Après Goulard, Breton

Thierry Breton indirectement visé par une plainte d’Anticor pour “prise illégale d’intérêts” et “délit de favoritisme”

L’association qui lutte contre la corruption et l’éthique politique s’interroge sur la nomination de Thierry Breton à la tête d’Atos, un an après son départ de Bercy. 

Thierry Breton, proposé par la France pour devenir commissaire européen, est indirectement visé par une plainte contre X d’Anticor, a appris franceinfo jeudi 24 octobre auprès de l’association et du Parquet national financier (PNF). 

Anticor n’accuse pas Thierry Breton mais “s’interroge”

Anticor a porté plainte en septembre dernier contre X, avec constitution de partie civile, pour “délit de favoritisme” et “prise illégale d’intérêts”. Selon l’association, le ministère de l’Économie, avec à sa tête Thierry Breton, a, entre 2005 et 2007, participé à l’attribution du marché public de la gestion des radars automatiques à la société Atos. En 2008, un an après le départ de Thierry Breton de Bercy, celui-ci est devenu PDG d’Atos. Anticor, sans accuser Thierry Breton, “s’interroge” sur cette nomination, a indiqué l’association à franceinfo. 

Selon le PNF, contacté par franceinfo, celle plainte a été déposée devant le doyen des juges d’instruction. Elle est arrivée au parquet le 17 octobre pour “étude et réquisitions”. 

Contactée par franceinfo, la société Atos a rappelé qu’une première plainte déposée par Anticor en 2015 n’avait pas abouti, et assure ne pas avoir été informée de cette seconde plainte.

Emmanuel Macron défend son choix et appelle à ne “pas salir les gens”

Actuellement à La Réunion, le président de la République a été interrogé sur l’opportunité de la candidature de Thierry Breton comme commissaire européen après le rejet de celle de Sylvie Goulard. 

S’il suffit d’avoir d’une plainte contre vous pour ne plus avoir accès à ces emplois, plus personne n’y aura accès.Emmanuel Macron

“Demain je peux porter plainte contre vous, il n’y a rien de plus simple, constate le président. Vous pouvez porter plainte contre moi. On est en train de tout confondre dans notre pays.”

Être mis en examen ne veut pas dire “être coupable”

“La justice n’a pas commencé à regarder, après il y a des enquêtes. Ensuite quand vous avez une enquête, vous pouvez soit être témoin assisté, soit mis en examen. On parle beaucoup de cette dernière notion, mais ça ne veut pas dire que vous êtes coupable. […] On passe d’un monde qui a existé où les plus puissants étaient protégés […] à un monde où on voudrait en quelques sorte que tous les dirigeants politiques aient un destin, c’est être voué à l’opprobre. Ça ne veut rien dire. Il y a une plainte, elle sera instruite. […] Il y a des gens retenus par le Parlement européen qui avait fait l’objet de condamnation. Donc je crois qu’il faut savoir raison garder et ne pas commencer à salir les gens dans tous les sens.”

Quatre choses à savoir sur Thierry Breton, le nouveau candidat de la France pour la Commission européenne

Dirigeant de nombreuses entreprises d’informatique durant sa carrière, Thierry Breton a aussi occupé des fonctions politiques, notamment comme ministre. Mais sa candidature pose la question des conflits d’intérêts et d’un possible blocage au Parlement européen.

Il a dirigé Thomson, France Télécom et Atos

Avant d’accéder à d’importantes responsabilités politiques, Thierry Breton s’est construit une carrière de chef d’entreprise. Et plus précisément, d’entreprises spécialisées dans la technologie, en lien avec ses études d’ingénieur à Supélec. Dans les années 1980, Thierry Breton monte sa propre boîte d’informatique à New York, Forma Systems.

