La France a ses prisonniers politiques

Plus de 400 gilets jaunes, condamnés à de la prison ferme, purgent ou ont purgé leurs peines. Aujourd’hui 22 janvier 2020 on apprends aussi que des syndicalistes ont été arrêtés. Deux militants CGT d’ENEDIS sont en garde à vue à la gendarmerie de Neuvic, en Dordogne. Ces militants ont été interpellés suite à des coupures d’électricité décidées en assemblée syndicale. 

le 22 janvier 2020

Consacrer un dossier à la détention politique en France, c’est aborder un domaine spécifique de l’histoire de la justice pénale qui ne se laisse pas facilement appréhender. Il exige de recourir à de nombreux , tant le tracé de la frontière qui le sépare du droit commun oscille d’un régime à un autre. Qualifier de « politique » une infraction, une instance juridictionnelle, un prisonnier, un régime d’incarcération induit une attention aux mobiles qui ont déterminé une transgression de la loi. Ce souci de prendre en compte les motifs d’un acte délictueux n’est pas constant. Il peut être celui d’un gouvernement d’une époque donnée, mais il peut aussi être remis en cause par ses successeurs. La « cause », l’engagement pour défendre des idées peuvent susciter l’adhésion et une certaine unanimité dans l’opinion mais aussi n’être soutenue que par une fraction minoritaire du public, des citoyens. Elle provoque débats et divergences d’appréciations, combats et luttes de prisonniers, plaidoyers d’avocats et d’hommes politiques, affrontements d’écoles juridiques. La France, en ce domaine, accumule les paradoxes.

Histoire de la détention politique en FranceJean-Claude Vimont

PHOTOSPQR PRESSE OCEAN MAXPPP

Plus de 400 gilets jaunes, condamnés à de la prison ferme, purgent ou ont purgé leurs peines.

En plus d’un an près de 440 gilets jaunes ont été incarcérés pour des peines de un mois à trois ans. Cette répression, menée sur le plan judiciaire et carcéral, a bouleversé leurs vies et celles de leurs proches, et affecté l’ensemble du mouvement. À Montpellier, Perpignan, Narbonne, Le Mans et d’autres villes, Bastamag a rencontré plusieurs prisonniers et leurs soutiens, qui nous ont raconté leur expérience.

« Je n’aurais jamais cru aller en prison ! » Le 11 mars 2019, le verdict du tribunal de grande instance de Montpellier s’abat comme un coup de massue sur Victor*. « Quatre mois ferme avec mandat de dépôt, huit mois de sursis, 800 euros de dommages et intérêt » Arrêté lors de l’acte 16 pour avoir tiré un feu d’artifice en direction des forces de l’ordre, ce gilet jaune de Montpellier est jugé en comparution immédiate pour « violences contre les forces de l’ordre » et « participation à un groupement en vue de commettre des violences ». Les images de son jugement tournent en boucle dans sa tête.

« Ça n’a même pas duré dix minutes. Je n’ai rien compris à ce qui se passait. » À peine sorti de sa garde-à-vue, sidéré, ce plombier et père de famille est embarqué au centre pénitentiaire de Villeneuve-les-Maguelone. Placé pendant cinq jours dans le quartier des « arrivants », il y reçoit un petit kit avec le minimum nécessaire pour le couchage et l’hygiène. « Au début c’était terrible. Je ne voulais pas sortir de ma cellule, être confronté aux surveillants et aux détenus. » Il sortira de prison trois mois plus tard.

PAR  PIERRE BONNEAU 16 JANVIER 2020


Photo : Anne Paq pour Basta !

Plus de 2200 peines de prison prononcées, fermes ou avec sursis

Victor fait partie des 440 gilets jaunes condamnés à de la prison ferme avec mandat de dépôt, selon le dernier bilan du Ministère de la Justice en novembre, qui comptabilise 1000 peines de prison ferme allant d’un mois jusqu’à trois ans. Sur ce total, 600 peines ont été prononcées sans mandat [1], aménageables avec un bracelet électronique ou un régime de semi-liberté.

