« Verax », la véritable histoire de Snowden et de la guerre des drones en BD
Dans le roman graphique Verax, La véritable histoire des lanceurs d’alerte, de la guerre des drones et de la surveillance de masse (Les Arènes, 2019), en librairie depuis le 11 septembre, le journaliste Pratap Chatterjee, avec le dessinateur Khalil Bendib, entreprend un récit mêlant ses propres enquêtes sur les ravages des drones américains et ses rencontres dans la galaxie des défenseurs de la liberté d’expression.
Dans une chanson contestant les tabous et censures diverses ayant débouché sur la contestation de mai 68, Guy Béart chante que « le premier qui dit la vérité, il doit être assassiné », mais également que « le témoin qui dit la vérité doit être assassiné ». À l’époque, les États-Unis incarnaient la liberté d’expression complète face à l’impossibilité, côté soviétique, de dire quoi que ce soit de contraire aux intérêts de l’URSS.
Un demi-siècle plus tard, un passionnant roman graphique revient sur la vie du citoyen américain qui a révélé que le pays numéro un mondial en matière d’espionnage de masse était le sien. Un citoyen qui n’a échappé à un triste sort (un procès en haute trahison débouchant potentiellement sur la peine de mort ou la prison à perpétuité) que grâce à la protection de… Vladimir Poutine.
Snowden a tout changé
Plus que n’importe quelle autre personnalité, Edward Snowden incarne la figure du lanceur d’alerte pur, du messager d’une vérité irréfragable que des intérêts politiques et militaires cherchent à masquer. Chez lui, pas d’arrières-pensées ni de billard à trois bandes électorales, comme avec Julian Assange (très présent également dans les premières planches du livre). Pas non plus de complications biographiques comme avec Bradley Manning, devenu depuis Chelsea Manning, dont l’évolution a permis à ses adversaires de dévier le débat du terrain des informations vers celui de la santé mentale du (de la) lanceur(euse) d’alerte.
Le domaine du renseignement et de l’espionnage est, par essence, un monde pluridimensionnel, qui a de quoi rendre paranoïaque les plus cartésiens d’entre nous. D’où le goût des scénaristes contemporains pour l’exploitation de personnages un peu en marge, comme Carrie Mathison, cette agent star du CIA dans la série Homeland, qui arrive à déjouer des complots grâce à ses troubles bipolaires lui permettant de voir ce qui échappe au commun des mortels.
Snowden ne fut pas le premier confronté à des informations insupportables, mais il fut le premier à ne pas le supporter
Rien de tout cela chez Snowden. Jeune, beau gosse, vivant en couple, sans histoire familiale glauque derrière lui, bien installé dans le conseil en sécurité informatique, avec un poste et un gros salaire à l’antenne d’Hawaï de la National Security Agency (NSA). Snowden ne fut pas le premier confronté à des informations insupportables, mais il fut le premier à ne pas le supporter. Témoin de la surveillance de masse mise en œuvre par son pays, le lanceur d’alerte a révélé en 2013 comment la NSA, de même que les 16 autres agences de renseignement américaines, avaient infiltré Apple, Facebook et Google pour espionner leurs utilisateurs, réalisant ce que ni la Stasi ni le KGB n’auraient jamais rêvé d’avoir : des mouchards dans les poches de leurs opposants, enregistrant leurs discussions à leur insu.
Ne pouvant plus supporter d’être en possession de cette information, il organisa un longue et très complexe processus de révélation de ces infos – les mécanismes mis en scène dans la série Le Bureau des Légendes sont en deça des précautions prises par Snowden – aux seules personnes en qui il avait confiance afin de ne pas trahir sa cause et aller jusqu’au bout : la journaliste multi-primée Laura Poitras et Glenn Greenwald, journaliste, avocat et blogeur. Le binôme rejoignit Snowden à Hong-Kong (Poitras en tirera le documentaire oscarisé Citizenfour) et filmèrent en 2013 le témoignage qui déboucha sur un scandale planétaire.
