L’idéologie des inégalités Thomas Piketty

L’inégalité est idéologique et politique » : les extraits exclusifs du nouveau livre de Thomas Piketty. L’économiste français publie, jeudi 12 septembre, « Capital et Idéologie » aux éditions du Seuil, un livre qui enquête sur la formation et la justification des inégalités.

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Prendre l’idéologie au sérieux
L’inégalité n’est pas économique ou technologique : elle est idéologique et politique. Telle est sans doute la conclusion la plus évidente de l’enquête historique présentée dans ce livre. Autrement dit, le marché et la concurrence, le profit et le salaire, le capital et la dette, les travailleurs qualifiés et non qualifiés, les nationaux et les étrangers, les paradis fiscaux et la compétitivité, n’existent pas en tant que tels. Ce sont des constructions sociales et historiques qui dépendent entièrement du système légal, fiscal, éducatif et politique que l’on choisit de mettre en place et des catégories que l’on se donne. Ces choix renvoient avant tout aux représentations que chaque société se fait de la justice sociale et de l’économie juste, et des rapports de force politico-idéologiques entre les différents groupes et discours en présence. Le point important est que ces rapports de force ne sont pas seulement matériels : ils sont aussi et surtout intellectuels et idéologiques. Autrement dit, les idées et les idéologies comptent dans l’histoire.

Thomas Piketty, avril 2015• Crédits :  Getty

Dans son dernier livre, « Capital et idéologie », Thomas Piketty retrace l’histoire mondiale des inégalités ainsi que des théories économiques et politiques destinées à les justifier. L’ouvrage, à paraître le 12 septembre au Seuil, fait déjà l’objet de nombreux commentaires dans la presse.

En 2018, le taux de mortalité infantile avant 1 an était inférieur à 0,1 % dans les pays européens, nord-américains et asiatiques les plus riches, mais ils atteignaient quasiment 10 % dans les pays africains les plus pauvres. Le revenu moyen mondial atteignait certes 1 000 euros par mois et par habitant, mais il était d’à peine 100-200 euros par mois dans les pays les plus pauvres, et dépassait les 3 000-4 000 euros par mois dans les pays les plus riches, voire davantage dans quelques micro-paradis fiscaux que d’aucuns soupçonnent (non sans raison) de voler le reste de la planète, quand il ne s’agit pas de pays dont la prospérité s’appuie sur les émissions carbone et le réchauffement à venir.

D’où la leçon à retenir : « le progrès humain n’est pas linéaire, et l’on aurait bien tort de faire l’hypothèse que tout ira toujours pour le mieux, et que la libre compétition des puissances étatiques et des acteurs économiques suffirait à nous conduire comme par miracle à l’harmonie sociale et universelle. Le progrès humain existe, mais il est un combat » qui doit notamment « s’appuyer sur une analyse raisonnée des évolutions historiques passées, avec ce qu’elles comportent de positif et de négatif ». Et par exemple, l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises et britanniques fut un moment essentiel du progrès humain mais l’idéologie de la propriété privée eut pour conséquence qu’on jugea « indispensable de dédommager les propriétaires, et non pas les esclaves ». 

Une vision ethnocentrée

Dans les mêmes pages idées du Monde, James Galbraith, lui-même auteur de nombreux travaux sur les inégalités, estime que Thomas Piketty a fait l’impasse « sur les confrontations idéologiques contemporaines et les sources non occidentales ». Sur l’Inde, par exemple, le chapitre « s’inspire d’ethnographies remontant aux années 1880 d’observateurs de l’Empire britannique colonial, et s’intéresse essentiellement au système des castes ». Il manque ainsi « le rôle-clé joué par le capitalisme commercial dans la colonisation britannique ». L’économiste fustige « une vision du monde manifestement allergique aux grandes traditions occidentales de l’économie politique, sans parler de celles qui ont émané de Russie, de Chine, du Japon, d’Amérique latine ou d’Afrique lors des luttes idéologiques autour du capital et du capitalisme au cours des deux derniers siècles ».  

“Dépasser le capitalisme”

Thomas Piketty s’est livré à L’Obs, où il évoque notamment la dernière partie de son livre, celle des propositions pour réduire les inégalités. La participation accrue des représentants des salariés au conseil d’administration des grandes entreprises, comme en Allemagne, « a permis qu’il y ait moins d’excès qu’ailleurs quant à la fixation des salaires des dirigeants ». Il suggère de revenir à la progressivité de l’impôt, tel qu’il avait été instauré après la Première Guerre mondiale dans la plupart des pays industrialisé et qui avait atteint au cours des Trente Glorieuses, pour les tranches supérieures, « des niveaux très élevés, jusqu’à 90% aux Etats-Unis, sans que cela bride la croissance, bien au contraire ». Il conseille également de rétablir l’ISF, avec progressivité. Tout cela pour rétablir une redistribution équitable. Car il estime par exemple que la division par deux de la croissance depuis les années 1990 est due en grande partie au sous-investissement dans l’éducation. 

Les dépenses d’éducation ont stagné dans tous les pays développés alors que le nombre d’étudiants a fortement augmenté. En France, le budget de l’enseignement supérieur est de 10 milliards d’euros. Si on avait ajouté les 5 milliards d’euros de l’ISF, on aurait pu inverser la chute dramatique de l’investissement par étudiant.

