existe une autre, bien plus pernicieuse. Après les deux Guerres Mondiales, les Alliés ont jeté des centaines de milliers d’armes chimiques et conventionnelles au fond de la mer du Nord et la mer Baltique. Aujourd’hui, l’érosion des fuselages menace d’éradiquer la vie sous-marine.

Article publié le 15 avril 2019 – Laurie Debove pour lareleveetlapeste.fr

Cent ans après la Première Guerre mondiale, les armes créés pour les deux conflits qui ont ravagé l’Europe menacent toujours l’humain et son environnement. Au total, près de trois milliards de tonnes d’armes, chimiques et conventionnelles, auraient été coulées en mer du Nord et en Baltique pour s’en débarrasser à la fin des guerres. Dans son documentaire « Menaces en mers du Nord », Jacques Lœuille nous prévient des conséquences terribles qui pourraient advenir.

Au début du XXième siècle, la mer du Nord a été la scène de guerre des pays industriels, avec le développement de nouvelles armes : sous-marin, avions, tanks, armes chimiques… 

Une fois les conflits terminés, les militaires se sont débarrassés des armes restantes en les immergeant dans des étendues d’eau. Près de la ville de Knokke, en Belgique, 35 000 tonnes d’armes chimiques ont ainsi été jetées en mer, certaines reposant à moins d’un mètre de profondeur. A l’époque, les autorités répondent au Maire, qui s’inquiète d’une pollution environnementale ou de l’explosion des armes, par « c’est la solution la plus rapide, et les dangers évoqués ne se présenteront pas. »

Une arme chimique est d’abord un agent toxique, une substance capable d’avoir un effet toxique sur sa cible, couplé avec un système de dissémination (bombe, aérosol, grenade). Le gaz moutarde est en fait un liquide à l’aspect sirupeux, et peut se répandre dans la Mer une fois sa carcasse métallique érodée… avec des conséquences dramatiques. 

Selon l’Institut océanographique de Moscou, il suffirait qu’1/6ème de ces substances s’échappent dans la Baltique pour éradiquer toute forme de vie sous-marine pendant un siècle.

« Ce que l’on sait de l’état de l’eau et des sédiments, c’est que partout où des munitions ont été déversées, on trouve des traces de substances qui s’échappent des munitions corrodées. Au niveau des sédiments et des eaux profondes, il y a un risque réel de voir les animaux marins métaboliser ces substances : pour nous il s’agit d’une véritable bombe à retardement pour l’écosystème. » Thomas Lang, biologiste Marin 

Le plus préoccupant, c’est le manque de suivi sérieux de l’état d’avancement d’érosion des armes. La dernière vérification officielle a eu lieu en 1972 pour certaines zones, les fuselages peuvent aussi bien être encore intacts que déjà corrodés, répandant leur poison dans l’eau. En France, ces zones sont classées « secret défense » et l’accès aux archives militaires est interdit, compliquant la tâche aux spécialistes qui voudraient étudier le sujet.

Capture d’écran documentaire

Si certaines zones sont d’ores et déjà recensées, et même interdites à la pêche, d’autres ont donc été oubliées et sont redécouvertes au hasard. En cherchant des déchets nucléaires au large de Cherbourg, Greenpeace a ainsi trouvé des armes chimiques qui avaient été rejetées. Parfois, des pêcheurs remontent des bombes dans leurs filets et sont sérieusement blessés comme le pêcheur Danois Walther Thorsen en 2004. La peau de ses mains a été totalement brûlé après que du gaz moutarde se soit échappé d’un bidon gris qu’il avait pêché. 

En 2005, trois pêcheurs ont été tués par l’explosion, sur leur bateau de pêche, d’une bombe datant de la Deuxième Guerre mondiale et prise dans leurs filets dans la partie méridionale de la mer du Nord.

Le Danemark est le seul pays de la Baltique à indemniser les pêcheurs contaminés, ce qui lui permet de recueillir des statistiques sur la quantité d’armes remontées et les zones où elles sont trouvées. L’Allemagne possède l’un des centres à la pointe de la technique de décontamination en Europe, piloté par la société publique GEKA. Mais la France ne fait que repousser le problème…

Capture d’écran documentaire

Pour les experts interrogés dans le documentaire, le devenir de ces armes devrait être un sujet public. Ils craignent que la décontamination laissée aux militaires n’avance pas en raison de choix économique : 

« Si les autorités militaires ont le choix entre acheter un nouvel appareil de guerre ou dépenser de l’argent pour nettoyer un site, à votre avis que choisiront-elles ? »

Pour le réalisateur du documentaire, le problème des armes chimiques vient s’ajouter à celui du réchauffement climatique et de la pêche industrielle. La plus grande menace aujourd’hui n’est donc plus militaire, mais environnementale. Faut-il attendre une catastrophe maritime sans précédent pour se décider à déminer les zones connues ? 

“Pendant la Grande Guerre, l’arme chimique sème la terreur” – Voir Article Ouest France