Dîners du Siècle, l’élite du pouvoir se restaure

En France comme dans la plupart des démocraties libérales, les membres de la classe dirigeante constituent un groupe social conscient de lui et séparé des autres. Mais l’intégration à ce monde ne s’opère pas spontanément. Entamée au moment des études, elle se prolonge au sein de cercles élitistes, tel Le Siècle, et de réceptions mondaines où se coudoient les vedettes issues de divers horizons professionnels.

Voici ci-dessous la liste complète des participants au 831ème Dîner du Siècle du mercredi 26 février 2020 au Cercle de l’Union interalliée (33 rue du Faubourg Saint-Honoré, juste à côté de l’Élysée).

Participants au Dîner du Siècle du 26 février 2020

Participants au Dîner du Siècle du 27 janvier 2010 

Cuisine décevante, conversations délectables

Publié aux Etats-Unis en 1956, en pleine guerre froide, L’Elite du pouvoir de Charles W. Mills a suscité d’intenses controverses. Ce livre démontrait en effet que le pays censé incarner le pluralisme démocratique était en réalité contrôlé par une étroite minorité d’individus juchés aux postes de commande des plus puissantes institutions de la société moderne (Etat, grandes entreprises, armée, médias, etc.). Le sociologue reconnaissait que « l’élite du pouvoir » se laisse difficilement circonscrire : « Les hommes des sphères supérieures sont impliqués dans un ensemble de “bandes” qui se recoupent et de “cliques” unies entre elles par des liens compliqués. » Dans la France contemporaine, les choses sont plus simples : un mercredi par mois, vers 20 heures, l’élite du pouvoir s’attable dans les salons cossus de l’Automobile Club de France pour le dîner du Siècle.

De l’aveu même de l’ancien président de cette association, on y mange plutôt mal. Mais qu’importent les mets et les breuvages. De l’avis d’un habitué, M. Jean-Louis Beffa, ancien président de Saint-Gobain devenu conseiller auprès de la banque Lazard, « on va aux dîners du Siècle pour le pouvoir ». Non pas le pouvoir élu, l’autre — quoiqu’un large pont relie les deux : les agapes mensuelles se déroulent place de la Concorde ; l’Assemblée nationale se trouve juste de l’autre côté de la Seine.

Les « importants » autour d’une table 

Créé en 1944, Le Siècle n’est ni un groupe de réflexion, ni un club mondain. En favorisant un dialogue réglé entre patrons, journalistes, politiques, hauts fonctionnaires et, dans une moindre mesure, universitaires ou artistes, cette association cherche à produire du consensus plutôt qu’à constituer des antagonismes politiques. Elle réunit des gens « importants » pour ce qu’ils font, plutôt que pour les affinités ou les goûts qu’ils partageraient.

L’initiative de fonder ce cénacle revient à Georges Bérard-Quélin (1917-1990), un journaliste radical-socialiste, éphémère secrétaire de rédaction en 1940 de La France au travail, un journal collaborationniste, avant d’épouser la cause de la Résistance. Homme de réseaux, « BQ », comme on le surnomme, est aussi le patron de la Société générale de presse, une agence dont le fleuron éditorial porte les mêmes initiales que lui : le Bulletin quotidien.Les fondateurs du Siècle et de la Société générale de presse se donnent pour mission de bâtir, grâce à ces deux instruments, « un pont entre des mondes qui s’ignorent trop en France (politiques, hauts fonctionnaires, journalistes, industriels, banquiers) ».

D’un côté, l’association entend faire se rencontrer les puissants et participer à leur renouvellement générationnel, indépendamment des organigrammes industriels et financiers, des hiérarchies administratives ou des honneurs institués. De l’autre, le périodique a pour fonction de fournir à ces mêmes dirigeants un digest de l’actualité économique et politique. C’est sur cette base que le BQs’impose d’abord comme la gazette coûteuse (en 2011, 25 euros par jour) d’une amicale guindée, avant que son lectorat ne s’élargisse progressivement aux rédactions, administrations et états-majors politiques et patronaux.

