«N’importe quel incompétent honnête fera mieux que nos élus». David Koubbi

« N’importe quel incompétent honnête fera mieux que nos élus ».
David Koubbi, un défenseur qui attaque. 

Entretien avec l’ancien avocat de Jérôme Kerviel.
Pour Causeur.fr, l’ancien avocat de Jérôme Kerviel s’en prend au pouvoir politique, à la justice, au vote, à la façon dont nous sommes représentés… et entend réhabiliter l’anarchisme. Il y voit la solution à la plupart des blocages rencontrés par la France.

Extrait interview par Causeur.fr

Matthieu Delaunay. Qu’est-ce que les résultats des élections européennes vous évoquent ?

David Koubbi. Que c’est une élection de plus. Une élection sur laquelle nos médias se sont exclusivement mobilisés, au détriment de tout autre sujet de fond. Maintenant nous allons passer à l’élection d’après et entre-temps, rien n’aura changé puisque nous n’avons pas d’exigences quant aux résultats que nous attendons de nos politiques. On nous a encore pris pour des imbéciles et le système de diabolisation par chaque parti de tous les autres partis n’est qu’un élément de plus qui le prouve. Car finalement, comment ne pas voir ces partis comme des clans dont le seul objet, la seule volonté, serait de se succéder aux manettes du pouvoir pour des raisons qui les concernent et en aucun cas au service de l’intérêt général ?

Encourager à ne pas aller voter, n’est-ce pas retirer aux personnes la seule parcelle de pouvoir qu’il leur reste ?

Résolument non. Ils n’ont aucun pouvoir par le vote. Le politique ne gouverne pas aujourd’hui, qu’importe le parti ou la personne. Sa marge de manœuvre par rapport au système financier, à l’Europe ou aux budgets dont il dispose, est aussi mince qu’une feuille de papier. Le discours culpabilisant selon lequel « si tu n’as pas voté tu dois te taire, parce que tu n’as pas donné ton avis », me semble être une équation à renverser. Pour moi, « si tu as voté, tu dois te taire parce que tu as participé au système absurde dans lequel nous vivons ». Je serai heureux de voter aussitôt qu’on sera en démocratie, dont les principes sont définis par nos plus grands textes. Au hasard, et ce n’est pas une lubie de ma part, elle suppose une justice indépendante. Or, je témoigne qu’en France, la justice ne l’est pas. Alors que fait-on ? Si je vote, je veux des garanties.

Comment se fait-il qu’aucun grand patron ou représentant de la nation ne soit poursuivi et condamné efficacement ?

La première c’est la probité de ceux qui briguent nos suffrages. La notion d’engagement contractuel prime dans tous les domaines de la vie de nos concitoyens, sauf en politique où la parole n’engage pas. J’entends déjà la réponse : « Si tu n’es pas content, la fois d’après tu ne votes plus pour lui ». Très bien, mais, entre-temps, que fait-on ? Puisque nous les laissons libres dans un tunnel de cinq ans… Dans quel domaine de la vie faisons-nous un chèque en blanc pour une telle période ? Quel patron placerait quelqu’un avec un contrat irrévocable de cinq ans quels que soient ses résultats ? Qui accepterait pendant cinq ans de ne plus influer sur sa vie de couple, alors même que l’autre se conduirait à l’inverse de ce à quoi il s’est engagé ? Je suggère que ceux qui nous représentent soient cornaqués, puisque manifestement ils en ont besoin, pour demeurer probes et ne pas devenir fous à l’aune du pouvoir extraordinaire que la nation leur confère.

Les Français souhaitent-ils cette probité ?

Au fond oui, même s’ils ne l’expriment pas expressément faute de pouvoir y réfléchir puisque le système leur impose une succession de hochets médiatiques sans importance : « Pour ou contre le mariage gay ? » : six mois d’absence de débat sur tout autre sujet ; « un royal baby » naît ? : Les médias en parlent pendant une semaine. Et puis vient le temps des affaires : Benalla, Sarkozy, Cahuzac, Balkany, et tant d’autres… qui vont être traitées comme des faits divers, empêchant tout débat sur le fond, et notamment sur ce qui est attendu de nos représentants.

Les revendications des gilets jaunes sont-elles illisibles ? 

Non elles sont très claires : plus de justice sociale, plus de justice fiscale, plus de justice tout court, une démocratie réelle ! Ils savent et voient bien qu’il n’y a pas d’anciens ministres ou députés en prison alors qu’on fait partie des trente pays les plus corrompus au monde. Si la corruption ne se mesure pas en tant que telle puisqu’elle est occulte par définition, le sentiment de corruption, lui, peut être mesuré. Or, comment peut-on vivre dans un des pays parmi les plus corrompus, sans qu’aucun grand patron ou représentant de la nation ne soit poursuivi et condamné efficacement ?

