Le journalisme n’est pas un crime !

Après l’inculpation d’Assange au titre de l’Espionage Act, la police prend des mesures contre d’autres journalistes ayant publié des documents secrets;

Joe Lauria à Sydney, le 5 juin 2019

Moins de deux mois après l’arrestation du journaliste Julian Assange, et deux semaines après son inculpation au titre de l’Espionage Act, des gouvernements s’enhardissent au point de lancer la police contre les journalistes ayant défié l’État.

Suite à l’arrestation et la mise en accusation de Julian Assange, des actions policières contre des journalistes, mis en cause pour avoir publié des documents secrets et pour d’autres activités journalistiques, augmentent l’angoisse des journalistes mainstream qui prennent conscience que leur tour pourrait venir.

Mercredi, à Sydney, la police a fait une descente dans les bureaux de la Australian Broadcasting Corporation (ABC) une chaîne publique, et ont copié des milliers de fichiers en rapport avec une émission de 2017 révélant des allégations de crimes de guerre commis par les forces spéciales australiennes en Afghanistan.

Trois officiers de la police fédérale australienne et trois techniciens de la police sont entrés dans les locaux de l’ABC à Sydney avec un mandat de perquisition citant les noms de deux journalistes d’investigation ainsi que celui du directeur de l’information de la chaîne. D’après le reportage de l’ABC, la police a exigé de voir les courriels des journalistes.

David Anderson, administrateur de la chaîne, a déclaré qu’il était « extrêmement inhabituel pour une chaîne publique de faire l’objet d’une descente de ce type. »

« C’est une évolution grave qui soulève des inquiétudes légitimes quant à la liberté de la presse et le droit de regard légitime du public sur les questions de sécurité et de défense nationale. L’ABC soutiendra ses journalistes, protégera ses sources, et continuera à informer sans crainte ni complaisance sur les question de sécurité nationale et de renseignement, chaque fois que l’intérêt général sera clairement en jeu. »

Capture d'écran

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John Lyons, directeur exécutif d’ABC, a tweeté : Je tweete en live sur un raid de la police – je ne crois pas que ça m’était jamais arrivé. »

Lyons a décrit les actions de la police fédérale qui a lu des dizaines de courriels et qui avait toute autorité pour les effacer ou même changer leur contenu. Il a rappelé que dans 1984, de George Orwell, le travail du protagoniste était de réécrire les archives des informations.

Interrogée par Consortium News, Lissa Johnson, psychologue et militante, nous a répondu : « Je me souviens avoir écrit des articles, il y a une éternité, sur le fait que la loi australienne donnait à notre gouvernement le droit d’ « ajouter, altérer ou effacer » des documents s’ils le choisissaient. À l’époque, les média mainstream ont à peine relevé. Aujourd’hui, ce pouvoir est mis en œuvre contre l’ABC.

Gaven Morris, directeur de l’information à l’ABC, a déclaré : « Le journalisme n’est pas un crime. » Il a ajouté : « Nos journalistes font un métier très difficile, je suis fier de leur travail, fait dans l’intérêt du public. Je voudrais dire à tous les journalistes de l’ABC et à tous les journalistes d’Australie : « n’ayez pas peur de faire votre métier. »

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(Descente policière : après avoir copié 9214 éléments, y compris les mots de passe les techniciens de l’ABC sont en train de tout ranger dans un nouveau dossier. Nous allons ensuite parcourir tous ces éléments, un à un, pour voir s’ils entrent dans les termes du mandat de perquisition.)

 Marcus Strom, président du syndicat des journalistes d’Australie, (The Media, Entertainment and Arts Alliance), a qualifié cette descente de « préoccupante ».

« Elle devrait glacer le grand public autant que les journalistes, a-t-il déclaré. Ces descentes sont faites pour intimider les journalistes, intimider les lanceurs d’alerte, de façon à ce que les erreurs du gouvernement, et même d’éventuels crimes des forces armées, restent cachées et ne tombent jamais dans le domaine public. »

Une descente au domicile du rédacteur en chef du service politique

Mardi matin, pour une affaire tout à fait distincte, la police de Canberra est entrée chez la rédactrice en chef du service politique du Daily Telegraph, un journal appartenant au groupe Murdoch. « En ouvrant la porte, la journaliste Annika Smethurst a trouvé sept policiers. Simplement parce qu’elle avait osé faire son travail et informer le pays sur les faits et gestes du gouvernement », peut-on lire dans l’éditorial du Telegraph.

On peut relever l’ironie : l’article de Smethurst du 28 avril qui a déclenché la colère du gouvernement « révélait que les ministères de la Défenss et des Affaires Intérieures envisageaient de s’octroyer de nouveaux pouvoirs leur permettant, pour la première fois, de mener une surveillance accrue de la population », précise The TelegraphL’article d’origine comprenait des reproductions de lettres top secret entre le ministère des affaires intérieures Mike Pezzulo et le ministre de la défense Greg Moriarty.

Des journalistes français arrêtés

Assange a été arrêté à Londres le 11 avril. Le 20 avril, la police parisienne arrêtait deux journalistes qui couvraient une manifestation des Gilets jaunes. L’un d’entre eux, Alexis Kraland, a déclaré avoir été mis en détention après avoir refusé de se prêter à une fouille et de remettre son appareil photo à la police à la Gare du Nord. Le plus grand syndicat des journalistes de France a demandé une explication à la police.

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Le domicile des journalistes

Et le 10 mai, à San Francisco, des policiers ont enfoncé à la masse la porte du domicile de Bryan Carmody, journaliste free-lance, pour opérer une descente visant à le forcer, menottes aux poignets, à révéler la source qui lui avait transmis un rapport de police sur la mort subite d’un élu de la ville, le défenseur public. La police a emporté des ordinateurs, appareils photos, téléphones mobiles et des notes.

Pour commencer, William Scott, le Chef de la police, a déclaré que Carmody avait « franchi une ligne rouge » avec son article. Suite à des réactions outrées du grand public et des appels à sa démission, il a publié des excuses.

Des craintes justifiées

S’il n’y a pas de lien direct entre l’arrestation d’Assange et sa mise en accusation pour possession et publication de documents classifiés, et ces actions policières, le tabou occidental sur l’arrestation ou la mise en accusation de la presse pour ses publications est clairement battu en brèche. L’on ne peut que se demander pourquoi la police australienne a attendu l’arrestation et l’inculpation d’Assange pour cibler une émission diffusée en 2017 et un article publié en avril.

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Capture d’écranLe 23 mai, quelques heures seulement après la mise en accusation d’Assange en vertu de l’Espionage Act, des médias dominants et des personnalités des médias qui n’avaient cessé de malmener Assange se bousculaient pour le défendre, par pur intérêt personnel, parce qu’ils redoutaient que les accusations du gouvernement ne les atteignent à leur tour. Car eux aussi publient au quotidien des documents secrets.

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 (La criminalisation et la répression du journalisme traitant de la sécurité nationale s’étend comme un virus. Le précédent d’Assange fait déjà son effet. Les journalistes doivent unir leurs forces et ne pas oublier que le courage aussi est contagieux.)

Traduction Juliette Bouchery

Source ici

A voir également ce billet ce billet de John Lyons (en anglais)

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