Dans l’immédiat après-guerre, de profonds clivages fragmentent la classe dominante : résistants contre collaborateurs ou vichyssois ; patrons — libéraux ou corporatistes — discrédités contre hauts fonctionnaires planificateurs ; partis politiques désunis contre un Parti communiste au plus haut de ses résultats électoraux. Bérard-Quélin et ses associés œuvrent à réconcilier les élites, communistes exceptés. Avec un certain succès. Alors que les premiers gouvernements de la Ve République comptaient 20 % de membres du Siècle dans leurs rangs, cette proportion n’a fait que croître durant les années 1960 et 1970, pour atteindre les 58 % en 1978. Depuis lors, elle oscille entre le tiers et la moitié des ministres (quelle que soit leur orientation politique), avec un pic de 72 % entre 1993 et 1995, sous le gouvernement de M. Edouard Balladur…

A l’occasion de l’hommage rendu au fondateur du Siècle après son décès, son ami Pierre Moussa, un inspecteur des finances reconverti dans la banque (fameux pour avoir tenté de soustraire Paribas à la nationalisation en 1982), se félicitait du chemin parcouru. Le petit cercle des années 1940-1950 a en effet progressivement intégré les principales personnalités politiques françaises (de François Mitterrand, un proche de Bérard-Quélin, à Georges Pompidou en passant par Pierre Mendès France) et a su réunir en un seul réseau grands patrons du public et du privé. « Aujourd’hui, concluait M. Moussa, pas seulement bien sûr grâce au Siècle, mais — je le pense sincèrement — en partie grâce à lui, la situation a changé totalement ; reste à entretenir cette communication entre secteurs d’activité ; reste aussi une tâche permanente, qui est de faire communiquer entre elles les générations successives. »

Le Siècle rassemble désormais environ sept cents membres et invités, soigneusement cooptés par son conseil d’administration, lui-même composé d’une quinzaine de personnes renouvelées pour moitié chaque semestre. La cheville ouvrière de l’organisation s’appelle Etienne Lacour, rédacteur en chef de la Société générale de presse, où il travaille depuis une quarantaine d’années. Il a d’ailleurs remplacé Jacqueline Bérard-Quélin dans l’élaboration des plans de table. Une tâche cruciale dans une organisation où l’on ne fait que dîner : répartir plusieurs centaines de personnes sur des tables de sept ou huit, de telle sorte que tous les secteurs d’activité soient représentés et sans froisser les susceptibilités individuelles, relève de la pure alchimie sociale.

On ne demande d’ailleurs pas à entrer au Siècle : on y est invité, grâce au parrainage de deux membres au moins. Le conseil d’administration ne vote l’admission définitive, à la majorité qualifiée, qu’au terme d’une période probatoire d’un ou deux ans. Dès lors, l’enjeu pour le futur impétrant consiste à se montrer, aux dîners, courtois, informé, intéressé, affable, capable de mots d’esprit et discret — les propos tenus à table ne doivent pas être divulgués.

Unité de genre, conformité de classe 

Etre membre du Siècle témoigne, d’abord, d’une insertion réussie au sein de la classe dominante. Aux côtés des patrons du CAC 40, des responsables des bureaucraties d’Etat et des bobardiers de renom, l’association regorge de personnalités de droite, comme MM. Nicolas Sarkozy, François Fillon, Jean-François Copé, respectivement chef de l’Etat, premier ministre et secrétaire général du parti majoritaire. La gauche parlementaire n’est cependant pas en reste. « J’aime beaucoup le Siècle, dit ainsi Mme Martine Aubry. J’ai cessé d’y aller en 1997 lorsque je suis devenue ministre. C’était très intéressant. Je me retrouvais à des tables avec des gens extrêmement différents (…). L’initiative peut être perçue comme totalement élitiste, mais cela reste un vrai lieu de rencontre. J’y ai beaucoup appris. Car, pour moi, la vraie intelligence, c’est d’essayer de comprendre des gens qui ont une logique différente . » L’ancien bras droit de M. Jacques Delors, M. Pascal Lamy, actuel directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), explique sa présence par une forme d’entrisme : « Il est important que les hommes de gauche ne laissent pas les décideurs être en contact seulement avec la droite. »D’autres, comme M. Pierre Moscovici, reconnaissent sans détour que Le Siècle se révèle « un réseau social très influent  ».