En plus de ces 1000 condamnations fermes, aménagées ou non, 1230 gilets jaunes ont été condamnés à de la prison avec sursis. Une telle répression judiciaire d’un mouvement social est inédite dans les dernières décennies. Seules les révoltes des banlieues en 2005 ont fait l’objet de plus d’incarcérations, avec 763 personnes écrouées sur 4402 garde-à-vue [2].

Comme Victor, la grande majorité d’entre eux n’avait pas de casier judiciaire ni de connaissance du monde carcéral. « À 40 ans, bientôt quatre enfants, je n’étais pas du tout préparé à aller en prison ! », souffle Abdelaziz, ancien brancardier à Perpignan. Cette figure associative locale de la Coordination contre le Racisme et l’Islamophobie se savait dans le collimateur de la BAC depuis le printemps 2017, où il avait diffusé une vidéo de violences policières. Le 5 janvier 2019, une manifestation s’échauffe devant le tribunal de Perpignan. Des manifestants rentrent dans l’enceinte, des vitres sont brisées, des affrontements éclatent. Quatre jours plus tard, à l’aube, Abdelaziz est perquisitionné. « Ils cherchaient mon gilet jaune et le mégaphone de mon association, pour me présenter comme le meneur. » Les policiers l’accusent d’avoir assené un coup de poing à un agent, ce qu’il conteste fermement.

« En garde-à-vue, les policiers disaient entre eux : “Regardez, on a eu Abdelaziz !”. J’étais comme un animal qu’on avait attrapé. » Placé en détention préventive, en attente de son procès en février, il est finalement condamné à trois mois fermes et cinq mois de sursis. « Deux autres gilets jaunes, Arnaud et André, interpellés au même moment, ont accepté la comparution immédiate en espérant que le juge soit plus clément. » Ils prendront huit et dix mois fermes avec mandat de dépôt.

« Les toilettes sont à 50 cm de l’endroit où l’on mange, sans cloison »

À Perpignan, Abdelaziz rejoint un deuxième détenu, dans une cellule conçue pour une seule personne. Au début, la cohabitation est respectueuse. Mais elle se détériore avec l’arrivée d’un troisième prisonnier qui dort sur un matelas à même le sol. « Les conditions de détention étaient horribles. Nos toilettes sont à 50 cm de l’endroit où on mange, sans cloison. Il y a des grillages derrière les barreaux de nos fenêtres alors que c’est interdit. La surpopulation est de plus de 200 %. Des femmes s’entassent à quatre dans certaines cellules. Récemment un détenu s’est suicidé dans sa cellule. J’ai porté plainte contre la prison. »

Émilie*, compagne d’un gilet jaune incarcéré depuis juin dernier en détention préventive dans une prison du sud-ouest de la France, évoque aussi des conditions très dures. « Ils sont trois dans 9 m2. Il doit régulièrement changer de cellule parce que la cohabitation se passe mal. »

Son compagnon a été interpellé avec 30 autres personnes dans le cadre de l’information judiciaire sur l’incendie du péage et de la gendarmerie de Narbonne Sud le 1er décembre 2018. Leurs demandes d’accès à une « unité de vie familiale » – un espace permettant aux couples et aux familles de se retrouver avec plus de temps et d’intimité que les parloirs [3] – sont restées sans réponse depuis trois mois. « On a fini par se faire un câlin dans le parloir. C’est interdit : l’administration nous l’a supprimé pendant deux mois. »

Entassés à cinq, dans une cellule insalubre de 14 m2

Bastamag a également reçu le témoignage anonyme d’un détenu purgeant une peine de plus de deux ans dans une prison du nord de la France. Entassé avec quatre autres personnes dans une cellule de 14 m2, il déplore des conditions insalubres : « Une table, quatre mini-placards, un WC dans un état lamentable, un lavabo sans eau chaude pour vaisselle et toilette, pas de frigo, des murs moisis, une prise électrique détériorée, des grilles à la fenêtre. Les promenades sont enclavées et grillagées. »

Il dénonce une « lenteur abusive » de l’administration pénitentiaire, provoquant des délais de « dix jours pour obtenir un sac de linge arrivant, trois semaines pour une plaque de cuisson, un mois pour un poste radio, et des courriers qui mettent jusqu’à une dizaine de jours pour nous parvenir. » Du côté des parloirs, il critique le « manque d’intimité en parloir collectif, des fouilles abusives et systématiques, et des problèmes informatiques récurrents pour la réservation des familles ».

