Zined Redouane, Affaire d’État (?)

L’enquête sur la mort de Zineb Redouane, pendant une manifestation des « gilets jaunes », dépaysée à Lyon
AFP Publié le 21 août 2019

Mme Redouane est à ce jour la seule personne à avoir été tuée en marge du mouvement social, et pour laquelle la responsabilité de la police est mise en cause. Le Monde avec AFP Publié le 21 août 2019

La Cour de cassation examine ce mercredi 21 août la demande de dépaysement de l’affaire Zineb Redouane. L’octogénaire était décédée à l’hôpital le 3 décembre 2018, deux jours après avoir été touchée en plein visage par une grenade alors qu’elle se trouvait au quatrième étage, à la fenêtre de son appartement. En bas de son immeuble, de violents incidents avaient éclaté après des manifestations contre l’habitat insalubre, pour le climat et une autre pour les Gilets jaunes.

Décédée dimanche 2 décembre au bloc opératoire à Marseille, Zineb Redouane, 80 ans, avait été grièvement blessée au visage par une grenade lacrymogène lancée par des policiers dans son appartement samedi, en marge des manifestations. Selon l’une de ses voisines, Zineb a dit avoir été « visée » par « deux policiers »armés d’un fusil lance-grenades, alors qu’elle fermait ses fenêtres.

(FILES) In this file photo taken on April 27, 2019, a protester holds a sign that reads « A tribute to Zineb Redouane who died on December 2, 2018. No police blunder? » next to a street plate renamed by protesters in tribute to the victim during an anti-government demonstration called by the ‘Yellow Vests’ (Gilets Jaunes) movement for the 24rd consecutive Saturday, in Marseille. The French Cour de Cassation (High Court of Appeal) will examine the request by Zineb Redouane’s lawyers for a court transfer in the case of the 80-year-old who died in December 2018 after tear gas cannisters were fired during a demonstration in Marseille against unhealthy housing. / AFP / GERARD JULIEN

« C’était la panique chez les policiers, ils ont tiré des lacrymos partout, décrit Mohammed Elkurti, employé de l’épicerie « Day to day » au rez-de-chaussée du 12, rue des Feuillants. Les policiers tiraient en l’air avec le lance-grenades. C’était vers 19 heures. La dame du quatrième étage voulait fermer la fenêtre, tellement elle a eu peur. Je l’ai entendue crier. Nous, on a mis le transpalette devant l’entrée pour protéger le magasin. »

https://www.facebook.com/LeMediaOfficiel/videos/2316630821790308/

par VOMCANDIDE (son site)  – mercredi 21 août 2019

Violences policières et de justice sous influence gouvernementale

Épisode 1

Fin janvier, les enquêteurs de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), la « police des polices », ont entendu les cinq CRS dotés de lanceurs de grenade qui se trouvaient sur les lieux, ainsi que le capitaine qui les dirigeait. Selon les auditions dévoilées par Médiapart, après avoir regardé les images de vidéosurveillance, aucun n’a désigné le tireur ou n’a reconnu avoir tiré.

Me Bouzrou commente : «  Ces auditions ont été menées de façon très étrange. On n’a pas du tout l’impression que les enquêteurs s’adressaient à des suspects… ».

« Au total, 200 grenades ont été tirées ce samedi 1er décembre, a relaté leur chef au cours de ces auditions, dévoilées par Mediapart le mardi 2 juillet, et dont l’Agence France-Presse (AFP) a eu connaissance. Sur les images, un CRS fait un tir « en cloche », en direction de l’immeuble de Zineb Redouane à l’angle de la Canebière, puis quelques secondes après prend du recul et regarde à plusieurs reprises en hauteur, face à lui. Trois policiers ont récusé apparaître – dont l’un, car il portait une barbe et un autre une cagoule et des lunettes, alors que le CRS n’en a pas sur les images – et deux ne se prononcent pas.

Yassine Bouzrou, l’un des avocats de la famille Redouane a déclaré : « Ces policiers, qui n’ont même pas été placés en garde à vue contrairement à l’usage, savent qui a tiré et font preuve d’une mauvaise foi évidente »

Le numéro de la grenade qui a touché Mme Redouane, retrouvée dans l’appartement, ne permet pas non plus d’identifier le tireur, car il s’agit d’une munition « de remplacement », après l’épuisement d’un premier stock, selon ces auditions.