Plutôt de droite, de centre ou de centre gauche ? En 1995, quelques mois avant le plus important conflit social survenu en France depuis 1968, le conseil d’administration du Siècle faisait figure de boudoir paisible. Mme Aubry y voisinait avec M. Jérôme Monod, grand patron connu pour sa proximité avec MM. Jacques Chirac et Alain Juppé ; Pierre Rosanvallon, l’ancien théoricien de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) devenu secrétaire général de la Fondation Saint-Simon, y bavardait avec M. Jean-Claude Casanova, inlassable promoteur du giscardo-barrisme ; Olivier Duhamel, le médiatique professeur de droit public, y côtoyait M. Didier Pineau-Valencienne, le très libéral président-directeur général de Schneider.

Si l’on s’intéresse non plus à l’étiquette politique des membres du Siècle mais à leurs caractéristiques sociales, on saisit alors une image fort différente de celle officiellement promue. Plutôt qu’un « tremplin pour des éléments brillants que la naissance ou le milieu ne prédisposent pas à se constituer un tissu de relations dans les antichambres du pouvoir (7) », l’association fait surtout se rencontrer les sachems des affaires, publiques et privées. On s’y félicite d’avoir repéré Mmes Rachida Dati ou Fadela Amara, ou d’avoir perçu précocement les talents de M. Stéphane Courbit, l’ancien patron d’Endemol France, qui n’a pas fréquenté des écoles aussi prestigieuses que les autres convives. Mais l’unité de genre, l’uniformité d’âge, la monotonie des diplômes scolaires, l’homogénéité des origines et la conformité de classe restent absolument confondantes.

Les membres du Siècle sont très majoritairement des hommes (85 %), âgés de plus de 55 ans (80 %), fils de patrons, de hauts fonctionnaires ou de professionnels libéraux (55 %), diplômés d’un institut d’études politiques (50 %) et, pour nombre d’entre eux, énarques (40 %), quand ils n’ont pas usé les bancs des grandes écoles d’ingénieurs ou de commerce (25 %).

Le Siècle n’est cependant pas un simple lieu de rencontre où chacun de ces happy few ferait un pas pour sortir de son monde et côtoyer ses pairs en pouvoir. De la société de cour au Commissariat général du Plan, « l’élite » a toujours sécrété des instances de coordination. Mais la mise en relation qui s’y effectue n’est jamais réciproque ; elle dépend des rapports de forces entre les différentes fractions de la classe dominante. Quand ils vont au Siècle, certains transgressent plus que d’autres : les rares syndicalistes attablés avec des patrons ; les journalistes banquetant avec les politiciens préférés de leurs employeurs (et refusant d’informer le public de ces rencontres…) ; des hommes et quelques femmes politiques commensaux de leurs adversaires électoraux. En revanche, l’industriel ou le banquier qui bavarde avec un journaliste célèbre, entreprend une figure de la majorité comme de l’opposition, échange avec un syndicaliste, voire devise avec un haut fonctionnaire qui, dans quelques années peut-être, deviendra l’un de ses collaborateurs ne se commet pas. Il ne sacrifie rien. Il a même tout à gagner à la domestication de représentants d’univers sociaux qui se sont constitués historiquement contre les puissances de l’argent (syndicalistes et milieux intellectuels) ou se doivent, si l’on en croit les déclarations de principe, d’en être indépendants (journalistes, hauts fonctionnaires et personnel politique).

Malgré le halo de mystère qui nimbe ses rencontres, Le Siècle n’est pas une assemblée de comploteurs. Rien de crucial ne s’y conclut et les exemples de transactions nouées entre deux coups de fourchette sont si peu nombreux que la presse les répète inlassablement : « On raconte (…) que la révolution de palais suscitée par le transfert de Franz-Olivier Giesbert du Nouvel Obs au Figaro, en septembre 1988, se noua lors d’un dîner du Siècle, en présence de Philippe Villin, alors bras droit du papivore Robert Hersant. On dit encore que l’entrée d’Edouard de Rothschild au capital de Libération s’est jouée place de la Concorde . »

Les décisions capitales pour le pays se prennent dans les instances internationales ou communautaires, à l’Assemblée nationale et au Sénat, au conseil des ministres et dans les conseils d’administration. En revanche, elles font suite à des rencontres et à des conversations. Elles impliquent une manière commune de poser les problèmes politiques ou d’appréhender la marche des affaires privées, que Le Siècle facilite, en marge des instances légitimes de décision qui fondent une véritable démocratie économique et sociale.