Il continue sa carrière en tant que vice-président d’une autre entreprise du secteur, Bull, avant d’être nommé PDG de Thomson par le gouvernement d’Alain Juppé, en 1997. Il acquiert alors sa réputation de “redresseur d’entreprise” et vole ensuite au secours de France Télécom, lourdement endettée. Nommé à sa tête en 2002 par Jacques Chirac, il participe notamment à la privatisation de l’entreprise et au lancement de la Livebox. Selon le syndicat SUD-PTT, cité dans La Croix, Thierry Breton aurait également supprimé 27 000 emplois.

Il est actuellement directeur général d’Atos, entreprise de services du numérique, cotée au CAC 40 et qui compte environ 120 000 employés à travers le monde. Un géant du secteur qui a vu sa croissance gonfler sous “l’ère Breton”. Ses expériences lui ont aussi permis d’accéder au classement des 100 patrons les plus performants au monde de la revue américaine Harvard Business Review à trois reprises, en 2010, 2017 et 2018

Il a été ministre de l’économie sous Jacques Chirac

Au milieu de ses expériences dans des entreprises privées, Thierry Breton a aussi été ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie pendant un peu plus de deux ans entre 2005 et 2007, dans les gouvernements Raffarin et Villepin. Et ce n’était pas son premier pas en politique puisqu’il avait auparavant intégré le cabinet de René Monory au ministère de l’Education nationale à la fin des années 1980, puis été élu au conseil régional de Poitou-Charentes de 1986 à 1992.

Treize ans après son mandant d’élu local, Thierry Breton est donc entré au gouvernement sous l’égide de son ancien patron en Poitou-Charentes, Jean-Pierre Raffarin. L’un de ses principaux objectifs de l’époque : réduire la dette et assainir les comptes publics. Cette aventure politique se terminera avec l’arrivée de Nicolas Sarkozy au pouvoir. Plus récemment, Thierry Breton a soutenu Alain Juppé en 2016, avant de se rallier à la candidature d’Emmanuel Macron pour la présidentielle de 2017, rappelle Le Point. Son nom a aussi été, un temps, évoqué pour un poste dans le gouvernement d’Edouard Philippe.

Il a écrit des livres de science-fiction

Thierry Breton ne s’intéresse pas seulement à l’économie. Il a aussi développé son côté littéraire, en écrivant et publiant des livres de science-fiction. Trois en quatre ans, entre 1984 et 1987, pour être précis. Les sujets de ces romans restent tout de même dans son domaine de prédilection : “L’idée maîtresse de Softwar, qui commence le 12 mai 1980 pour s’achever le 3 septembre 1984 à Genève, est simple : les Américains ont piégé les ordinateurs soviétiques au moyen de virus informatiques, des softbombs”, rapportait Libération en 2006. 

L’ouvrage, paru en 1984 et écrit à quatre mains avec Denis Beneich, se vendra à 80 000 exemplaires en France et sera traduit en une dizaine de langues. Une touche d’originalité pour parachever un CV très “techno”.

il pourrait être en situation de conflit d’intérêts, selon certains politiques

Les allers-retours entre le public et le privé de Thierry Breton commencent à faire grincer des dents. Plusieurs responsables politiques de gauche et de droite y voient un risque de conflits d’intérêts et de possible blocage au Parlement européen.“Thierry Breton est président d’Atos, c’est une société du numérique qui touche des subventions européennes (…) et dans son portefeuille, qu’est-ce qu’on a ? Le numérique. Donc on va avoir un souci de conflit d’intérêts”, a prédit l’eurodéputé EELV Yannick Jadot, sur BFMTV.

“Un patron du CAC 40, dont l’entreprise reçoit des millions de subventions européennes ! Niveau prévention des conflits d’intérêt, c’est pas encore ça !” a réagi sur Twitter l’eurodéputée de La France insoumise Manon Aubry. 

Du côté de la droite, dont Thierry Breton est pourtant issu, la question est posée. Julien Aubert, député Les Républicains, a considéré sur RFI qu’“il faut faire attention parce que Thierry Breton a dirigé une entreprise et les règles européennes en matière de conflits d’intérêts sont extrêmement strictes”.

