Benalla: Payé par Pôle emploi et financé par la Françafrique

En quittant la présidence de la République, Alexandre Benalla a bénéficié d’un important soutien financier d’hommes d’affaires opérant en Afrique… tout en continuant à percevoir des milliers d’euros de Pôle emploi. Parmi ces généreux mécènes, Vincent Miclet, intermédiaire de la Françafrique qui a été accueilli à l’Élysée une nuit de février 2018.

14 JUIN 2019 | PAR FABRICE ARFI, ANTTON ROUGET ET MARINE TURCHI

Le «en même temps» de Benalla… payé par Pôle emploi et financé par la Françafrique

Alexandre Benalla est lui aussi un adepte du « en même temps » : financé par les réseaux de la Françafrique et, en même temps, indemnisé par Pôle emploi.

Après l’affaire des contrats russes (lire ici), une nouvelle enquête de Mediapart montre que l’ancien collaborateur d’Emmanuel Macron a été pris en charge, à sa sortie de l’Élysée, par plusieurs hommes d’affaires français opérant sur le continent africain, tout en continuant à percevoir ses indemnités d’aide au retour à l’emploi :

  • En septembre 2018, l’ancien adjoint du chef de cabinet du président de la République a reçu 50 000 euros de Vincent Miclet, un homme d’affaires français sous enquête de la justice en Angola qui le soupçonne d’avoir détourné plusieurs centaines de millions d’euros – ce dont l’intéressé se défend. Sept mois plus tôt, en février 2018, le conseiller d’Emmanuel Macron l’avait reçu à l’Élysée.

  • Alexandre Benalla a continué, malgré ce soutien financier, à toucher ses indemnités de Pôle emploi. En octobre, il a justifié auprès de sa banque un versement (15 000 euros, en deux tranches) de la part de l’homme d’affaires franco-israélien Philippe Hababou Solomon, avec qui il s’est rendu au Tchad, en présentant un contrat à durée indéterminée (CDI) de « conseiller personnel ». Ce qui ne l’a pas empêché de percevoir, entre début août et fin octobre 2018, plus de 11 000 euros d’aide au retour à l’emploi.

  • Sitôt écarté de l’Élysée, en juillet, Alexandre Benalla a également été pris en main par Mimi Marchand, papesse de la presse people et intime du couple présidentiel, qui l’a aidé matériellement.

Alexandre Benalla et son avocate, Jacqueline Laffont (à gauche), le 21 janvier 2019. © Reuters

Sollicité par Mediapart, Alexandre Benalla n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien. Son avocate, MJacqueline Laffont, s’est contentée de déclarer : « M. Alexandre Benalla n’a jamais été salarié ni de M. Hababou Solomon (même si cela fut un temps envisagé), ni de M. Miclet. Cela sera clairement expliqué dans sa déclaration fiscale. »

C’est pourtant Alexandre Benalla lui-même qui a présenté à sa banque un CDI en date du 11 octobre 2018 pour justifier du versement en deux temps de 15 000 euros (10 000 euros le 16 octobre, 5 000 le 2 novembre) de la part de Philippe Hababou Solomon, avec qui il voyagera au Tchad, deux mois plus tard, passeport diplomatique en main (lire ici), pour rencontrer en tête à tête le président du pays, l’autocrate Idriss Déby. En ce même mois d’octobre, Alexandre Benalla a perçu 4 000 euros d’indemnités de Pôle emploi…

Interrogé en mars dernier par Mediapart, Philippe Hababou Solomon avait dit découvrir le fameux contrat de travail présenté par Alexandre Benalla, qu’il a qualifié de « faux grossier », rempli de « fausses informations » et signé d’une seule et même main. L’homme d’affaires confirmait avoir versé 15 000 euros sur un compte d’Alexandre Benalla mais expliquait qu’il s’agissait d’un prêt (lire ici).

Pour les 50 000 euros de Vincent Miclet, surnommé le « Gatsby de la Françafrique » par Le Monde, ni ce dernier ni Alexandre Benalla n’ont souhaité nous dire à quoi ils correspondent. S’agit-il d’une rémunération ? D’un prêt ? L’avocate de l’ancien collaborateur d’Emmanuel Macron n’a pas souhaité non plus donner de précisions.

Extrait du courrier « Pôle emploi » pour la déclaration fiscale annuelle d’Alexandre Benalla. © Document Mediapart

D’après les éléments recueillis par Mediapart, l’argent a été versé le 6 septembre 2018 par une société basée en Floride, ICB Properties of Miami LLC, codétenue par Miclet, sur un compte d’Alexandre Benalla hébergé dans une banque en ligne étrangère. Il n’y a pas, sur ce même compte, de trace du moindre remboursement d’un éventuel prêt les mois suivants.