A l’automne 2010, des entrefilets dans les journaux ont annoncé l’accession de Mme Nicole Notat à la présidence du Siècle, en remplacement de M. Denis Kessler. L’ancienne secrétaire générale de la CFDT, reconvertie dans le conseil auprès de grandes entreprises, succède ainsi à un ancien dirigeant du Mouvement des entreprises de France (Medef), fossoyeur assumé des conquêtes sociales promues par le Conseil national de la Résistance. Le croisement de leurs trajectoires met au jour la fonction principale du Siècle : réunir les élites pour qu’elles œuvrent de concert à la reproduction de l’ordre social. Et M. Kessler d’ironiser : « Nicole Notat me succède. Après un patron, une syndicaliste. La preuve d’une certaine ouverture, non   ? »

François Denord, Paul Lagneau-Ymonet & Sylvain Thine – Sociologues.

Conseil d’administration du Siècle depuis le 1er janvier 2020

LE PRESIDENT :

Olivier DUHAMEL

  • Président de la Fondation nationale des sciences politiques
  • Professeur émérite des universités à Sciences Po Paris
  • Chroniqueur à LCI
  • Editorialiste à Europe 1, créateur et coprésentateur de « Médiapolis »
  • Fondateur et codirecteur de la revue « Pouvoirs » (études constitutionnelles et politiques)
  • Directeur de la collection « A savoir » aux éditions Dalloz
  • Directeur de la collection « Ca fait débat » aux éditions First
  • Ancien député européen, membre de la Convention

VICE-PRESIDENTS :

Marc GUILLAUME

  • Secrétaire général du Gouvernement
  • Codirecteur de la revue « Pouvoirs »
  • Conseiller d’Etat

Mathilde LEMOINE

  • Group chief economist Edmond de Rothschild Groupe
  • Administrateur de Carrefour, CMA CGM, Dassault Aviation et de l’Ecole normale supérieure
  • Ancien membre du Haut Conseil des finances publiques
  • Professeur d’économie à Sciences Po Paris

Philippe WAHL

  • Président-directeur général du Groupe La Poste
  • Vice-président du Comité d’orientation de la Silver économie
  • Ancien maître des requêtes au Conseil d’Etat

TRESORIER :

Denis KESSLER

  • Président-directeur général du groupe Scor
  • Membre de l’Institut (Académie des sciences morales et politiques)
  • Ancien président de l’association « Le Siècle » (2008-2010

SECRETAIRE GENERAL :

Étienne LACOUR

  • Directeur de la rédaction et rédacteur en chef de la Société Générale de Presse (SGPresse)

SECRETAIRE GENERAL ADJOINT :

Marianne BÉRARD-QUÉLIN

  • Président-directeur général de la Société générale de presse (SGPresse)
  • Président de la Commission Affaires européennes de la Fédération nationale de la presse d’information spécialisée (FNPS)
  • Présidente de Femmes Forum

MEMBRES :

Patricia BARBIZET

  • Directrice générale d’Artémis
  • Vice-présidente du conseil d’administration de Kering
  • Vice chairwoman de Christie’s PLC
  • Présidente du conseil de surveillance de la Compagnie du Ponant
  • Administrateur référent de Total
  • Présidente du conseil d’administration de la Cité de la musique-Philharmonie de Paris
  • Administrateur de l’Opéra de Paris
  • Ancienne présidente de l’association « Le Siècle » (2017-2019)

Sophie BOISSARD

  • Directrice générale de Korian
  • Membre du conseil de surveillance d’Allianz SE
  • Conseillère d’Etat

Ramon FERNANDEZ

  • Directeur général délégué Finance, Performance et Europe d’Orange, membre du comité exécutif
  • Président du conseil d’administration d’Orange Bank
  • Ancien directeur général du Trésor
  • Administrateur civil

Antoine GOSSET-GRAINVILLE

  • Associé fondateur du cabinet BDGS Associés
  • Avocat à la Cour
  • Vice-président FNAC Darty, administrateur Compagnie des Alpes
  • Ancien directeur adjoint du cabinet du Premier ministre
  • Inspecteur général des finances