Avant sa nomination, Thierry Breton sera auditionné par la commission parlementaire des affaires juridiques. Atos a aussi annoncé, dès ce jeudi, qu’il serait remplacé à la direction générale du groupe à partir du 1er novembre par l’actuel directeur général délégué Elie Girard. L’Elysée a aussi voulu désamorcer la question en assurant que “monsieur Breton a toujours fait preuve de rigueur pour éviter tout conflit d’intérêts” lorsqu’il était ministre en se mettant en retrait des dossiers pouvant le concerner. Reste à voir si les eurodéputés seront du même avis.

Pour Emmanuel Macron, Thierry Breton “a les qualités requises pour être proposé commissaire français”

Thierry Breton, dernier recours bruxellois de la macronie

24 OCTOBRE 2019 PAR MARTINE ORANGE

Depuis le début de sa très longue carrière, Thierry Breton a pris l’habitude d’être l’homme du dernier recours, celui à qui on fait appel quand la cause semble perdue. Sa nomination comme candidat au poste de commissaire européen au marché intérieur n’échappe pas à cet axiome. Alors que l’Élysée pataugeait pour trouver un successeur présentable après le rejet de Sylvie Goulard par le Parlement européen le 10 octobre, l’exécutif s’est finalement rabattu sur le nom de Thierry Breton, PDG du groupe informatique Atos depuis 2009.

L’Élysée a confirmé jeudi 24 octobre que Thierry Breton était son candidat pour prendre l’immense portefeuille du marché intérieur de la Commission européenne. Un portefeuille taillé sur mesure selon les désirs d’Emmanuel Macron, allant de l’économie à l’énergie, en passant par l’industrie, le numérique, l’espace et la défense.

Le PDG a toutes les capacités pour remplir ce gigantesque champ d’action, à en croire l’exécutif : « Thierry Breton a des compétences solides dans les domaines couverts par ce portefeuille, en particulier l’industrie et le numérique, car il a été ministre de l’économie entre 2005 et 2007, avec tutelle sur l’industrie. Il a aussi été PDG de grands groupes industriels et du secteur de la défense (Thomson, France Télécom, Atos) et bénéficie d’une réputation solide d’homme d’action. » Ce choix, a précisé l’Élysée, a été discuté et approuvé par la présidente de la commission européenne Ursula von der Leyen, que Thierry Breton connaît depuis plusieurs années. Une façon d’impliquer la commission européenne afin d’éviter un nouveau revers français.

Dans la macronie, Thierry Breton incarne ce monde en marche que le mouvement entend porter en exemple : décomplexé, car il peut passer du privé au public et vice-versa, sans contrainte ; branché sur la start-up nation, pour avoir fait toute sa carrière dans les entreprises de nouvelles technologies (Bull, Thomson, France Télécom, Atos) ; européen pour avoir défendu tous les projets d’intégration ; responsable pour avoir été en tant que ministre de l’économie et des finances défenseur de la rigueur, l’ennemi de la dette, en reprenant les accents d’un Raymond Barre. Bref, un dirigeant parfait sous tous rapports.

Et puis Thierry Breton est un fidèle. Après le retrait de la candidature d’Alain Juppé à la présidentielle, l’ancien ministre UMP, proche de Jean-Pierre Raffarin côté politique, de Martin Bouygues et David de Rothschild côté monde des affaires, s’est rallié avant même le premier tour à la candidature d’Emmanuel Macron. Le PDG d’Atos, qui ne résiste pas parfois à se pousser du col, n’hésita pas à se vanter par la suite « d’avoir fait Emmanuel Macron ».  

Car en dépit des apparences, de ses discours « révolutionnaires » sur le numérique et l’intelligence artificielle, Thierry Breton appartient furieusement à l’ancien monde, celui d’une droite épuisée, mais aussi du capitalisme à la française. Par ses allers-retours entre public et privé, du monde politique à celui des affaires, il est même devenu un de ceux qui font le relais, le lien entre ces deux mondes, où se pratiquent sans gêne et sans remords l’endogamie, la connivence, le conflit d’intérêts.