À Montpellier, Victor a « ressenti la faim ». En prison, la nourriture fournie gratuitement n’est pas suffisante. L’image des détenus « nourris, logés, blanchis » est un leurre. Pour améliorer l’ordinaire, tous les détenus doivent « cantiner », c’est à dire acheter le surplus. Et tout se paie : nourriture supplémentaire, cigarettes, papier toilette, savon, location de télévision, journaux… Il est crucial d’obtenir de l’argent via des « mandats » envoyé par l’entourage, ou en travaillant en détention. « Je m’entendais bien avec mon co-détenu, au début il a cantiné pour moi. Une fois que j’ai eu mes cantinages, j’ai rendu la pareille à d’autres détenus en difficulté. »

Pour Bruno, gilet jaune du Mans, « les conditions n’étaient pas trop mauvaises : il y avait même une douche dans la chambre ». Ce déménageur de 51 ans avait d’abord écopé de trois mois de sursis suite à un feu de poubelle, en janvier 2019. Interpellé à nouveau le 16 février pour « outrage », « rébellion » et jet de canette, il est incarcéré à la prison des Croisettes, un établissement plus récent. « Ce qui est fatigant, c’est la routine. Le réveil, le café, les infos, la promenade du matin, le repas du midi, la télé, la sieste, la promenade de l’après-midi, le repas du soir, etc. Toutes les journées se ressemblent. »

Pour tuer le temps et bénéficier de réductions de peine, Bruno s’est inscrit à certaines des activités proposées en prison : « J’ ai fait l’école des prisonniers, avec des cours d’anglais, de mathématiques, de français et d’histoire-géo. Et aussi des activités avec un groupe musical. » Le compagnon d’Émilie, lui, s’est « inscrit à toutes les activités et au travail. Il a aussi participé à un atelier d’écriture dans le journal de la prison… sauf que le mot « gilet jaune » y était interdit ! »

Gilets jaunes – Christophe Dettinger

« Quand on sort, si le mouvement continue on sera avec vous ! » 

Malgré ces conditions très difficiles, de nombreux gilets jaunes interrogés témoignent du respect exprimé par les autres détenus. « Mon nom c’était le “gilet jaune du B2 rez-de-chaussée”, se souvient Victor. Pendant les promenades, certains prisonniers me posaient des questions sur le mouvement. Certains disaient “Quand on sort, si ça continue on sera avec vous !” »

L’ambiance est similaire à Perpignan. « On nous appelait les “prisonniers politiques”. La majorité des détenus soutenaient les gilets jaunes. Ils savaient qu’on avait manifesté pour la justice et la dignité, témoigne Abdelaziz. Les prisonniers, majoritairement issus des quartiers populaires, y aspirent aussi. Ils sont souvent incarcérés parce qu’ils ont fait des actions illicites pour obtenir de l’argent et améliorer leur quotidien. »

Parfois, les manifestations de soutien sont allées jusqu’au personnel de la prison. « Une des surveillantes m’appelait “camarade” », se souvient Victor. Abdelaziz est encore plus affirmatif : « Les trois-quarts des gardiens nous soutenaient, et le reste ce sont des fachos. L’un d’entre eux participait même au mouvement au début. »Sourire aux lèvres, Victor évoque même des encouragements, à mots couverts, de la psychologue chargée de son suivi. « Elle a fini par me dire que j’avais raison d’aller aux manifestations. »

« Maintenant que l’image de “l’ultra-jaune” s’est imposée, il n’y a plus de bons traitements »

Ce respect diffus des gardiens est pourtant loin d’être généralisé. Dans la prison du sud-ouest de la France où son conjoint est placé en préventive, Émilie* évoque des « surveillants qui font tout pour [le] pousser à un geste de violence pour pouvoir le sanctionner ». Dans le nord de la France, le détenu anonyme dénonce des maltraitances, avec « des surveillants parfois irrespectueux. Certains nous prennent même pour des chiens, d’autres donnent des coups physiques ou verbaux ».