Nicole NOTAT

  • Présidente de Vigeo Eiris
  • Présidente du comité du label ISR (Investissement socialement responsable)
  • Ancienne secrétaire générale de la CFDT
  • Ancienne présidente de l’association « Le Siècle » (2011-2013)

Odile RENAUD-BASSO

  • Directrice générale du Trésor
  • Administratrice de Thales
  • Conseiller maître à la Cour des comptes

Pierre SELLAL

  • Ambassadeur de France
  • Président de la Fondation de France
  • Senior counsel chez August Debouzy
  • Ancien représentant permanent de la France auprès de l’Union européenne
  • Ancien secrétaire général du ministère des Affaires étrangères

Jean VEIL

  • Avocat à la cour d’appel de Paris, associé du Cabinet Veil Jourde
  • Ancien président de l’association « Le Siècle » (2014-2016)

OBSERVATEURS :

Nicolas MOLFESSIS

  • Professeur à l’université Panthéon-Assas (Paris II)
  • Secrétaire général du Club des juristes
  • Membre du conseil de surveillance des « Echos »

Augustin de ROMANET

  • Président-directeur général Groupe ADP-Aéroports de Paris
  • Administrateur référent de Scor SE, administrateur de la RATP
  • Président de Paris Europlace
  • Administrateur de la Fondation de l’islam de France
  • Président du conseil d’administration du domaine national de Chambord

Rappel quelques membres de 2010

En politique : Nicole Notat (alors présidente du Siècle), Jérôme Monod (ex-conseiller à l’Élysée), Martine Aubry (PS), Anne-Marie Idrac (alors secrétaire d’Etat au commerce), Pascal Lamy (OMC), Hubert Védrine(PS), François Baroin (alors porte-parole du gouvernement et ministre du Budget), Jean-Michel Berard (préfet), Marguerite Berard-Andrieu (conseillère technique à l’Élysée ), Xavier Bertrand (ministre de l’Emploi), Jean-Marie Cavada (eurodéputé), Olivier Dassault (député UMP), Rachida Dati (eurodéputé), Tony Dreyfus (député PS), Jean-Paul Faugère (alors directeur de cabinet du Premier ministre), Jean-Pierre Fourcade (sénateur UMP), Philippe Galli (préfet), Michel Gaudin (préfet de police de Paris), Hervé Gaymard (député UMP), Elisabeth Guigou (député PS), Hubert Haenel (sénateur UMP) , Christian Jacob (pdt du groupe parlementaire UMP), Pierre Joxe (PS, membre du Conseil Constitutionnel), Anne-Marie Lizin (sénatrice belge), Hervé Mariton (député UMP), Pierre Méhaignerie (député UMP), Catherine Nay (conseillère à l’Élysée), Françoise de Panafieu (député UMP), Pierre Steinmetz (membre du Conseil Constitutionnel), Henri Weber (PS, eurodéputé), Eric Woerth (alors ministre du Budget).

Dans le domaine médiatique et culturel : Marie-Louise Antoni (Le Monde), Olivier Nora (Grasset), Louis Schweitzer (Le Monde), Nicolas Baverez (Le Point, Le Monde), Jacques Attali, Véronique Cayla (Arte), Michèle Cotta (ex-France 2), Richard Descoings (Sciences Po), Denis Jeambar (éditions du Seuil, Marianne, IPJ), Alain Minc, Denis Olivennes (Europe 1, alors au Nouvel Obs), Alexandre Adler, Blandine Kriegel(philosophe), Pierre Assouline, Christopher Baldelli (RTL), Alexandre Bompard (Fnac, alors à Europe 1), Stéphane Boujnah (membre fondateur de SOS Racisme, dirigeant à la Deutsche Bank et à la Deutsche Securities Algeria), Takis Cadilis (Lagardère Entertainment), Monique Canto-Sperber (Ecole Normale Supérieure), Emmanuel Chain (producteur Tv), Teresa Cremisi (Flammarion), Axel Duroux (ex-TF1 et RTL), Bernard Fixot (éditions XO), Alain Genestar (Polka Magazine, ex-Paris Match) Antoine Herouard (secrétaire général de la Conférence des évêques de France) Emmanuel Hoog (INA), Serge July (ex-Libération), Julien Kouchner (CAPA), Pierre Louette (AFP), Rémy Pflimlin (France Télévisions), Sylvie Pierre-Brossolette (Le Point), Henri Pigeat (CFJ), PPDA, David Pujadas, Jean-Marie Rouart (Paris Match), Laurent Solly (TF1), Didier Quillot (Lagardère, Canal+), Nicolas de Tavernost (M6), Thomas Valentin (M6), Gérard Unger (LICRA), Lionel Zinsou (Libération /Rothschild Group).

