Chirac, Hommage aux affaires

Quelles sont ces affaires ? Pourquoi Jacques Chirac ne s’est-il jamais rendu au tribunal ?

Bien que suspecté de corruption à de multiples reprises, Jacques Chirac, mort ce jeudi, n’a été condamné qu’une fois, en décembre 2011, pour détournement de fonds publics dans les affaires du RPR et de la mairie de Paris.

«Par son action délibérée, Jacques Chirac a manqué à l’obligation de probité qui pèse sur les personnes publiques chargées de la gestion des fonds qui leur sont confiés, au mépris de l’intérêt général.»


26 septembre 2019

En conséquence de quoi, pour la première fois dans l’histoire de la République, un de ses présidents est condamné à deux ans de prison avec sursis pour détournement de fonds publics. Peine symbolique, prononcée en décembre 2011, compte tenu de «l’ancienneté des faits, de l’âge, de l’état de santé ainsi que des éminentes responsabilités qu’il a exercées».

De la dizaine d’affaires judiciaires cernant la galaxie chiraquienne, il n’aura payé que pour une seule, la plus emblématique d’entre elles : les emplois fictifs de la mairie de Paris, caricature d’un clientélisme à la plus ou moins bonne franquette, de la confusion de ses différentes casquettes – maire de Paris, député de Corrèze, président du RPR, candidat perpétuel à la présidentielle. Le tout aux frais du contribuable parisien.

Les emplois fictifs de la mairie de Paris

Durant son bail à l’hôtel de ville (de 1977 à 1995), Jacques Chirac aura distribué les jobs comme on multiplie les pains : 699 «chargés de mission», reflétant toute sa galaxie affective ou politique (des sportifs, des Corréziens, des élus en panne de mandat, des femmes, filles ou nièces de…).

Le sublime est atteint avec sa «cellule corrézienne», rémunérée par la mairie de Paris – simple «facilité de langage», minaudera-t-il. Elle était chargée du pistou – piston, en jargon local. Pour obtenir un logement, un emploi ou une place en crèche, les Corréziens de la capitale «pouvaient aussi s’adresser à sa permanence d’Ussel, parce qu’ils avaient alors la certitude de parvenir directement à Jacques Chirac», confiera l’un de ses animateurs.

C’est peu dire que le parquet s’est ridiculisé dans cette affaire d’emplois fictifs, les procureurs rivalisant dans le grotesque afin de sauver le soldat Chirac. Celui de Paris assura qu’il «n’y a pas de système mafieux», tout juste une «organisation imparfaite». Puis, à propos d’un certain François Debré (fils de Michel et frère de Jean-Louis) : «Le fait qu’il aurait été recruté pour faire plaisir à son père, comme le suggère l’intéressé, reste une hypothèse et non une certitude.» Quant à celui de Nanterre, il proclama qu’il «n’existait pas un système connu destiné à financer de façon occulte le RPR», bafouant ainsi l’autorité de la chose jugée puisque Juppé avait été préalablement condamné pour les mêmes faits. Ces procureurs aux ordres se seront humiliés en pure perte, puisque la justice française actera finalement que «la culpabilité de Jacques Chirac résulte de multiples connexions entre la municipalité parisienne et son organisation politique».


Jacques Chirac entre Roger Romani (à gauche) et Jean Tiberi lors d’une réunion de campagne à la Maison de la Mutualité avant les élections municipales, à Paris le 31 janvier 1983.
 