Épisode 2

Milfet, la fille de Zineb Redouane, et son amie intime Imen Souames, à Marseille, le 6 mars 2019. Crédit photo/LF

Zineb Redouane: sa famille s’étonne du «silence politique» après sa mortArticle MEDIAPART

Yacine Bouzrou, l’un des avocats de la famille de Zineb Redouane, a décidé de saisir le conseil supérieur de la magistrature à l’encontre de Xavier Tarabeux, procureur de la République de Marseille pour des « manquements déontologiques :

1 — Avoir affirmé que « choc facial n’était pas la cause du décès » de Zineb Redouane.  « Me Bouzrou reproche notamment au procureur d’avoir « sciemment menti » en ne faisant pas le lien dans ses premières déclarations entre la blessure au visage de Zineb Redouane et son décès. Au lendemain du décès de l’octogénaire, le 2 décembre, le procureur avait indiqué qu’elle était morte d’un « choc opératoire » et que l’autopsie avait révélé que le « choc facial n’était pas la cause du décès ». Pour l’avocat, Xavier Tarabeux « ne pouvait ignorer à la lecture du rapport d’autopsie » que ces « affirmations » étaient fausses ».

2 — Ne pas avoir porté à la connaissance des parties et des magistrats chargés du dossier de la présence de son adjoint, André Ribes, sur le terrain lors des incidents et se trouvant à proximité des CRS à l’origine du tir de grenade. Son adjoint ayant dirigé l’enquête préliminaire ouverte avant que le procureur désigne un juge, le 4 décembre. Dans une lettre révélée par La Provence et consultée mardi par l’AFP. L’avocat déclare que :

« Ces manquements disciplinaires ont eu des conséquences graves sur le déroulement de la procédure ».

Le procureur de la République, Xavier Tarabeux rétorque : « Le dossier est en cours de procédure de dépaysement, je ne m’explique pas la persistance avec laquelle cet avocat s’écarte ainsi de l’intérêt primordial de déterminer les circonstances du décès de Mme Redouane. Le 4 décembre, deux jours après avoir eu connaissance du décès, lors de l’opération chirurgicale, une information judiciaire a été ouverte sous la responsabilité d’un juge d’instruction. »

Épisode 3

À la demande de l’avocat l’enquête a été dépaysée en juin, au vu de la publication par La Marseillaise identifiant la présence du magistrat par une photo où il apparaît, arborant un casque, de grosses lunettes de protection et un brassard du parquet ; éléments qu’il omit de signaler.

Il fut déclaré par les autorités judiciaires que la seule caméra en mesure d’avoir filmé la scène été inopérante ce jour-là. En conséquence, le 5 juin l’avocat de la famille a déposé une nouvelle plainte pour « faux en écriture publique aggravé », argumentant :

« Il est particulièrement surprenant que ce soit justement cette caméra qui ait été déclarée inopérante. […] La thèse malheureuse du défaut de fonctionnement de la caméra la plus proche des lieux des faits n’est pas crédible, et ce notamment au regard des manœuvres employées. »

Épisode 4

 — Le 18 juin 2019, Robert Gelli, le procureur général d’Aix-en-Provence, dont dépend la juridiction de Marseille, requiert la délocalisation de cette information judiciaire vers un autre tribunal considérant que le procureur adjoint de Marseille, André Ribes, se trouvait comme observateur au cœur du dispositif des CRS, et qu’il pourrait donc être entendu comme témoin. La Cour de cassation est donc saisie d’une demande de dépaysement de cette enquête très sensible. Selon nos informations, la gestion de ses troupes par le procureur de Marseille a fait l’objet d’une attention toute particulière depuis juin dernier tant à la direction des services judiciaires qu’au cabinet de la garde des Sceaux.

Mais pourquoi a-t-il fallu attendre six mois pour se rendre compte des dysfonctionnements ? Parce que le procureur de Marseille, Xavier Tarabeux, n’a pas jugé utile d’informer son supérieur, le procureur général d’Aix-en-Provence, de la présence de son adjoint auprès des forces de l’ordre le jour des manifestations.