Dans cette même ville, un gilet jaune anonyme d’un collectif local analyse : « Au début il y avait encore des matons pro-mouvement. Mais maintenant l’image de “l’ultra-jaune” s’est imposée, et il n’y a plus de bons traitements : ceux qui sont encore en prison sont particulièrement ciblés. »

L’administration pénitentiaire ne fait aucun cadeau et cherche à saper le moral des gilets jaunes incarcérés. À son arrivée en janvier, Abdelaziz avait rencontré sept autres camarades au quartier des arrivants. Mais les retrouvailles ont été de courte durée. « L’administration nous a divisés dans les différents bâtiments de la prison pour casser les solidarités et éviter qu’on s’organise. À la fin, on ne se croisait plus, sauf par hasard à l’infirmerie. »

Pour résister à l’isolement, le lien avec la famille et les proches est indispensable. Chaque soir, à 21h, Victor avait son rituel, sa « bouffée d’oxygène »« J’appelais longuement ma femme et mes enfants. C’était mon seul lien avec l’extérieur, à part la télé. Heureusement qu’on avait un téléphone en cellule. » Normalement interdits, ils sont tolérés de fait. « Comme pour le cannabis : c’est comme ça qu’ils achètent la paix sociale entre les murs. »

Les familles déstabilisées

À l’extérieur, les familles sont profondément bousculées par l’incarcération, à commencer par les enfants. « Mon plus petit m’a vu partir menotté de la maison à 6h du matin. L’autre a refait pipi au lit pendant que je n’étais pas là », explique Abdelaziz. « À la rentrée, la maîtresse a demandé à mon fils ce que leurs parents faisaient comme métier. Il a répondu : “Mon père est prisonnier politique gilet jaune !” »

En l’absence des prisonniers – surtout des hommes -, les femmes se retrouvent en première ligne pour tenir le foyer et assumer les démarches pour les détenus, au risque de l’étranglement financier. « Ma femme a été obligée d’emprunter 3000 euros pour payer le loyer et les factures avec un salaire en moins », explique Victor. Émilie, elle, « dépense toutes ses économies » dans des aller-retours coûteux pour les parloirs, le cantinage et les frais juridiques. « Normalement, on aurait du faire les marchés cet été. On a un énorme manque à gagner. »

Karine, assistante maternelle à Narbonne, « réfléchit à monter un dossier de surendettement ». Son compagnon, Hedi Martin, était un youtubeur influent au début du mouvement. « Il avait lâché son travail pour le mouvement. Il n’en a pas retrouvé depuis. On en a eu pour plus de 5000 euros de frais d’avocat : ça nous a tués. »

Interpellé lui aussi dans le coup de filet autour de l’incendie du péage de Narbonne Sud, Hedi a fait un mois de préventive en janvier 2019, suivi de six mois de bracelet électronique. Dans le viseur des autorités, il avait aussi été condamné en janvier 2019 à 6 mois de prison ferme sans mandat de dépôt, pour avoir relayé un appel à bloquer une raffinerie. Un symbole de la répression ciblée sur les « meneurs » locaux.

S’organiser pour soutenir les prisonniers

Mais tous les détenus n’ont pas la chance d’avoir des proches prêts à se mobiliser. Le soutien du mouvement est donc crucial. Candy*, gilet jaune à Saumur, en est l’une des chevilles ouvrières. Après la fin des manifestations dans sa région, cette mère au foyer s’est impliquée dans l’écriture de lettres aux prisonniers. En août dernier, elle a créé le groupe facebook « Un petit mot, un sourire : où écrire à nos condamnés ». Sans bouger de sa maison, derrière son ordinateur, elle a épluché jour et nuit articles et réseaux sociaux pour retrouver les identités des prisonniers et les diffuser avec l’accord de leurs proches.

De Toulouse à Reims, en passant par Caen, Lyon, Fleury-Mérogis mais aussi Dignes, Bourges, Marseille, Béziers ou encore Grenoble, une cinquantaine d’adresses de prisonniers dans dix-sept prisons ont été collectées. Le groupe, animé par trois modératrices, rassemble plus de 2500 personnes, « dont un noyau actif d’une centaine ».