Photo Jacques Pavlovsky. Sygma. Getty Images

Le procès des HLM de la ville de Paris, en 2006

Sur le banc des prévenus, une cinquantaine de patrons du bâtiment, tous corps de métiers confondus, jugés pour fausses factures et trafic d’influence, qui s’étaient partagé le «marché du siècle» : 2,2 milliards d’euros pour l’entretien de 3 000 ascenseurs du parc de logements sociaux de la capitale. Le barnum «était en fin de compte destiné à alimenter, de façon occulte, les caisses du RPR», proclament les juges d’instruction. Mais pas un politique ne sera poursuivi, les enquêteurs concluant, comme à regret : «Il n’a pas été établi formellement l’implication personnelle des responsables au sein de l’appareil du RPR.» Seule tête de gondole, Georges Pérol, président de l’Opac (l’office HLM de la ville de Paris) et maire de Meymac, en Corrèze, fief électoral de Jacques Chirac. Il s’est retrouvé bien seul dans le costume taillé sur mesure par l’accusation, «clé de voûte du système de corruption destiné à financer de façon occulte son parti politique».La cassette posthume de Jean-Claude Méry, faux facturier et membre du comité central du RPR, relatant avoir remis 5 millions de francs en liquide à Michel Roussin, en présence de Jacques Chirac, ne vaudra pas preuve pénale, mais simple témoignage pour l’histoire. Dans ces circonstances, les peines infligées seront modestes, assorties de sursis. «Le tribunal a tenu compte d’un certain nombre d’absences à la barre», commentera benoîtement un avocat en défense, Jean-Marc Fédida, campant Jacques Chirac en «Bouddha recevant placidement les offrandes». L’affaire des HLM aura au moins eu le mérite d’amuser la galerie, avec ses intermédiaires pittoresques, planteur de bananes en Côte d’Ivoire, débitant de tabac à Monaco, gérant d’une société fantôme de gardiennage dans le 9-3… Du grand n’importe quoi en Chiraquie.

L’affaire des lycées de l’Ile-de-France

Roussin, encore lui, portera sa croix dans cette affaire en étant condamné à quatre ans de prison ferme ! «Marché du siècle», la rénovation de 471 établissements franciliens, entre 1988 et 1995. Un pactole de 24 milliards de francs, contre le reversement occulte de 200 millions à différents partis (tous, sauf le FN et les Verts, nonobstant un dissident écolo, le PC bénéficiant de l’absence de preuve formelle), avec le RPR en chef de file. Seul ténor politique poursuivi, Gérard Longuet (RPR) hurlera à la barre du tribunal : «Où sont mes collègues ? Où est le président du RPR ? Où est le président du PS ?»Le diable sait pourquoi Roussin, n’ayant aucune fonction au sein du Conseil régional, mais poursuivi en tant que chef de cabinet de Jacques Chirac, écopera du maximum. L’accusation le qualifiera de «chambellan à la bouche cousue de fil blanc». Louise-Yvonne Casetta, surnommée «la Cassette» du RPR, également poursuivie, pestera contre la «lâcheté des hommes au-dessus». Suivez son regard… L’avocat de Michel Roussin, Pierre Haïk, souhaitant que «la vérité éclate et que les responsables politiques soient amenés à s’expliquer»,n’obtiendra pas de son client qu’il mette en cause son mentor. Le fidèle bras droit de Jacques Chirac lâchera simplement : «On me poursuit depuis dix ans en tant qu’ancien directeur de cabinet, mais il tient encore le soldat Roussin !» Des boîtes du CAC 40 (Bolloré, Eiffage, Lyonnaise des Eaux…) se dévoueront pour lui dérouler le tapis rouge. Acheter son silence ? Cette «affaire monstrueuse, la plus grosse affaire de financement politique jamais jugée en France», selon le parquet, s’achèvera en eau de boudin.

Clearstream et l’Angolagate.

L’ombre de Jacques Chirac plane également sur ces autres feuilletons judiciaires.

Il n’est plus question de gros sous, mais de règlements de comptes en coulisses. D’un cabinet noir de l’Elysée, piloté par Yves Bertrand, inamovible patron des Renseignements généraux de 1992 à 2004. Fidèle à Jacques Chirac, il consignait scrupuleusement sur ses carnets les boules puantes visant ses concurrents de droite comme de gauche. Sarkozy ? «Fait construire une villa, tout au black.» Bayrou ? «C’est Borloo qui amène le fric occulte.» Pasqua ? «Les juges vont trouver son financement.» Montebourg ? «Va à Marrakech, avocat des islamiques.» Contassot (élu Vert ayant signé une demande de renvoi de Chirac devant la Haute Cour) ? «A-t-il des casseroles ?» On ne cite ces élucubrations nauséabondes que pour les besoins de la cause : démontrer la paranoïa ambiante au sein de la Chiraquie.