Ce versement est potentiellement embarrassant pour Alexandre Benalla. En novembre 2018, soit deux mois après avoir touché les fonds, l’ex-chargé de mission de l’Élysée assurait pourtant qu’il « n’entreten[ait]aucune relation personnelle ou d’affaires » avec Vincent Miclet, qui a fait fortune en Angola, pays où il est aujourd’hui soupçonné d’avoir détourné 400 millions de dollars, selon Le Monde. Vincent Miclet se défend vigoureusement de toute malversation dans cette affaire.

« Il a voulu se servir de moi, comme beaucoup d’autres », ajoutait Benalla, qui n’a pas fait que toucher de l’argent de Miclet. Fin août 2018, l’ex-conseiller de Macron était en effet l’un des invités de « prestige » de l’homme d’affaires dans son château du Périgord. Alexandre Benalla est apparu en compagnie de l’intermédiaire des contrats russes Jean-Louis Haguenauer et du businessman syrien Izzat Khatab (lire ici)

Mais la relation entre Miclet et Benalla est antérieure à ces rencontres estivales. Selon nos informations, le vendredi 16 février 2018 à 23 h 05, l’Élysée a même ouvert grandes ses portes à Vincent Miclet. Arrivé au volant de sa Bentley grise par l’entrée principale du palais, l’homme d’affaires avait rendez-vous avec Alexandre Benalla. Il en est reparti trois heures plus tard.

Sollicité par Mediapart, la présidence de la République n’a pas souhaité commenter cette étrange (et exceptionnelle) visite nocturne : même les patrons du CAC 40 entrent à pied à l’Élysée, leur chauffeur les laisse devant une entrée.

« L’Élysée n’entretient pas de contact ou de relation de travail avec l’intéressé [Vincent Miclet – ndlr] », a tout juste répondu le service presse d’Emmanuel Macron. En ajoutant que « seuls les membres du gouvernement au premier rang desquels le ministre des affaires étrangères et la cellule diplomatique peuvent se prévaloir du président de la République auprès des chefs d’État et de gouvernements étrangers ».

Le mois suivant, le 10 mars 2018, Vincent Miclet et Alexandre Benalla se sont aussi retrouvés, à l’initiative du premier, à La Seine musicale, une salle de spectacle sur l’île Seguin, à Boulogne-Billancourt. Le boxeur français Cédric Vitu s’attaquait ce soir-là, en direct sur Canal+, à la ceinture WBA des super-welters détenue par l’Argentin Brian Castaño (victoire du Sud-Américain).

Vincent Miclet a ensuite prolongé la soirée en invitant son hôte présidentiel à La Gioia, restaurant italien VIP de la rue de Rivoli. Les deux hommes y ont croisé les joueurs de l’équipe de France de rugby, fraîchement battus par l’Angleterre au Stade de France l’après-midi même.

La patronne de presse Mimi Marchand, proche du couple Macron, a aidé matériellement Alexandre Benalla. © Reuters

Aujourd’hui encore, Miclet garde son protégé sous son aile. « Alexandre est un ami. Je ne renie pas mes amis », a-t-il justifié dans Marianne en septembre 2018. 

Mais cette proximité intrigue jusqu’aux proches de Benalla. « Je ne comprends pas cette relation », souffle Mimi Marchand, patronne de l’agence Bestimage, très proche du couple présidentiel. « J’ai demandé à Alexandre : “Tu as déjà fait venir Miclet à l’Élysée ?!” » raconte-t-elle à Mediapart. « Il m’a répondu : “Jamais !” »

Même s’ils restent en contact, Mimi Marchand, qui a bénéficié au début du quinquennat d’un accès privilégié à l’Élysée, dit aujourd’hui avoir pris ses distances avec « Alexandre », pour qui elle s’était mise en quatre l’été passé pour l’aider. « Le mec n’avait plus d’appartement, plus de voiture, rien. Les premiers jours, je l’aide, il y a sa femme, son gosse… Je n’ai pas l’impression qu’il avait beaucoup de monde autour de lui. Il était paumé à ce moment-là », justifie-t-elle, en niant tout lien entre cette aide et sa relation au couple Macron.

Informée des violences de la place de la Contrescarpe dès le 2 mai, Mimi Marchand a tenu le secret présidentiel jusqu’au 18 juillet, date des révélations du Monde. Elle est alors en contact téléphonique quotidien avec Alexandre Benalla.

À intervalles réguliers, l’ancien collaborateur d’Emmanuel Macron se rend dans les locaux de Bestimage, à Levallois, « pour prendre toute la revue de presse », selon Mimi Marchand. Elle lui a aussi « prêté [sa] Smart deux ou trois fois en juillet ». Puis l’a aidé à se loger « deux jours dans un appartement, au mois d’août ».

À la différence de Miclet et Hababou Solomon, la patronne de Bestimage assure en revanche n’avoir jamais financé Benalla. « Une ou deux fois, je lui ai demandé : “Ça va, t’as besoin d’argent ?” Il m’a répondu : “Non, c’est bon, j’ai tout ce qu’il me faut.” »

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Photo – Crédit : Thibault Camus/AP/SIPA

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