« Le procureur ne m’a jamais dit que, le 1er décembre, son adjoint était sur le terrain, encore moins au milieu des CRS d’où est parti le tir litigieux, confie Robert Gelli à L’Express. Je ne l’apprends que début juin lorsque le parquet marseillais me transfère le contenu des auditions de CRS par l’IGPN [la police des polices]. »

Pourtant, une telle information aurait dû remonter sans délai la chaîne hiérarchique, puisque le procureur adjoint pouvait être suspecté de conflit d’intérêts. L’intéressé, susceptible d’être entendu comme témoin puisqu’il se trouvait sur le lieu des faits, avait en effet été chargé de l’enquête préliminaire sur ces mêmes faits… Et même si la direction des investigations a été confiée au bout de deux jours à un juge d’instruction indépendant, il aurait fallu que cette affaire soit confiée dès le départ à un autre tribunal. Les magistrats doivent en effet veiller à ce qu’on ne puisse pas les soupçonner de partialité.

Épisode 5

 Le 3 juillet 2019, l’Humanité publie : « Une autopsie menée à Alger établit que le décès de l’octogénaire marseillaise est «  directement  » lié aux tirs du 1er décembre. Les policiers, eux, n’ont «  rien vu  ».

Une première autopsie réalisée à l’hôpital de la Timone avait déjà constaté «  un traumatisme facial sévère  », ainsi qu’un «  œdème pulmonaire aigu  ». Mais les médecins avaient réclamé «  une communication du dossier médical  » avant de «  déterminer avec plus de précision les circonstances du décès  ». Une prudence relative dans laquelle s’étaient engouffrés le procureur de la République de Marseille, Xavier Tarabeux, ainsi que le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, pour dédouaner les CRS qui étaient intervenus ce jour-là. «  Le choc facial n’est pas la cause du décès  », avait affirmé crânement le premier, avant que le second ne déclare, au micro de France Inter  : «  Je ne voudrais pas qu’on laisse penser que les forces de l’ordre ont tué Zineb Redouane. Parce que c’est faux.  »

Le document exhumé par le Média écorne singulièrement cette version. Réalisée le 25 décembre 2018, le jour même du rapatriement du corps en Algérie, cette contre-autopsie, réclamée par le procureur de la République d’Alger, ne laisse, elle, guère de place au doute. La victime, écrivent les médecins, «  présentait un important traumatisme facial, imputable à l’impact d’un projectile non pénétrant  ». «  L’importance de ce traumatisme est directement responsable de la mort par aggravation de l’état antérieur de la défunte, malgré les soins prodigués en urgence.  » Difficile d’être plus affirmatif. »

«  J’espère que cette expertise va faire bouger les choses !  » a réagi Brice Grazzini, l’un des avocats de la famille Redouane, qui entend faire verser ce document à l’instruction. Selon lui, la première autopsie menée à Marseille faisait preuve d’un «  manque de diligence  » pour pointer les responsabilités. «  En réalité, cette première autopsie disait déjà clairement que la grenade avait causé des blessures qui avaient nécessité une opération pendant laquelle Zineb Redouane était décédée, rappelle de son côté Me Yassine Bouzrou. C’est l’interprétation qu’en avaient faite le procureur et le ministre qui était scandaleuse.  » L’avocat de Milfet Redouane, l’une des filles de Zineb, en est d’ailleurs persuadé  : «  Il y a depuis le début une volonté d’étouffer cette affaire et de tout mettre en œuvre pour que le tireur ne soit jamais traduit devant la justice.  »

Épisode 6

[6]« Selon la plainte, déposée le 5 juillet par Me Yacine Bouzrou, que Le Parisien évoque dans son édition du samedi 6 juillet et dont l’AFP a eu copie, la caméra de surveillance la plus proche de la scène du drame, le 1er décembre 2018, a été déclarée « inopérante » par les enquêteurs de l’IGPN qui ont conduit l’enquête préliminaire. Sur les images des autres caméras, aucune identification n’est possible.

« La seule caméra qui n’aurait pas fonctionné le jour des faits serait donc celle qui était positionnée à proximité immédiate du lieu d’où la grenade lacrymogène a été tirée », selon la plainte.

Fin juin, quatre des cinq enfants de la victime, Zineb Redouane, ont déposé une première plainte contre X pour « dissimulation de preuves », après que le capitaine des CRS présent lors de la manifestation eut refusé de transmettre aux enquêteurs de l’IGPN les fusils lanceurs de grenades utilisés le 1er décembre, lors de la manifestation en marge de laquelle Mme Redouane avait été grièvement blessée. Ses proches accusent aujourd’hui les enquêteurs de vouloir « entraver la manifestation de la vérité dans l’enquête sur les circonstances » de sa mort.