Yves Bertrand fait surtout feu de tout bois contre Lionel Jospin. Il aurait «acheté un pantalon rose» dans les années 70, c’est donc un pédé. Son père aurait été collabo. Dans la dernière ligne droite d’une cohabitation devenue houleuse, avant l’échéance présidentielle de 2002, Bertrand lâche les chiens, étant à l’origine de la fausse polémique à propos de l’achat d’une maison sur l’île de Ré par le Premier ministre. «Il faut continuer à pilonner», mentionne-t-il sur ses carnets, avant de conseiller l’équipe du président sortant : «Ils vont taper sur la moralité. Lors du débat entre les deux tours, Jospin va prendre Chirac par surprise pour le pousser à mentir.» Parole d’expert, mais qui n’aura pas vu venir la poussée de Jean-Marie Le Pen.

L’affaire Clearstream va changer la donne avec l’irruption des carnets en justice. En effet, les faux listings bancaires confectionnés par l’informaticien Imad Lahoud étaient truffés de noms préalablement consignés par… Yves Bertrand. Il faut dire que le faussaire était en contact régulier avec les RG. Bertrand, à son propos de Lahoud : il «pourrait travailler contre Jospin». Lors du procès Clearstream, intenté pour dénonciation calomnieuse, seul Dominique de Villepin comparaîtra, comme supposé agent de liaison élyséen du cabinet noir, avant d’être finalement relaxé.

Mais c’est dans l’Angolagate, une affaire de vente d’armes entre l’ex-URSS et l’Afrique, ayant partiellement transité par la France, que les carnets Bertrand se sont initialement invités. Le patron des RG suivait Charles Pasqua comme le lait sur le feu depuis son succès aux élections européennes de 1999. Le vieux renard voyait dans les armes une source de financement occulte de la galaxie Pasqua, lequel rétorquait un service rendu à Chirac pour la libération d’otages en Bosnie… Panier de crabes duquel Pasqua, en rupture de chiraquisme, sortira blanchi en appel, après avoir été condamné en première instance. Avant de décéder en 2015, l’ex-baron des Hauts-de-Seine gardera un chien de sa chienne envers Chirac, sans jamais le nommer formellement, en y englobant Juppé ou Villepin : «Ils sont disqualifiés pour exercer quelque fonction gouvernementale que ce soit. Ils peuvent compter sur moi pour le dire autant de fois que nécessaire.»

Règlement de compte, encore, toujours même, en marge de cette satanée affaire Clearstream. Parmi les faux listés, supposés dissimuler des avoirs au Luxembourg, on trouve des agents de la DGSE ayant enquêté sur un éventuel compte bancaire japonais au nom de Jacques Chirac – ils seront dans la foulée évincés du service de contre-espionnage. En soi, cela n’aurait rien d’illégal : le Japon n’est pas un paradis fiscal, bancaire ou judiciaire. Et le tropisme nippon de l’alors président de la République n’est plus à démontrer. Mais l’empressement des chiraquiens de choc à démentir l’existence de ce compte japonais est a contrario suspect… Il est question de Shoichi Osada, francophile patron de la Tokyo Sowa Bank. Il a souvent invité Jacques Chirac en son hôtel luxueux sur l’île d’Awashima, au large de Tokyo, sous divers prétextes culturels, pouvant justifier un défraiement annuel de 100 000 dollars. Sauf qu’une note de la DGSE mentionne que le compte nippon de Jacques Chirac hébergerait 300 millions de francs ! Tempête sous les crânes, surtout celui du général Rondot, électron libre du renseignement français, fidèle au chiraquisme, héros involontaire du feuilleton Clearstream. Dans un premier temps, il consigne dans ses propres carnets intimes : «Le compte existe depuis 1992, il est alimenté.» Avant de rétropédaler devant les enquêteurs : «C’est un mauvais procès fait au Président.» L’affaire part en vrille en fin de cohabitation Chirac-Jospin. A l’époque, le Président ne se lasse pas de sous-entendre que son Premier ministre chercherait à lui nuire… Un dirigeant socialiste s’en souvient : «Le procès d’intention des chiraquiens est révélateur de leur univers mental. La DGSE avait fait un travail de routine, rien n’est sorti dans la presse sauf à leur initiative pour dénoncer un complot.» Epilogue : Osada a été condamné à trois ans de prison en 2003. Et l’avocat de Jacques Chirac, Me Jean Veil, a cru bien faire en brandissant une attestation selon laquelle son client ne disposait d’aucun compte au Japon en 2001 – la Tokyo Sowa Bank ayant fait faillite deux ans plus tôt… Chacun jugera.