En vrac : Jean Veil (alors avocat de Jacques Chirac), Denis Kessler (ex-vice-pdt du MEDEF), Jean-Pierre Jouyet (AMF), Marie-Hélène Berard (trésorière de la chambre de commerce France- Israël et de la Fondation Chirac), l’Allemand Joachim Bitterlich (Veolia Environnement),  Christian de Boissieu (conseiller économique auprès de Matignon), Jean-Paul Costa (pdt de la Cour européenne des droits de l’homme), Anne-Marie Couderc (Lagardère Active), Denis Delmas (pdt de TNS Sofres), Jérôme Jaffré (CECOP), Philippe Delmas (ex-vice-pdt Airbus), Frank Esser (pdg SFR), Louis Gallois(pdt exécutif EADS), Benoît Genuini (médiateur national de Pôle emploi), Philippe Ingall-Montagnier (procureur général près la cour d’appel de Versailles), Georges Kiejman (avocat), Bruno Laserre (alors pdt de l’Autorité de la concurrence), Jean-Bernard Lévy (pdt de Vivendi), Thierry de Montbrial (IFRI), Christian Noyer (alors gouverneur de la Banque de France), Michel Prada (ex-AMF).

Source : https://meta.tv/ 05/03/2020

Comme tous les derniers mercredi du mois, plusieurs personnalités influentes du monde politique, médiatique, judiciaire, financier, se sont réunies à Paris pour le dîner du Siècle. Objectif: discuter affaire sans caméra ni journalistes au mépris de la séparation des pouvoirs. Sans doute jaloux de la table, les gilets jaunes constituants ont tenu à organiser leur propre dîner dans un esprit bon enfant et déterminé. Thibault et l’équipe du Média Pour Tous étaient sur place pour ripailler avec les Gilets Jaunes.

La caste au pouvoir

par Michel Pinçon & Monique Pinçon-Charlot 

Entre le résultat de M. Emmanuel Macron au premier tour de l’élection présidentielle, le 23 avril 2017, et le score de La République en marche (LRM) au premier tour des élections législatives, le 11 juin suivant, il y eut une érosion de plus de deux millions de voix.

Le raz de marée initialement promis fut d’autant moins au rendez-vous que l’abstention, elle, a battu des records au second tour des législatives : plus de vingt millions d’électeurs, soit plus de la moitié des inscrits, ont préféré ce jour-là aller à la pêche. LRM a ainsi réussi la prouesse d’obtenir, avec à peine 7 826 432 voix, 308 sièges à l’Assemblée — soit une majorité absolue permettant à M. Macron de faire entériner son programme néolibéral.

En juillet 2017, M. François Ruffin, nouvel élu de La France insoumise, a fait circuler un graphique montrant la composition socioprofessionnelle de la nouvelle Assemblée nationale. Celle-ci penche très nettement du côté des cadres et des professions intellectuelles supérieures, qui représentent 76 % des députés alors que cette catégorie socioprofessionnelle ne concerne, en 2017, que 18 % de la population active, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee).

Sans surprise, à l’autre bout de l’échelle sociale, c’est l’inverse. Les 20,8 % d’ouvriers de la société française ne se retrouvent que 0,2 % dans l’Hémicycle. Même constat pour les employés, avec respectivement 27,2 % dans la population active et 4,58 % des députés, et pour les professions intermédiaires : 25,7 % des actifs et 6,3 % à l’Assemblée (1).

En 2017, M. Macron s’est d’emblée entouré d’un premier « gouvernement de riches », avec quinze ministres ou secrétaires d’État millionnaires sur trente-deux (2).