Si les Français faillissent à obtenir la probité de leurs élus que proposez-vous ?

De les chasser.

Et ensuite ?

On met n’importe quel incompétent honnête à leur place et il fera mieux.

N’êtes-vous pas fatigué de crier dans le désert ?

Mon sujet n’est pas de penser comme le plus grand nombre, mais de dire ce que je pense quand cela m’est demandé. Les anarchistes ont une idée très aiguë de ce qu’est l’éducation populaire, de l’exigence d’accroître le niveau de connaissance d’un peuple comme le nôtre, pour être capable individuellement et collectivement de comprendre un peu mieux ce qui nous environne et où est-ce qu’on se fait rouler. Ces discussions et ces échanges m’enrichissent et me permettent d’élever mon niveau de conscience.

La période est propice aux irréguliers, ceux qui réfléchissent en dehors du cadre

Pourtant l’anarchie est le seul terme qualifiant un mouvement politique ou une philosophie politique qui est négativement connoté.

Tout ceci, c’est de la rhétorique. On utilise le terme « anarchie » comme synonyme de bordel, de « chienlit », plutôt que de parler des pensées exigeantes de Proudhon, Élisée Reclus, Mikhaïl Bakounine, Louise Michel et tant d’autres. En vulgarisant, l’anarchie peut être définie comme : plus de libertés et de responsabilités individuelles, mais aussi une attention accrue à l’éducation. Sur un plan politique, l’anarchie veut dire : arrêter de faire croire aux politiques que nous souhaitons qu’ils nous gouvernent sur tout un tas de sujets qui ne les regardent pas : notre vie. Peut-être que l’armée, que la présence de la France à l’étranger ou les grandes orientations du pays les concernent, mais tout le reste est à nous.

Donc il faut leur reprendre ?

Oui, en leur donnant un mandat plus serré et contrôlé et exiger d’eux qu’ils le remplissent parfaitement. Il faut un énorme toilettage de nos lois pour garder celles qui sont strictement indispensables et puis responsabiliser les gens avec de vraies sanctions face à leurs défaillances dans l’application du contrat social. C’est aussi réfléchir aux peines alternatives de privation de liberté, à l’intérêt général, à ce qu’est être Français. C’est donc contester, car la contestation et la France, c’est une histoire d’amour longue et tumultueuse.

Quelle serait l’essence de la contestation ?

Nous nous devons d’être des irrésolus. Des pisse-tièdes trouveront que ça fait slogan, un peu phrase, mais j’y crois. Je crois que la période est propice aux irréguliers, parce qu’elle est troublée et que c’est dans ces périodes troublées que les aventuriers commencent à poindre, ceux qui réfléchissent en dehors du cadre. Et je pense qu’il faut appeler ceux qui nous liront à réfléchir en dehors du cadre parce que, tel qu’il est bâti aujourd’hui, il n’a qu’un dessein : que tout continue comme avant.

Cette contestation française tient en une ligne : que la loi soit appliquée à tous, sans aucune restriction ni distinction. Ce n’est pas le cas en France.

Chacun de nous est conscient que la République va mal, que l’intérêt général ne cesse d’être bafoué, que la justice est dévoyée en un instrument au service des puissants, et que nos politiques, à quelques rares exceptions près, ne s’engagent pas contre notre ennemi, la finance, mais se complaisent dans cette démocratie de basse intensité.

Le peuple doit redevenir souverain. Par-delà les divergences et les différences, nous, citoyens, devons mettre ensemble un terme aux dysfonctionnements de notre société, sur la base d’un dénominateur commun que sont nos contestations compatibles, et qui convergent vers une même volonté d’obtenir davantage d’honnêteté et de justice dans la vie publique.

Ce livre appelle ainsi tous ceux auprès desquels ce propos trouve un écho à se rassembler pour préparer le combat qui vient.

David Koubbi est avocat à la cour de Paris, associé du Cabinet 28 octobre. En 2012, il prend la défense de Jérôme Kerviel dans le procès qui l’oppose à la Société Générale, et contribue à mettre au jour les graves manquements du système bancaire – et de la justice dans cette affaire. Anarchiste, non-croyant et boxeur pratiquant, il a publié un premier roman, Hélium & Papillons(Fischbacher, 2004).

Article : www.causeur.fr

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