Effacement des disques durs

En quittant l’Elysée en 2007, Jacques Chirac avait déclaré un patrimoine de 1,4 million d’euros (dont la moitié en avoirs financiers, l’autre correspondant à la valeur affichée de son château de Bity), plus une antique Peugeot 205 (23 ans d’âge). Quid du reliquat de fonds secrets, hérités de ses deux passages à Matignon ? Les époux Chirac en avaient prétexté (mentionnant la somme de 3,2 millions de francs) afin de justifier le paiement de quelques transports aériens sur jets privés. C’est l’affaire Euralair, qui mérite également le détour. Dirigée par Alexandre Couvelaire, cette petite compagnie aérienne a longtemps transporté des dignitaires du RPR, comme Jean-Louis Debré, et surtout Bernadette Chirac pour de fréquents allers et retours entre Paris et la Corrèze. Vols non payés, non facturés, ou pudiquement libellés «en attente de facturation». Jacques Chirac en a également bénéficié en personne, durant sa campagne présidentielle en 1995, avant d’y renoncer une fois élu à l’Elysée. Une fiche interne d’Euralair, datée de 1991, mentionne à son propos : «Cash», ou encore «Bouygues», le géant du BTP paraissant payer à sa place. Comme on pouvait s’y attendre, le parquet s’est hâté avec lenteur, le temps qu’Euralair soit mise en faillite en 2005. Des salariés de la compagnie aérienne ont alors dénoncé l’effacement de ses disques durs. On en restera donc là.

Avec Jacques Chirac, il fut tentant de voir du liquide partout.

Mort de Jacques Chirac : “C’est une part de ma vie qui disparaît”, réagit Nicolas Sarkozy

Successeur de Jacques Chirac à l’Elysée, Nicolas Sarkozy a évoqué l’histoire tumultueuse qui les lie, estimant qu’il lui a servi “d’exemple” dans sa carrière d’homme d’Etat.

Ils s’étaient passé le témoin un après-midi de mai 2017, dans la cour de l’Elysée. Nicolas Sarkozy a fait part de sa “profonde tristesse” après l’annonce du décès de Jacques Chirac, à l’âge de 86 ans.“C’est une part de ma vie qui disparaît aujourd’hui”, a t-il affirmé.

“Il a incarné une France fidèle à ses valeurs universelles et à son rôle historique” et “il n’a jamais rien cédé sur notre indépendance, en même temps que sur son profond engagement européen”, a ajouté dans un communiqué Nicolas Sarkozy, en saluant “la stature imposante et la voix si particulière de Jacques.

“S’il a pu nous arriver de nous opposer sur le plan politique, je n’ai jamais oublié ce que je lui devais et ce qu’il a fait pour notre pays”, a ajouté Nicolas Sarkozy, ancien ministre des Finances et de l’Intérieur de Jacques Chirac avec qui il entretenait des relations tumultueuses, illustrée notamment par le célèbre “Je décide, il exécute” lancé par Jacques Chirac lors d’une interview télévisée. Ce dernier avait ainsi lancé en 2011 qu’il voterait pour François Hollande à la présidentielle de 2012 contre Nicolas Sarkozy.