Comme beaucoup d’autres, Thierry Breton révère et relève de ce tout petit cénacle, essentiellement parisien, où se côtoient les grandes fortunes françaises, des banquiers, quelques politiques, et des hauts fonctionnaires. Des dirigeants « responsables » qui, depuis plusieurs décennies, entendent peser, voire dicter les choix de la politique française, considérant qu’ils savent mieux que quiconque ce qui est bien pour le pays. Dans ce microcosme, Thierry Breton évolue à son aise. Il aime plaire, il sait plaire, ayant le discours qui bouscule juste ce qu’il convient pour surprendre et intéresser son auditoire, sans le choquer. 

Car il n’est jamais parvenu à totalement s’en cacher : il goûte le pouvoir. Aujourd’hui, il est un des représentants de poids de ce monde. Sa parole y pèse non seulement par ce qu’il est, mais aussi par ce qu’il représente symboliquement : il a été adoubé par Bernard Arnault lui-même, première fortune de France, troisième fortune du monde. Depuis des années, Thierry Breton préside la fondation Arnault, érigée en Belgique. Il est à ce titre l’exécuteur testamentaire du PDG de LVMH, en cas de succession. Un groupe cher au monde d’Emmanuel Macron et qui le lui rend bien. Après tant d’autres, Ismaël Emelien, ancien conseiller spécial d’Emmanuel Macron, a trouvé refuge au sein du groupe LVMH après son départ de l’Élysée.

Cette intronisation de Thierry Breton en gardien du groupe de luxe et de la fortune des Arnault a-t-elle été faite en gage de remerciement ? C’est en 2005, alors que Thierry Breton était ministre des finances, que Bernard Arnault a commencé à organiser sa succession et à transférer sa fortune en Belgique. À l’époque, il a créé une holding belge Pilinvest pour les actions du groupe Arnault qui contrôle toutes les sociétés de l’empire LVMH. Le groupe Arnault y a transféré 90 % de ses actions puis les a démembrées, accordant la nue-propriété à ses enfants, conservant l’usufruit (les dividendes) pour lui. Pour compléter le montage, une fondation, Proctinvest, que préside Thierry Breton, a été créée afin d’assurer l’intégrité de l’empire bâti par Bernard Arnault.

But de l’opération ? Éviter les frais de succession et de donation. Grâce à ce montage, le groupe LVMH n’a payé que 6 % de droits fiscaux au lieu de 45 %, a révélé Le Canard enchaîné en 2013, au moment où Bernard Arnault essayait de prendre en toute discrétion la nationalité belge. L’affaire a fait scandale. Interrogé par Le Canard enchaînéà cette époque, Thierry Breton jura qu’il « n’était au courant de rien ». En tant membre du conseil d’administration et président du comité d’audit de 1998 à 2002, il n’avait pas plus vu le scandale comptable de Rhodia qui conduira plus tard à la quasi-faillite du groupe chimique. 

Il est pourtant un homme de confiance dans l’empire LVMH. Outre sa nomination à la fondation, Thierry Breton a été nommé au conseil d’administration de Carrefour en juillet 2008, en même temps que Nicolas Bazire, un des plus proches collaborateurs de Bernard Arnault dans le groupe de luxe. Mais il fallait sans doute donner quelques occupations à cet ancien ministre des finances, officiellement en froid avec Nicolas Sarkozy – Thierry Breton lui reprochant d’avoir laissé filer la dette lors de son passage à Bercy entre 2004 et 2005 –, en attendant qu’il retrouve un poste à sa dimension chez Atos, à partir de 2009.

Même s’il a été mis en scène, le différend entre Nicolas Sarkozy et Thierry Breton n’est qu’apparent. Ils ont les mêmes amis, les mêmes soutiens dans le monde des affaires et surtout partagent la même vision politique. C’est Nicolas Sarkozy qui organise lorsqu’il est ministre des finances le passage sous les 50 % du contrôle de l’État de France Télécom, alors dirigé par Thierry Breton. Une évolution vivement souhaitée par ce dernier.