Alternatives Economiques publie un dossier sur « Les 7 péchés du capitalisme ». Dégradation de la planète, rentes, atteintes à la santé, travail à la tâche, monopoles, culte de la croissance, et inégalités… Au niveau mondial, le 1% des plus riches a capté deux fois plus de richesses que la moitié de la population la plus pauvre. Dans la tradition chrétienne, les 7 péchés capitaux sont dits « cardinaux » parce qu’ils entraînent tous les autres.

Par Jacques Munier – www.franceculture.fr – 06/09/2019

Les inégalités vont-elles tuer la démocratie ?


www.contrepoints.org – Publié le 21 AOÛT 2019
 

Non, le socialisme ne sauvera pas la démocratie des inégalités.

La crise des Gilets jaunes est sans doute la plus grosse crise sociale que le gouvernement d’Emmanuel Macron doit endurer depuis le début de son mandat. Au cours du temps, la signification du mouvement a évolué d’une révolte populaire contre l’inégalité fiscale en matière d’écologie à une sorte de colère brutale plus classiquement orientée contre les élites et les « inégalités ».

La question des inégalités sociales, des différences plus ou moins grandes entre les revenus, des statuts comme de l’accès au pouvoir politique n’est pas neuve. Elle réapparaît aujourd’hui au sein du débat public avec la montée en puissance des populismes, à droite comme à gauche. Le capitalisme qui enrichit les uns mais pas les autres est-il vraiment compatible avec une démocratie qui place l’exigence d’égalité au cœur de sa définition ?

Pour le professeur François Facchini, qui intervenait mardi à l’université d’été de l’IES-Europe, ce n’est pas le capitalisme qui menace le bon fonctionnement démocratique, mais le socialisme. En effet, les penseurs anti-capitalistes, à l’image de Karl Polanyi ou des marxistes, imaginent que le capitalisme sacrifiera toujours la démocratie sur l’autel des intérêts de classe. Le régime évoluera nécessairement vers le fascisme pour protéger les puissants, et seule une bonne dose d’égalitarisme idéologique peut en ralentir le déclin. Historiquement, c’est plutôt le contraire qui s’est produit, et les totalitarismes ont surtout cherché à rompre avec le capitalisme en adoptant des formes plus ou moins proches du socialisme ou du corporatisme.

François Facchini

La passion qui anime les idéologues socialistes tend à valoriser l’égalité avant tout, avant la démocratie elle-même. Plusieurs études empiriques présentées par François Facchini ont montré que les citoyens qui font de l’égalitarisme leur idéal numéro 1 étaient prêts à sacrifier la démocratie pour que triomphe l’égalité. On trouve ici le noyau commun aux socialismes et aux radicalismes plébéiens de type nazisme ou fascisme : pour se faire entendre, l’homme-masse dont parlait Ortega y Gasset est prêt à détruire les formes du droit démocratique.

UNE ÉGALITÉ QUI COÛTE CHER

La demande d’égalité coûte beaucoup plus cher que vous ne le pensez, et risque tout autant de tuer la démocratie. Si la demande d’égalité est si importante, c’est que les citoyens ne voient pas à quel point elle coûte cher et rapporte peu. La classe politique, dont les revenus sont conditionnés à l’existence d’un État fort, vend toujours plus d’intervention étatique au nom de la justice sociale.

Emmanuel Martin

Pour éviter que les gouvernés ne comprennent à quel point ils se font gruger, les politiciens entretiennent ce que les économistes appellent l’illusion fiscale, c’est-à-dire une suite de stratagèmes visant à rendre l’impôt indolore afin de maximiser les rentrées fiscales. Pour l’économiste Emmanuel Martin, c’est aussi parce que l’illusion fiscale s’est en partie dissipée que les Gilets jaunes sont descendus dans la rue : les citoyens ont compris que les justifications données pour lever les impôts sur le diesel ou les modifications de vitesse sur les routes étaient fausses, et l’impôt s’est fait sentir très durement pour les plus modestes.

Plus que les inégalités, ce sont les remèdes égalitaristes qui ont généré le déclin des démocraties au XXe siècle. La démocratie représentative réglée par le droit, au sens où l’entendait James Madison, est le régime qui épouse le plus naturellement du monde l’économie capitaliste.

Deux ou trois choses que l’on ne vous dit jamais sur le capitalisme par Ha-Joon Chang

Ha-Joon Chang (1) est professeur à l’université de Cambridge et spécialiste de l’économie hétérodoxe. Ses travaux en économie du développement lui ont déjà assuré une renommée internationale. Par ailleurs, il a reçu en 2005 le prix Wassily Leontief pour l’avancement des limites de la pensée économique, qui couronne les contributions exceptionnelles à la théorie économique, analysant la réalité contemporaine et le soutien juste et durable des sociétés. Dans cet ouvrage percutant et stimulant publié en 2010, Chang tord le cou à de nombreuses idées reçues en matière économique. De plus, il propose des analyses alternatives que nous trouvons réellement très intéressantes.

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Dès les premières lignes, Chang se livre à un constat implacable : « L’économie mondiale est en lambeaux. Seule une stimulation budgétaire et monétaire d’une ampleur sans précédent a conjuré son effondrement total dans le sillage de l’écroulement financier de 2008, et le krach mondial de cette année-là n’en reste pas moins la crise économique la plus grave de l’histoire après la Grande Dépression.  » Il ajoute aussitôt : 

« A l’heure où j’écris (mars 2010), certains ont beau déclarer la récession terminée, une reprise durable est loin d’être certaine. En l’absence de réformes des mécanismes financiers, les politiques monétaires et budgétaires laxistes ont créé de nouvelles bulles financières, tandis que l’argent fait cruellement défaut à l’économie réelle.  »