Mais “sa ténacité, sa force de conviction, son empathie naturelle, et par-dessus tout sa capacité à surmonter  les épreuves de la vie ont constamment forcé mon admiration et suscité mon respect”, a ajouté Nicolas Sarkozy qui a affirmé: “c’est sur son exemple que j’ai souhaité servir la France”. Il a ainsi salué la “lucidité” de l’ancien chef de l’Etat qui a reconnu “la responsabilité qui avait été celle de l’Etat dans les complicités criminelles de Vichy”.

“Les Français peuvent être reconnaissants pour cette action toute entière vouée à notre pays. Sa mémoire restera dans l’Histoire de France comme dans le coeur de tous nos compatriotes”, a-t-il assuré.

Les emplois fictifs à la ville de Paris, la seule affaire de Jacques Chirac qui n’a pas fait “pschitt”

Premier ex- Président de la République condamné par la justice, il y a eu jusqu’à neuf dossiers politico-financiers à l’encontre de Jacques Chirac et qui ont fait l’objet d’un début de procédure judiciaire. Mais un seul n’a pas fait “pschitt” pour reprendre l’expression de l’ancien chef de l’État.

Pour l’affaire dite des “emplois fictifs à la ville de Paris” qu’il a dirigée durant dix-huit années entre 1977 et 1995, Jacques Chirac a été condamné le 15 décembre 2011 à deux ans de prison avec sursis pour détournement de fonds publics, prise illégale d’intérêts et abus de confiance. 

Jérôme Karsenti est l’avocat d’Anticor. L’association qui lutte contre la corruption avait réussi à se constituer partie civile dans ce procès des emplois fictifs à la mairie de Paris. Il raconte à Emmanuel Leclère 


En 2011, Jérôme Karsenti, l’avocat d’Anticor, avait réussi à se constituer partie civile dans ce procès des emplois fictifs à la mairie de Paris
AFP / Bertrand GUAY

FRANCE INTER : Est-ce que ce procès aura été votre plus gros bras de fer avec Jacques Chirac qui vous a permis d’obtenir la première condamnation d’un ancien Président de la République ?

JÉRÔME KARSENTI : “Ça a été le seul bras de fer d’ailleurs, mais qui a été très violent puisque Anticor était finalement un empêcheur de tourner en rond dans ce procès qui allait se dérouler tranquillement. On se souvient qu’on avait eu des réquisitions à fins de non-lieu de Monsieur Jean-Claude Marin dans ce dossier (à l’époque Procureur de Paris). On se souvient qu’à l’audience, les deux procureurs présents avaient demandé la relaxe de Jacques Chirac. On se souvient que la Mairie de Paris avait passé un accord avec Jacques Chirac de sorte qu’il n’y avait pas de parties civiles et que subitement Anticor, association qui était totalement inconnue à l’époque, débarquait dans le prétoire et apportait la contradiction à Jacques Chirac et tentait de le faire condamner, ou en tout cas de rappeler la réalité des faits. Et c’est vrai que ça a été terrible parce qu’on a eu une levée de bouclier. D’abord qui étions-nous ? Quelle légitimité avions-nous ? Quel avocat étais-je ? Bref, derrière le procès de Jacques Chirac, il y a eu tout le procès de la société civile.”

Quelles leçons avez-vous tiré de ce procès inédit en France ?

“Je pense que c’est un procès qui a été fondamental parce qu’on a désacralisé ce qui était intouchable. On a enfin dit qu’un homme politique de premier plan, un ancien président de la République, pouvait également répondre de la justice des hommes. Il y avait cette idée que jamais  la justice ne pourrait mettre son doigt là où elle était interdite d’aller. La justice est traditionnellement le serviteur de l’État, le serviteur du pouvoir. On parle souvent de la justice comme d’un contre-pouvoir… on aimerait bien ! C’est une vertu constitutionnelle à laquelle on aspire, mais la réalité c’est que la justice a souvent et longtemps été mise au service du pouvoir. Et là, finalement, la justice prenait son indépendance. 