Des biens et des liens

Madame Muriel Pénicaud, ministre du travail, a déclaré le patrimoine le plus élevé, avec plus de 7,5 millions d’euros. Elle est propriétaire d’une maison dans les Hauts-de-Seine, estimée à 1,3 million d’euros, et d’une résidence secondaire de 340 000 euros dans la Somme. Mais, comme il est d’usage dans les grandes fortunes, la plus grosse partie de son patrimoine, 5,9 millions d’euros, est constituée de valeurs mobilières : actions, obligations, contrats d’assurance-vie… Gageons que celle qui, après Mme Myriam El Khomri, a détricoté le droit du travail en défaveur des salariés a apprécié la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune sur ce type de patrimoine — une des toutes premières mesures de M. Macron, dont le coût, rappelons-le, est estimé à 4,6 milliards d’euros par an pour les finances publiques.

Ministre de la transition écologique et solidaire, M. Nicolas Hulot occupait la deuxième place de ce palmarès, avec un patrimoine de 7,2 millions d’euros, composé d’une maison de trois cents mètres carrés en Corse, évaluée à 1 million d’euros, et de plusieurs biens immobiliers en Savoie et dans les Côtes-d’Armor, pour une valeur de 1,9 million d’euros. Les valeurs mobilières représentent 1,2 million, et la société Éole, qui encaisse ses droits d’auteur et ceux des produits dérivés Ushuaïa, a été estimée à 3,1 millions d’euros. Sa déclaration mentionne également six voitures, un bateau, une moto et un scooter électrique.

Ministre de la culture dans le premier gouvernement de M. Édouard Philippe et propriétaire des éditions Actes Sud, Mme Françoise Nyssen mentionnait plus de 600 000 euros de biens immobiliers et 4 millions d’euros pour sa société arlésienne. Mme Agnès Buzyn, ministre de la santé, est à la tête d’un patrimoine d’un peu plus de 3 millions d’euros. Mme Florence Parly, ministre des armées, revendique un patrimoine de plus de 2 millions d’euros, avec un appartement parisien de deux cents mètres carrés et une résidence secondaire dans le Loiret.

Si ces cinq ministres multimillionnaires formaient clairement la tête du peloton de ce premier gouvernement, leurs collègues étaient très loin d’être dans la misère. Quelques exemples : Mme Nathalie Loiseau, ministre chargée des affaires européennes, affichait un patrimoine de près de 1,9 million d’euros. M. Philippe est lui-même millionnaire, avec un patrimoine estimé à 1,7 million d’euros composé d’un appartement à Paris (1,25 million d’euros) et d’un autre en Seine-Maritime, évalué à 400 000 euros. Les valeurs mobilières de son patrimoine stagnent autour de 56 000 euros. M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, a déclaré des parts d’une société civile évaluées à 1,5 million d’euros et quelque 168 000 euros de placements financiers. Venaient ensuite M. Christophe Castaner, porte-parole du gouvernement (1,34 million d’euros), Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées (1,33 million d’euros), M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État chargé du numérique (1,26 million d’euros), Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre de l’intérieur (1,27 million d’euros), Mme Élisabeth Borne, ministre chargée des transports (1,22 million d’euros), M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires (1,14 million d’euros), et enfin M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères (1 million d’euros).

L’appartenance de classe ne se définit pas par la seule richesse économique. Outre les biens, il y a les liens. Les femmes et les hommes qui disposent aujourd’hui du pouvoir politique, bien loin de l’ancienne figure des « serviteurs de l’État », entretiennent des relations étroites avec une myriade d’intérêts privés dont ils sont trop souvent les obligés.

Avant de devenir premier ministre, M. Philippe a été, de 2007 à 2010, directeur des affaires publiques — autrement dit, responsable du lobbying — du géant du nucléaire Areva. M. Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement, a exercé des fonctions de lobbyiste chez Unibail-Rodamco. La secrétaire d’État à la transition écologique, Mme Brune Poirson, est une ancienne haute responsable de Veolia. Mme Pénicaud, ministre du travail, exerçait auparavant les fonctions de directrice des ressources humaines chez Danone. Quant à son directeur de cabinet chargé du social, M. Antoine Foucher, il officiait auparavant comme directeur général adjoint du Mouvement des entreprises de France (Medef).

De proches conseillers de M. Macron sont également issus du monde de l’entreprise et du secteur privé. M. Cédric O, conseiller aux participations publiques, exerçait auparavant au service du groupe aéronautique Safran ; Mme Claudia Ferrazzi, la conseillère culture, a commencé sa carrière chez Capgemini et au Boston Consulting Group. La conseillère agriculture, Mme Audrey Bourolleau, a exercé au service d’un important organisme d’influence du monde viticole, Vin et Société. Sur 298 collaborateurs ministériels, 43 ont travaillé à un moment de leur carrière dans le lobbying (3).

