Les néonicotinoïdes, “tueurs d’abeilles”

Retour des néonicotinoïdes : la betterave ou l’abeille, qui sauver ?


Les néonicotinoïdes, ces insecticides interdits depuis 2018 et réautorisés pour 2021 par le gouvernement

Le ministère de l’Agriculture a annoncé, que ces pesticides “tueurs d’abeilles” pourraient de nouveau être utilisés l’année prochaine, afin de soutenir la filière sucrière touchée par la jaunisse de la betterave. Les associations écologistes s’indignent.

“Le gouvernement reconnaît l’impasse dans laquelle sont les agriculteurs”, soutient Franck Sander, président de la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB). Face à la jaunisse de la betterave qui frappe les exploitations, le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation a annoncé, jeudi 6 août, un plan d’aide pour le secteur sucrier. Outre les promesses d’indemnisation et le lancement d’un “effort de recherche”, l’une des mesures suscite l’indignation : la réautorisation des néonicotinoïdes pour l’année prochaine. Franceinfo fait le point sur ces insecticides tueurs d’abeilles, qui étaient interdits depuis 2018 par le gouvernement.  

Pourquoi le gouvernement  autorise-t-il de nouveau les néonicotinoïdes pour les betteraves ? 

La filière sucrière alerte depuis quelques semaines le gouvernement sur les pucerons verts qui envahissent leurs plantations. Ces insectes piqueurs-suceurs sont vecteurs de la jaunisse, un virus qui s’attaque aux betteraves. Elle entraîne une perte de rendements allant de 30% à 50%. Un communiqué ministériel publié jeudi 6 août qualifie cette crise de la jaunisse d’“inédite”. Elle “fragilise l’ensemble du secteur sucrier et crée le risque d’un abandon massif de la betterave en 2021”

Le communiqué souligne que cette crise serait due à l’interdiction des néonicotinoïdes en 2018, puisque les alternatives utilisées contre les pucerons “se sont révélées inefficaces”. Selon le syndicat CGB, affilié à la FNSEA, la France va ainsi produire “600 000 à 800 000 tonnes de sucre” en moins cette année. 

Pour ne pas perdre la place de premier producteur européen de sucre et soutenir la filière, le gouvernement fait volte-face. Dès 2021, il veut à nouveau autoriser les agriculteurs à utiliser, sous “conditions strictes”, des semences de betteraves enrobées de néonicotinoïdes. Le ministère de l’Agriculture souhaite obtenir cet automne une “modification législative” permettant de déroger à l’interdiction de 2018 jusqu’en 2023 au plus tard. Il sera interdit de pulvériser les pesticides dans l’air, ni de planter sur la même parcelle des cultures susceptibles d’attirer les pollinisateurs pour ne pas les exposer “aux résidus éventuels”

Que sont les néonicotinoïdes ? 

Les néonicotinoïdes sont des pesticides, des substances chimiques utilisées pour lutter contre les organismes, végétaux ou animaux, considérés comme nuisibles. Il y a trois grandes sortes de pesticides : les herbicides, les fongicides et les insecticides. Les néonicotinoïdes font partie de cette dernière catégorie et regroupent sept molécules dérivées de la nicotine. Ils sont utilisés pour débarrasser les cultures des insectes ou de leurs larves, particulièrement des pucerons et des chenilles.

Contrairement à la plupart des insecticides qui sont pulvérisés directement sur les plantes, les néonicotinoïdes sont surtout utilisés en enrobage de semences. Cela veut dire que la graine semée contient déjà la molécule insecticide. Ce procédé permet au pesticide de circuler dans la plante tout au long de sa croissance, des feuilles aux tiges jusqu’au pollen et au nectar. Cela s’appelle une protection “systémique”. 

Les néonicotinoïdes ont été introduits dans les années 1990. Ils sont commercialisés par les géants de l’agrochimie comme Bayer et Syngenta. En 2014, ils représentaient 25% du marché mondial des pesticides, selon une étude publiée en 2019 par la National Institute of Health (article en anglais). Ilsrestent aujourd’hui la catégorie d’insecticides la plus vendue sur la planète.  

Pourquoi ont-ils été interdits en 2018 ?

L’interdiction de cinq molécules faisant partie des néonicotinoïdes est entrée en vigueur le 1er septembre 2018. C’est dans un souci de protection des pollinisateurs, notamment les abeilles, que le gouvernement a pris cette décision. “La France se positionne plus que jamais en pointe sur l’interdiction des produits phytopharmaceutiques dangereux pour les pollinisateurs”, écrit alors le ministère de l’Agriculture dans un communiqué

En 2013, la Commission européenne avait déjà restreint l’usage de trois de ces molécules sur les cultures visitées par l’abeille, comme le colza, le tournesol ou le maïs, sans les interdire complètement. 

Les néonicotinoïdes sont, en effet, particulièrement dangereux pour les insectes. Sans les tuer directement, leur substance active altère le système nerveux de ces animaux en perturbant leur sens de l’orientation, leur mémoire et leur capacité de reproduction. Puisque les néonicotinoïdes sont présents partout sur les plantes et dans leur pollen, les insectes pollinisateurs sont directement touchés. 

Depuis l’arrivée des néonicotinoïdes, les apiculteurs ont remarqué une hausse de la mortalité de leurs abeilles. Selon l’Unaf, l’Union nationale de l’apiculture française, 300 000 ruches sont anéanties chaque année à cause de ces pesticides. Les substances se retrouvent aussi dans le miel que l’on consomme. Une étude menée en 2017 par la revue Science (article en anglais)démontre que 75% de 198 échantillons de miel prélevés dans le monde entier contenaient au moins une des cinq molécules de néonicotinoïdes interdites en France en 2018.