Les passifs de Thierry Breton

De même, lors de son arrivée à Bercy, Thierry Breton reprendra et poursuivra le chantier de la privatisation d’EDF et de GDF, initié par son prédécesseur. C’est sous son mandat que l’État cède 15 % du capital d’EDF en novembre 2004. De même, c’est lui qui met en œuvre la privatisation totale de GDF, acceptant de prêter mainforte à une opération de manipulation autour d’un risque d’OPA sur Suez.

Pour sauver Suez, comme le premier ministre Dominique de Villepin le défendra sur le perron de Matignon en février 2006 en reprenant le scénario de Bercy, il faut le marier avec GDF. Un temps opposé à cette fusion, pour de simples raisons d’opportunisme politique, Nicolas Sarkozy tranchera en vingt minutes, tout de suite après son accession au pouvoir, en faveur de cette fusion en septembre 2007. L’opération pourra aller très vite : Thierry Breton, si proche d’Albert Frère [principal actionnaire privé de Suez et Total et très lié aussi à Bernard Arnault – ndlr], avait dégagé tout le terrain législatif et réglementaire lors de son passage au ministère des finances.

PARIS, FRANCE – 20 octobre : Thierry Breton, Bernard Arnault, Hélène Mercier-Arnault et un invité assistent à un Cocktail pour l’ouverture des “Icones de l’Art Moderne, La Collection Chtchoukine” à la Fondation Louis Vuitton le 20 octobre 2016 à Paris, France. (Photo par Pascal Le Segretain/Getty Images)

Aujourd’hui, ces deux privatisations figurent parmi les plus désastreuses, liquidant le service public, privant l’État d’outils pour repenser sa politique énergétique, au nom d’une concurrence qui n’a jamais démontré sa pertinence : en dix ans, les prix du gaz et de l’électricité ont augmenté respectivement de 50 % et 49 %.

Mais il y a eu une privatisation encore plus désastreuse : celle des autoroutes. Étonnamment, Thierry Breton a réussi à détacher son nom de cette opération calamiteuse, s’apparentant à un pillage des biens publics, laissant porter la seule responsabilité de l’affaire à Dominique de Villepin.

Bruno Le Maire était alors directeur de cabinet du premier ministre : il doit s’en souvenir. Si le bradage des autoroutes a été tranché à Matignon, sa mise en œuvre a été pilotée par Bercy, sous la responsabilité de Thierry Breton. C’est lui qui avait pour mission de concevoir et de contrôler les modalités de ces ventes, les contrats, les cahiers des charges. Dans plusieurs rapports successifs, la Cour des comptes et l’Autorité de la concurrence ont critiqué vertement la façon dont l’État a accepté de renoncer à tout contrôle, de se lier les mains face aux intérêts du privé, sans possibilité de recours. Thierry Breton est parvenu à n’être jamais comptable de ce dossier.

Mais c’est un des talents du PDG d’Atos : n’être jamais en première ligne en cas de difficulté ou d’échec. Des années ont passé, mais d’anciens responsables de Thomson ont encore la mémoire à vif en se souvenant de la façon dont Thierry Breton, alors dirigeant de Thomson, a organisé la liquidation de toutes les activités (multimédia, son, images) dans lesquelles le groupe français avait pourtant de grandes avances. Personne ne lui en a voulu : « Thomson, cela vaut zéro », avait tranché Alain Juppé, alors premier ministre.

Pas une fois non plus son nom n’a été évoqué dans le dossier France Télécom. Si Thierry Breton a incontestablement redressé le groupe de télécommunications (avec l’aide de l’État toutefois, qui lui a apporté 6 milliards de fonds supplémentaires), a lancé le programme d’internet pour tous, l’entrée du groupe dans le haut débit intégré, cela s’est accompagné aussi par une violence sociale terrible pour les salariés. Les premiers plans de mutations, de changement sont intervenus dès 2003.