Le lanceur d’alerte échappa de justesse à la traque menée par les Américains (même si Obama, alors président, jura à l’époque qu’il « n’enverrait pas des avions chercher un informaticien ») et organisa une conférence de presse à l’aéroport de Moscou où il se contenta de dire qu’il croyait aux principes de la conférence de Nuremberg, en 1945, attestant que « les individus ont des devoirs internationaux qui transcendent les obligations nationales ». Il ne se vécut jamais – et ne se vit toujours pas – comme un traître à l’Oncle Sam, mais bien comme un messager du danger qui vient.
La face cachée de la guerre « sûre »
S’il n’a pas fait l’objet d’une telle surveillance, Pratap Chatterjee partage les mêmes inquiétudes depuis des années. Verax raconte comment il essaye d’alerter sans succès les médias en 2011, au moment des soulèvements arabes, et comment les révélations de Snowden (qui inspire le titre de l’album, Verax signifiant en latin « celui qui dit la vérité » et étant l’un des pseudos du lanceur d’alerte) vont modifier l’intérêt des médias du monde entier pour le sujet de la surveillance de masse.
Les travaux de Chatterjee sur la nébuleuse d’intérêts privés gravitant autour de la Maison Blanche vont alors être publiées dans les colonnes du Guardian. Le journaliste indo-britannique raconte cette guerre des drones qui n’a de « propre » et ne se traduit par des « frappes ciblées » que dans l’imagination des porte-parole de la Maison Blanche. L’auteur fait ainsi partie des lanceurs d’alerte sur le caractère très aléatoire de ces frappes, nourries et guidées à coup de renseignements parfois imprécis, qui ont tué de supposés terroristes sur la base de fausses informations (photos floues ou patronymes identiques). Même Michael Hayden, l’ancien président de la CIA, fit cette confidence atroce lors d’une table-ronde en 2014 : « Nous tuons des gens sur la foi de métadonnées ».
Chatterjee a aussi enquêté sur l’explosion des syndromes post-traumatiques chez les militaires à qui l’on avait vendu une guerre « sûre », au cours de laquelle ils se contenteraient de manier des joysticks depuis le Nevada, mais qui réalisaient avec effroi qu’ils avaient tué des innocents au Yémen ou en Afghanistan. Malgré les révélations, le bilan de ces frappes s’aggrave avec le temps : là où Obama avait autorisé 542 attaques en 8 ans, soit une tous les 5 jours, les 74 premiers jours de mandat de Trump se sont soldés par 75 frappes.
Le livre se referme d’ailleurs sur une angoisse face à l’identité de l’actuel locataire de la Maison Blanche : l’arsenal législatif que lui a concocté l’administration Obama peut lui permettre d’espionner n’importe qui et de commander des frappes sans avoir à en référer au Congrès, en dépit du principe d’équilibre des pouvoirs si central dans la constitution américaine. Enfin, Verax nous rappelle aussi toute la force des contre-récits organisés pour faire passer les lanceurs d’alerte pour des traîtres, voire des terroristes. La preuve que la surveillance de masse, elle, n’a rien d’une fiction.
Les auteurs
Pratap Chatterjee est l’auteur de Halliburton’s Armyet Iraq, Inc. Il dirige le groupe de recherche CorpWatch et a publié régulièrement dans The New Republic, le Financial Times et le Guardian. Il a reçu plusieurs prix d’associations de journalistes, tels que l’Overseas Club of America et l’International Consortium of Investigative Journalists.
Khalil (Khalil Bendib) est le coauteur de Zahra’s Paradise, ouvrage qui a figuré sur la liste des best-sellers du New York Times, traduit en 16 langues et nominé à deux reprises pour le Eisner Award. Ses dessins de presse paraissent dans plus de 1 700 publications internationales.
Le journaliste d’investigation Pratap Chatterjee et Khalil Bendid, dessinateur au New York Times nous plongent dans l’univers terrifiant de la surveillance électronique à travers une BD reportage passionante. Leur personnage, journaliste indépendant, va à la rencontre des lanceurs d’alerte et notamment les journalises de Wikileaks. On y découvre un monde qui fait froid dans le dos, avec ses techniques de surveillances des populations pilotées par les services de sécurité américains. Verax est le pseudonyme d’Edward Snoden, en latin : » celui qui dit la vérité ».
« Snowden ne fait pas l’histoire, il la permet »
06/06/2017
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