« Toutes ces manœuvres, armes non expertisées, caméra hors service, faux procès-verbaux, s’apparentent à une association de malfaiteurs en vue de commettre des faits de faux en écriture publique aggravés et dissimulation de preuves », estime Me Bouzrou accusant le procureur de la République de Marseille « d’avoir tenté d’étouffer l’affaire ».

Épisode 6

« Le 7 juillet, la web-télé Le Média a diffusé le témoignage du fils de Zineb Redouane, Sami. Celui-ci présente des photos de sa mère blessée à l’hôpital, qui « remettent catégoriquement en cause la version de la police, de l’IGPN et du parquet, qui avaient assuré que le tir des CRS était en cloche, donc non tendu, et non dirigé vers la vieille dame », assure le média.

Le corps de l’octogénaire a été rapatrié en Algérie après sa mort. Les médecins légistes du centre hospitalo-universitaire d’Alger ont conclu, après autopsie, à un décès des suites d’un tir en plein visage, alors que la médecine légale de Marseille a déterminé un arrêt cardiaque.

Sept mois après le décès, ses proches déplorent que le policier qui a tiré ne soit toujours pas identifié.

Sur l’affaire, Zineb Redouane, Castaner, déclare sur France Inter « Je ne voudrais pas qu’on laisse penser que les forces de l’ordre ont tué Zineb Redouane. Parce que c’est faux.  »


Depuis des mois, ici au Média, nous enquêtons sur la mort de Zineb Redouane. Cette dame de 80 ans, décédée le 2 décembre dernier, suite à une manifestation sur le Vieux-Port de Marseille. Son crime: s’être penchée de sa fenêtre au mauvais moment. Nous avons continué à enquêter.

26 JUILLET 2019 – Les enquêteurs se sont montrés peu curieux
Article MEDIAPART


La fille de Zineb Redouane à Macron: «La vraie sagesse c’est d’interdire ces armes»

Dans une lettre ouverte, le 1er avril 2019, Milfet Redouane, fille de Zineb Redouane, tuée par un tir de grenade lacrymogène le 1er décembre à Marseille, répond au mépris d’Emmanuel Macron après que Geneviève Legay ait été grièvement blessée dans une charge de CRS.

Lettre ouverte
La fille de Zineb Redouane répond à Macron: «La vraie sagesse c’est d’interdire ces armes».

«Le 2 avril nous serons à 4 mois du décès de Zineb Redouane, ma mère. Mais moi je suis restée au 2 décembre. Tous mes jours ont la même date. Le temps s’est arrêté pour moi à cette date. Ma mère est morte ce jour-là, et depuis c’est chaque jour que je meurs. Le silence me tue, l’ignorance de sa mort sur la scène médiatique et politique me tue, chaque déclaration irresponsable des responsables me tue et appuie très fort sur ma blessure, comme cette dernière déclaration que je viens de lire, du premier homme de France, ‘sous une forme de sagesse’ : «Quand on est fragile, qu’on peut se faire bousculer, on ne se rend pas dans des lieux qui sont définis comme interdits et on se met pas dans des situations comme celle ci !»..

J’aurais aimé que ça soit vrai moi-même. J’aurais conseillé à toutes les personnes âgées de rester chez elles car leurs vies sont chères, mais moi plus que personne, je sais que ce n’est pas une garantie et je peux le confirmer.

Car ma mère Zineb Redouane, 80 ans, était bien chez elle au 4ème étage et malgré cela, elle a été atteinte par un tir de lacrymogène qui lui a coûté la vie !

Alors ce n’est pas une sagesse de rester chez soi pour préserver sa vie… la vraie sagesse, c’est d’interdire ces armes qui mettent la vie des autres en danger, la sagesse c’est de garantir la sécurité des gens au moins chez eux !

Il y a une question qui me traverse l’esprit : quelle est la sagesse que ma mère aurait dû appliquer pour ne pas mettre sa vie en danger, plus que d’avoir annulé une invitation à dîner par son amie ce soir-là, et de rester chez elle ?

Et puisque après chaque personne mutilée il y’a une morale d’après les responsables, alors j’aimerais bien savoir la leçon de morale qu’on doit tirer de l’histoire de Zineb Redouane ?

Enfin, une grande pensée à Geneviève Legay et je lui dis que même si vous étiez restée chez vous, vous n’étiez pas à l’abri. Zineb Redouane en est une preuve, vous avez tous mes respects et tout mon soutien.”

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