Didier Lombard, fidèle entre les fidèles, choisi par Thierry Breton lui-même pour lui succéder lorsqu’il part à Bercy, n’a fait que renforcer et accélérer ce qui avait été mis en place précédemment. Toute l’équipe ou presque qui s’est retrouvée sur le banc des accusés au procès de France Télécom en mai faisait partie de la garde rapprochée de Thierry Breton, lorsqu’il présidait le groupe.

Lorsque Didier Lombard annonce en 2006 que le groupe doit faire 7 milliards de cash flow, augmenter ses dividendes, et que pour ce faire il est prêt à sortir les salariés « par la porte ou par la fenêtre », tout laisse à penser qu’il le fait aussi sur ordre de son actionnaire principal, l’État. Pourtant le nom de Thierry Breton n’a jamais été prononcé lors des audiences, comme si tout ce qui s’était passé ne le concernait pas, comme s’il n’avait plus jamais regardé le dossier une fois à Bercy. Qui peut le croire ? Le storytelling le dit.

De même, tous vantent la formidable progression d’Atos, étant parvenu à se hisser parmi les cinq premiers groupes mondiaux des services numériques sous la présidence de Thierry Breton. Mais cette croissance exceptionnelle, faite à coups de rachats, de Bull notamment, de batailles boursières, s’est beaucoup appuyée sur des contrats d’État et aussi des aides européennes (plus de 100 millions d’euros.  En juin 2016, Thierry Breton avait commis un rapport pour l’IFRAP, connu pour ses thèses ultra-libérales. Il y défendait un fonds européen pour la défense et de la sécurité. Compte tenu de ses activités, Atos en aurait été un des premiers bénéficiaires.

Mais là encore, le succès de son groupe a aussi son revers, à nouveau social. En 2015, les responsables du groupe ont reçu des consignes : il fallait sortir les salariés indésirables. Le groupe ne voulait «  ni seniors, ni syndicalistes, ni handicapés ». Là encore, Thierry Breton est passé au-dessus des critiques. Ce dernier, comme tous ses homologues, ne manque pas pourtant une occasion de souligner la nécessité de repousser l’âge de la retraite, compte tenu de l’allongement de la durée de la vie, au nom de la dette et de la rigueur gestionnaire, bien sûr.

Quelle attitude adoptera Thierry Breton face aux anciennes entreprises qu’il a dirigées, et qui, à un moment ou à un autre, peuvent être amenées à solliciter l’Union européenne ou à être contrôlées par celle-ci ? Se déportera-t-il dans ces cas-là ? Quel discours tiendra-t-il plus généralement, s’il accède au poste de commissaire au marché intérieur ? Celui de la révolution numérique, de la rigueur, d’une Europe intégrée, sans nul doute. Certainement moins celui de la lutte contre les inégalités, contre les paradis fiscaux ou du soutien au nécessaire changement pour répondre aux défis écologiques.

Sur ces terrains, il pourrait se retrouver sans difficulté avec Christine Lagarde, ancienne ministre des finances comme lui et nouvelle présidente de la BCE. L’ennui est que Thierry Breton a témoigné à charge contre Christine Lagarde lors de son procès devant la Cour de justice dans l’affaire Crédit lyonnais/Tapie, qui lui a valu d’être condamnée mais dispensée de peine. L’ancien ministre des finances avait alors accablé celle qui lui avait succédé. Contrairement à ce que soutenait Christine Lagarde, il avait affirmé avoir été au courant de l’arbitrage, qu’il l’avait refusé, comme le lui conseillait l’Agence de participations de l’État.

Ce sont des choses qui ne s’oublient pas. Mais la macronie sait faire des miracles : comme elle sait éclipser les conflits d’intérêts et les connivences d’affaires, peut-être parvient-elle aussi à enterrer les vieilles querelles ?