On se souvient que Dominique Pauthe, qui présidait cette audience, a dû faire preuve d’une grande autorité et d’une grande indépendance d’esprit pour pouvoir imposer ce procès, le tenir dans toute sa réalité et condamner Jacques Chirac.

Il y a eu tellement d’affaires avant, tellement d’affaires enterrées, que l’idée que cette condamnation était possible a redonné beaucoup d’espoir et ça a lancé tout ce que l’on a eu derrière, c’est à dire la création du Parquet National Financier et la manière dont la société civile a pu exister et existe encore aujourd’hui dans les prétoires.” 

Vous évoquiez toutes ces affaires qui ont été enterrées. Pensez-vous qu’aujourd’hui elles ne seraient pas empêchées et ne feraient pas  “pschitt” au final ?

“Je considère qu’aujourd’hui on a des sentinelles, des juges qui ont acquis une indépendance d’esprit. Ce qui est le plus lourd en réalité. L’indépendance structurelle, on peut la dire, la proclamer mais tant qu’elle n’est pas inscrite dans la culture des magistrats, elle ne fonctionne pas. Et aujourd’hui, on a des magistrats qui ont compris la force de leur indépendance.

Le sacré est tombé et la justice s’est emparée de son pouvoir. On le voit bien, il n’y a eu aucun problème pour que des poursuites soient engagées contre Nicolas Sarkozy, contre François Fillon, contre Jérôme Cahuzac qui était pourtant ministre à l’époque. La justice va à des endroits où il lui était interdit d’aller. Ce qui a été enterré par le passé ne pourrait plus l’être à mon sens aujourd’hui.”

Est-ce que vous pensez par exemple à Éva Joly dans l’affaire Elf où l’ancienne magistrate n’a pas pu aller aussi loin qu’elle l’aurait souhaité ?

“L’affaire Elf, l’affaire des billets d’avion payés en espèce, l’affaire des frais de bouche (à la mairie de Paris), il y a eu “X” affaires ! Il a fallu cette affaire des emplois fictifs pour qu’une affaire atterrisse enfin entre les mains de deux juges d’instruction qui ont essuyé les foudres du Procureur de la République de l’époque qui était sous la tutelle de la hiérarchie et qui obéissait le doigt sur la couture du pantalon.”

“Notre maison brûle” : retour sur le discours choc de Jacques Chirac en 2002

En 2002, l’environnement n’a pas encore l’importance qu’on lui accorde aujourd’hui. Pourtant, c’est cette année que Jacques Chirac lance cette alerte, au sommet de la Terre à Johannesburg : “Notre maison brûle et nous regardons ailleurs.”

“Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas !”

La nature, mutilée, surexploitée, ne parvient plus à se reconstituer et nous refusons de l’admettre”, entame le président. “Sur tous les continents, des signaux d’alerte s’allument.”

_”_L’Europe est frappée par des catastrophes naturelles et des crises sanitaires.L’économie américaine, souvent boulimique en ressources naturelles, paraît atteinte d’une crise de confiance dans ses modes de régulation. L’Amérique Latine est à nouveau secouée par la crise financière et donc sociale. En Asie, la multiplication des pollutions, dont témoigne le nuage brun, s’étend et menace d’empoisonnement un continent tout entier. L’Afrique est accablée par les conflits, le sida, la désertification, la famine. Certains pays insulaires sont menacés de disparition par le réchauffement climatique.

“Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas !” poursuit le chef d’État. “Prenons garde que le XXIe siècle ne devienne pas, pour les générations futures, celui d’un crime de l’humanité contre la vie.” Jacques Chirac en appelle à la “responsabilité collective” des pays, en particulier des pays développés. “Si l’humanité entière se comportait comme les pays du Nord, il faudrait deux planètes supplémentaires pour faire face à nos besoins.”