Mais que faisait-il en France?

Majdi Mustafa Nema* se présentait en ligne comme «un chercheur en sécurité et terrorisme, spécialisé sur la Syrie.» 
Cet homme de 31 ans, arrêté en plein cœur de Marseille le 29 janvier, était entré en France grâce à un «visa court séjour délivré sur la base d’un dossier complet, après interrogation des services ministériels compétents», selon la porte-parole du Quai d’Orsay.

 En clair : Majdi Mustafa Nema a réussi à s’inscrire à l’Institut de recherche sur le monde arabe et musulman (Iremam) de l’Université Aix Marseille, grâce au programme « Erasmus Plus » et avec un visa en règle. 
Cet homme, aussi connu sous le nom d’Islam Allouche, est pourtant l’ancien haut responsable d’un groupe salafiste syrien, Jaich al-Islam. La justice française accuse Majdi Mustafa Nema « d’actes de torture et complicité », de « crimes de guerre » et de « complicité de disparitions forcées. » Il a été mis en examen le 31 janvier.

Le groupe Jaich al-Islam est notamment soupçonné de l’enlèvement en 2013 de l’avocate et journaliste syrienne Razan Zeitouneh, son mari Waël Hamada et deux de ses collaborateurs.

Le directeur de l’Iremam ne connaissait pas son passé
Comment a-t-il pu échapper à la vigilance des autorités françaises et s’inscrire dans un institut qui relève du CNRS? Après les printemps arabes, « des centaines de jeunes activistes de ces pays ont reconverti le capital politique acquis dans leurs années militantes dans des projets d’études ou de recherche en sciences sociales », a expliqué à l’AFP Richard Jacquemond, directeur de l’Iremam, ajoutant qu’il ne connaissait pas le passé de Majdi Mustafa Nema.

L’obtention d’un visa est notoirement complexe, a-t-il souligné, donc lorsqu’un candidat l’obtient, « je considère que les services consulaires ont fait leur travail », ajoute-t-il. Il s’agit, selon lui, de « profils très intéressants parce qu’ils peuvent nous apporter une connaissance de première main ».

Une affaire « surprenante » selon une ONG
Mais Chris Doyle, directeur du Council for Arab British Understanding (Caabu) à Londres, relève que le Syrien s’était vu refuser l’entrée d’une grande université britannique et s’étonne de l’absence en France des vérifications d’usage.

« Combien de personnes comme lui essayent (…) d’entrer dans l’Union européenne et de commencer une nouvelle vie d’universitaires, malgré un passé opaque sur ce qu’ils ont fait au front ? », s’est-il interrogé, joint lui aussi par l’AFP.

C’est la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH) qui a signalé le 10 janvier dernier la présence de Majdi Mustafa Nema en France à la justice. Son avocate estime qu’il est « pour le moins surprenant » qu’un tel individu ait obtenu un visa.

 Ancien officier déserteur de l’armée de Bachar el-Assad
L’ex-combattant est pourtant loin d’être un inconnu pour les services occidentaux. Dès le début de la révolution syrienne en 2011, cet ancien officier déserteur de l’armée de Bachar el-Assad avait rejoint les rebelles du groupe radical islamiste Jaysh al-Islam (armée de l’islam).

Ses quelque 20 000 combattants tenaient d’une poigne de fer, sous le régime de la charia, la loi islamique, le quartier de la Ghouta orientale, la grande banlieue de Damas. Ils sont notamment soupçonnés d’avoir enlevé et torturé quatre défenseurs des droits humains, dont l’icône de la révolution syrienne Razan Zaitouneh. Des victimes présumées mortes, mais dont le corps n’a jamais été retrouvé.

Sous le nom de guerre d’« Islam Alloush », Nema s’était imposé comme porte-parole de l’organisation et selon un témoin cité par la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) comme recruteur d’enfants soldats.

 Autoproclamé chercheur, sans cacher son passé
Après avoir rompu avec Jaysh al-Islam, dans des conditions encore floues en 2016, l’islamiste avait gagné la Turquie, dont le régime est considéré dans les milieux diplomatiques occidentaux comme l’un des parrains politiques du groupe. Sans chercher à masquer son passé, il s’était refait une virginité sur les réseaux sociaux, se présentant comme un spécialiste de la géopolitique locale. À Istanbul, il explique fréquenter un cercle de réflexion, le « Toran Center for strategic studies », se définissant, selon un document diffusé sur Facebook, comme « chercheur spécialisé en affaires syriennes », notamment pour les questions « de sécurité et de terrorisme ». Il ne cache pas avoir été « profondément impliqué dans la révolution syrienne ».

C’est depuis Istanbul qu’il sollicite sous sa véritable identité la délivrance d’un visa pour étudier en France. Il rédige alors une lettre de motivation pour l’Institut de recherche sur le monde arabe et musulman (Iremam) de l’université Aix-Marseille, relevant du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Il obtient le sésame valable à partir du 5 novembre 2019. « Un visa court séjour » a été délivré « sur la base d’un dossier complet », a confirmé ce jeudi la porte-parole du Quai d’Orsay, qui précise que les « services ministériels compétents », en l’occurrence ceux de l’Intérieur, ont été préalablement consultés. Le visa arrivait à expiration le 5 février.

* Son nom de famille peut aussi s’orthographier Nameh.

L’ex-responsable salafiste arrêté à Marseille a reçu un visa délivré par le consulat de France à Istanbul

Selon un communiqué commun de trois ONG, FIDH (Fédération internationale pour les droits humains), SCM (Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression) et LDH (Ligue des droits de l’Homme), l’homme interpellé se faisait appeler Islam Alloush, mais se prénomme en réalité Majdi Mustafa Nameh.

Il «figure parmi les hauts responsables de Jaysh Al Islam», qui «compta jusqu’à plus de 20.000 combattants et fit régner la terreur dans les zones rebelles qu’elle contrôlait, principalement dans la Ghouta orientale, dont elle perdit le contrôle en avril 2018», selon leur communiqué. Cette inculpation ouvre «la voie à la première enquête judiciaire portant sur les crimes commis par le groupe armé», se félicitent-elles. Le groupe Jaych al Islam est notamment soupçonné de l’enlèvement le 9 décembre 2013 de l’avocate et journaliste syrienne Razan Zeitouneh, son mari Waël Hamada et deux de ses collaborateurs.

Mme Zeitouneh avait été l’une des figures du soulèvement populaire lancé en mars 2011 contre le régime de Bachar al-Assad, et avait reçu cette année-là le Prix Sakharov des droits de l’homme en compagnie d’autres militants du «Printemps arabe». Elle avait ensuite critiqué les violations des droits de l’homme commis par toutes les parties au conflit. Une plainte visant des membres de ce groupe islamiste avait été déposée en juin dernier auprès du pôle crimes contre l’humanité du Parquet national antiterroriste pour «actes de torture», «disparitions forcées», «crimes contre l’humanité et crimes de guerre», commis dans la Ghouta entre 2012 et avril 2018, par la FIDH, la LDH et le SCM, ainsi que par sept membres de la famille de Mme Zeitouneh.

Le Figaro avec AFP – Publié le 31 janvier 2020