Quels sont les autres effets des néonicotinoïdes sur l’environnement ? 

Les néonicotinoïdes ont des effets délétères sur toute la biodiversité. En moyenne, seul 10% du produit enrobant les semences est absorbé par la plante traitée, rappelle Le Monde. Le reste s’infiltre dans les sols et les eaux de surface pour les contaminer pendant plusieurs années. 

Durant les cinq années qui ont suivi la restriction européenne de 2013 sur trois néonicotinoïdes, des chercheurs du CNRS, de l’Inra et de l’Itsap ont analysé du nectar et du pollen prélevés sur 300 parcelles de colza. Résultat : des résidus de ces insecticides ont été détectés dans 48% des parcelles étudiées. 

La persistance du produit dans la terre fragilise l’écosystème, selon une étude menée par Greenpeace (article en anglais), en touchant les autres insectes comme les papillons et les fourmis, mais aussi les invertébrés, comme les vers de terre, et jusqu’à la faune des cours d’eau, notamment les batraciens. Les oiseaux des champs ne sont pas épargnés. 

Quelles sont les réactions après l’annonce du gouvernement ? 

Les planteurs de betteraves ont salué la décision du gouvernement de rouvrir l’accès aux néonicotinoïdes. Tereos, deuxième groupe sucrier mondial, approuve ces annonces” qui “sont de nature à sécuriser les semis de betteraves pour la campagne 2021-2022”. Il faut avancer maintenant très vite pour avoir une loi”, presse Franck Sander, du syndicat CGB. 

Interrogé par France 3 Hauts-de-France, Dominique Fiévez, qui cultive des betteraves dans la Somme, assure que “les pollinisateurs comme les abeilles ne viennent pratiquement pas sur les betteraves, car les betteraves ne développent pas de fleurs.” Selon lui, l’interdiction des néonicotinoïdes pour ces plantations “n’avait pas de sens ! Mieux vaut enrober les semences avec cet insecticide, que de pulvériser un aérosol ensuite.

Olivier de Bohan, président du sucrier Cristal Union, se veut de son côté rassurant : “Il ne s’agit pas de remettre en question l’indispensable transition écologique. Il s’agit de nous permettre d’être les acteurs de cette transition et non les victimes.” 

Pourtant, du côté des associations de défense de l’environnement et des apiculteurs, le retour aux néonicotinoïdes est une immense déception. L’ancienne ministre de l’Environnement et avocate Corinne Lepage dénonce “une faute sanitaire et politique”.

“La France avait été exemplaire et là, on recule”, déplore de son côté François Veillerette, président de Générations futures. Il ajoute pour franceinfo : “On est surtout face à un gros coup de pression des syndicats agricoles, qui ont voulu tester le nouveau ministre de l’Agriculture, demander une dérogation comme leurs collègues d’autres pays européens.”

Dans une lettre publiée juste avant l’annonce ministérielle, l’Unaf soutenait qu’autoriser les néonicotinoïdes serait “catastrophique pour la filière apicole et pour l’ensemble des insectes pollinisateurs déjà fortement fragilisés en France”

Tour d’horizon des alternatives

En l’absence de néonicotinoïdes pour enrober les semences, qu’est-ce que les agriculteurs et agricultrices utilisent ? « Trois traitements insecticides d’une autre famille, appliqués avec mon pulvérisateur, se désole Vincent Guyot. Les produits phytosanitaires, moins j’en utilise, mieux je me porte… Quand je sors mon pulvérisateur, ça n’est jamais un plaisir, c’est toujours fait de manière réfléchie parce que les cultures en ont besoin. »

Actuellement, trois insecticides à appliquer en traitement aérien sont homologués. Le Teppeki et le Movento, conseillés par l’ITB. Et le Karaté K, composé de pyréthrinoïdes et de carbamates contre lesquels les pucerons développent des résistances (ITBAnses). Déconseillé, donc.

Avant 2018, « hormis l’enrobage, je ne mettais jamais d’insecticides, se rappelle Sébastien Rousseau, confirmant la pratique majoritaire (Haeur et al. 2016). C’est une culture que j’aimais bien pour ça, mais cette année j’ai dû faire trois traitements aériens, et ça n’était pas efficace. »

Ces insecticides sont pulvérisés dans les champs après observation des parcelles, et prise en compte d’outils d’aide à la décision, comme la carte « Alerte Pucerons » de l’ITB. Celle-ci retrace l’évolution de la pression des pucerons, et conseille entre 0 et 3 traitements selon la zone.

En biocontrôle, une autre solution est en cours de développement : les plantes de service. L’ITB évalue des plantes endophytes, c’est-à-dire qui abritent des micro-organismes de manière symbiotique. En l’occurrence, des champignons « qui libèrent dans le sol des toxines à effet insecticide ou insectifuge ». Utilisées avant une culture de betterave, elles pourraient « limiter les infestations de pucerons ».

D’autres plantes, favorisant les auxiliaires ou repoussant les pucerons, sont aussi étudiées. Tout comme les techniques pour réaliser des diagnostics viraux, qui permettent de détecter le pouvoir virulifère des pucerons (ITB). Les plus rapides ne demandent que deux ou trois heures avant le résultat. Mais présentent des difficultés méthodologiques. Puisque le taux de pucerons porteurs de virus ne dépasserait jamais les 5 %. Ce qui pose un problème d’échantillonnage : selon les pucerons analysés, les tests peuvent se révéler négatifs… Bien que des pucerons virulifères se baladent dans les parcelles. À l’image de l’aiguille dans une botte de foin.

Apparus au milieu des années 90, les néonicotinoïdes affectent les abeilles en s’attaquant à leur système nerveux. Depuis, les apiculteurs n’ont cessé de se battre pour les interdire.