🗣 La SNCF licencie son lanceur d’alerte Denis Breteau

Denis Breteau, 53 ans, a travaillé dix-neuf ans au service achats de l’entreprise publique.
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Le 26 décembre 2018, la compagnie a licencié Denis Breteau qui a porté plainte en 2012, dénonçant des appels d’offres biaisés dont aurait bénéficié le groupe américain IBM.

C’est un licenciement qui pose question. Sept ans après avoir porté plainte contre X pour des suspicions de manipulation d’appels d’offres au sein de la SNCF, le cheminot à l’origine des révélations a été limogé par la compagnie ferroviaire.

Après dix-neuf ans passés au service achats de l’entreprise publique, Denis Breteau, 53 ans, basé à Lyon, a reçu sa lettre de licenciement le 26 décembre 2018. De quoi éprouver « un grand sentiment d’injustice », confie l’ingénieur. « Des supérieurs m’ont demandé de truquer des appels d’offres, j’ai dénoncé les faits. Et maintenant, la SNCF me licencie. C’est un mauvais signal envoyé à tous ceux qui veulent s’opposer aux malversations dans la compagnie ferroviaire. »

Fin 2016, une enquête préliminaire a pourtant bien été ouverte par le parquet national financier (PNF) pour vérifier si la SNCF a favorisé l’entreprise américaine IBM dans ses appels d’offres de matériels informatiques. Des marchés potentiellement suspects, qui, cumulés, auraient fait perdre à la SNCF 150 millions d’euros.

Dans cette affaire, Denis Breteau a déjà été longuement entendu par les enquêteurs de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF). Des échanges de mails et des documents liés à ces marchés ont été récupérés. « Les investigations se poursuivent, assure le PNF. Deux magistrats en ont la charge. »
«La direction lui fait payer le fait d’avoir parlé»

Contactée, la SNCF réfute toute volonté de représailles envers son salarié et justifie ce licenciement par son refus d’accepter différents postes : « Entre juillet 2017 et août 2018, quatre propositions lui ont été faites. Il s’agissait de postes correspondant à son niveau hiérarchique, à ses qualifications », indique le groupe.

« Denis Breteau ne pouvait pas les accepter, nuance pour sa part Jean-René Delepine, du syndicat SUD-Rail, membre du conseil d’administration de SNCF Réseau qui a assuré la défense du lanceur d’alerte. Deux postes étaient à Lyon sous la responsabilité des personnes que M. Breteau a dénoncé et les deux autres étaient à Paris, loin de chez lui. La direction lui fait payer le fait d’avoir parlé. »

Comme l’a révélé le Canard enchaîné en 2016, les enquêteurs s’intéressent notamment à une filiale de la SNCF, Stelsia, créée en 2010. Elle aurait servi à passer des marchés de gré à gré avec IBM pour contourner les règles des marchés publics qui obligent à organiser des appels d’offres.
Filiale liquidée en 2017

Pourquoi ? Au sein de la SNCF, la réponse est presque devenue un secret de polichinelle : « C’est la contrepartie d’un marché de logistique aux États-Unis lancé par IBM et gagné en 2008 par Geodis, une filiale de la SNCF, assure une source bien informée. La question n’est plus de savoir si c’était illégal. Mais plutôt : est-ce que ça doit être déballé sur la place publique alors qu’il n’y a pas eu d’enrichissement personnel et que ça a permis à la SNCF de gagner un marché de 1 milliard d’euros par an ? »

En juin 2015, la Commission européenne a exigé de la France qu’elle mette fin aux activités de Stelsia. Elle estimait que la filiale ne respectait pas le droit européen, la qualifiant même de « construction artificielle ». Interrogée sur cette intervention de Bruxelles, la SNCF estime qu’il « s’agit d’une divergence d’interprétation du droit des marchés publics » tout en indiquant que la filiale a été liquidée en 2017. Surtout, elle estime que « les faits dénoncés par M. Breteau n’ont à aucun moment reçu le moindre début de preuve ».

Un point de vue que ne partage pas l’association Anticor, spécialisée dans la lutte contre la corruption. « C’est un dossier explosif qui met en jeu des responsables de premier plan, affirme l’association. Nous attendons les résultats de l’enquête. Si ça n’aboutit pas, nous nous constituerons partie civile. »

Source : Le Parisien – Vincent Vérier – 23 janvier 2019