Entre fonction publique et management privé, les interconnexions de ce personnel technocratique sont tellement denses que les conflits d’intérêts sont la règle plutôt que l’exception. Lorsqu’ils deviennent trop flagrants, de petits scandales éclatent dans la presse, mais l’arbre cache la forêt. Lors de son entrée au gouvernement, Mme Buzyn a ainsi dû renoncer à la tutelle de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) parce que celui-ci était dirigé par son mari, M. Yves Lévy. De même, après le 10 juillet 2018, Mme Nyssen, copropriétaire de la maison d’édition Actes Sud, créée par son père et qu’elle a longtemps dirigée, fut sommée de ne plus s’occuper du secteur du livre, et ce à la demande de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

Surdiplômé — de l’École nationale d’administration (ENA), de l’École supérieure des sciences économiques et commerciales (Essec) et de Sciences Po —, fils d’un ancien haut fonctionnaire européen, M. Alexis Kohler occupe la fonction de secrétaire général de l’Élysée. Il a fait l’objet d’une plainte, le 1er juin 2018, auprès du parquet national financier pour prise illégale d’intérêts et trafic d’influence de la part de l’association de lutte contre la corruption Anticor, animée par l’avocat William Bourdon.

En mai 2018, Mediapart a révélé les liens qui unissent par sa mère M. Kohler à la famille italienne Aponte, propriétaire de la Mediterranean Shipping Company (MSC), numéro deux mondial du transport de marchandises par navires porte-conteneurs. Cette entreprise est l’un des clients les plus importants des chantiers navals de Saint-Nazaire et du port du Havre. Or M. Kohler, qui avait la responsabilité des transports en 2010 à l’Agence des participations de l’État (APE), siégeait à ce titre au conseil de surveillance du port du Havre (en même temps que M. Philippe, alors maire de la ville). Sans faire état de ses liens familiaux avec l’armateur, il a pu influer sur des décisions qui en impactaient les intérêts.

Devenu par la suite directeur adjoint du cabinet du ministre de l’économie et des finances — sous M. Pierre Moscovici, de 2012 à 2014, puis sous M. Macron, d’août 2014 à août 2016 —, M. Kohler a occupé un poste-clé à Bercy alors même que l’avenir des chantiers navals de Saint-Nazaire et du port du Havre y était régulièrement discuté. Cela ne l’empêcha pas de rejoindre en septembre 2016 le siège social de MSC à Genève, en tant que directeur financier de ce groupe italien de droit suisse, dont le chiffre d’affaires dépasse 20 milliards d’euros. Dans le même temps, il s’impliquait activement dans la campagne de M. Macron.

L’écheveau est complexe et illustre bien l’étroite intrication des liens multidirectionnels que tisse le pouvoir oligarchique. Les multiples casquettes du personnage font qu’il est à la fois ancien haut fonctionnaire de Bercy, ancien directeur financier d’un groupe familial qui a des intérêts dans les chantiers navals et l’un des plus proches collaborateurs du président de la République. Dans ces conditions, le parquet national financier va-t-il donner une suite judiciaire à la plainte déposée par Anticor ? On ne peut, en tout cas pour l’instant, que regretter l’exclusion des hauts fonctionnaires de la loi de moralisation de la vie politique votée en 2017.

Michel Pinçon & Monique Pinçon-Charlot – Sociologues, anciens directeurs de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Ce texte est extrait de leur livre Le Président des ultrariches. Chronique du mépris de classe dans la politique d’Emmanuel Macron, La Découverte, coll. « zones », Paris, parution fin janvier 2019.

(1) Institut Diderot, Paris, 2017.

(2) Cédric Pietralunga et Anne Michel, « De nombreux millionnaires parmi les membres du gouvernement », Le Monde, 16 décembre 2017 ; Jean-Louis Dell’Oro, « Voiture, immobilier, actions… Le patrimoine du gouvernement Philippe ministre par ministre », Challenges, Paris, 26 décembre 2017.

(3) Linh-Lan Dao, « Les stratégies des lobbys », France Info, 18 juin 2018.