Chaque semaine, ils écrivent aux prisonniers et publient leurs nouvelles et leurs besoins. « Les gens engagent une correspondance suivie, on ne les lâche pas : c’est le cœur qui parle !, explique Candy. On est devenus comme des parrains et des marraines, en recréant une grande toile de solidarité. »

Les contours de cette toile ont rapidement dépassé la pointe du stylo. « On s’est vite rendus compte qu’il fallait aller plus loin que les lettres. Certaines personnes sont isolées, sans famille. On ne pouvait pas les laisser dans cette situation. À Toulouse, un jeune détenu est resté seul quatre mois, sans visite de sa famille, ni référent pour ouvrir un parloir et l’accès au cantinage. On s’en est occupés. » Certains assurent des cantinages pour les prisonniers que la famille ne peut pas soutenir. D’autres récoltent des vêtements. « Chaque geste compte. Récemment, on s’est organisés pour héberger ceux qui sortent et ont perdu leurs logements. »

« Maintenant, il faut mieux informer les gens pour se renforcer »

Au-delà des réseaux sociaux, dans certaines villes le mouvement local s’est fortement mobilisé. « Tous les dimanches matin, j’entendais des bruits de moteurs, de klaxon, de cornes de brume. Les gilets jaunes venaient faire du bruit », se remémore Abdelaziz en souriant. « Je faisais tournoyer mon pull orange fluo par les grilles, pour qu’ils nous voient. » Le gilet jaune a aussi reçu du cantinage.

À Montpellier, Victor se souvient avec émotion des feux d’artifice qui résonnaient au-dessus de l’enceinte les dimanches soirs. « C’était mon moment de gloire. Je sortais un miroir pour voir les explosions par le petit trou de ma fenêtre. Tous les détenus hurlaient, c’était de la folie. » Le groupe anti-répression de Montpellier, « l’Assemblée contre les violences d’État », s’est largement impliqué dans l’appui financier aux frais juridiques ou l’organisation de petits déjeuners devant les prisons, à l’instar de beaucoup de grandes villes familières de la répression comme Paris ou Toulouse.

À l’inverse, dans d’autres villes la mobilisation a été très limitée. « À Narbonne, la vague d’arrestations pour l’incendie de Croix-Sud a tué le mouvement. Beaucoup ont eu peur. Le reste s’est divisé et ne s’occupait pas des inculpés parce que l’action n’était pas pacifiste. », se souvient Hedi. Karine complète : « Hedi était connu donc il a été privilégié, avec une cagnotte, des rassemblements. Mais il n’y a presque rien eu pour les autres. » En plus de ses longues semaines de travail, Karine a donc créé en juin dernier, avec sa mère et des amies, le « Cool-actif 11 vous soutient », pour soutenir les prisonniers isolés.

« Je regrette qu’on se soit fait avoir par la justice au début du mouvement. On ne connaissait rien à la répression et à la prison. Maintenant il faut mieux informer les gens pour se renforcer. » Peu à peu, leur collectif s’est rapproché de groupes « antirep » (pour anti-répression) expérimentés à Toulouse ou Montpellier. « On veut aller plus loin que l’appui aux incarcérés et promouvoir la défense collective : ne pas faire le tri entre “bons et mauvais manifestants”, refuser de parler en garde à vue, se mettre en réseau avec les avocats. » explique l’assistante maternelle. À sa manière, la « famille gilet jaune » se réapproprie la lutte anti-répression.

Beaucoup de détenus « isolés, oubliés et démunis de soutien extérieur »

Mais la mobilisation reste cependant faible par rapport à l’ampleur des condamnations. Détenu en préventive pendant six mois à la prison de la Santé, le militant antifasciste Antonin Bernanos évoque, dans une lettre parue en octobre, « beaucoup de gilets jaunes croisés derrière les barreaux, souvent isolés, oubliés et démunis de tout soutien politique extérieur »« Sur près 400 personnes, on n’a pu contacter que 10% des prisonniers environ », constate Candy.

Karine, de son côté, n’a pas reçu de réponses à toutes ses lettres. « Certains détenus nous ont dit qu’ils ne voulaient plus entendre parler des gilets jaunes en attendant leur jugement. » Notamment le procès-fleuve du péage de Narbonne mi-décembre, où comparaissaient 31 prévenus, dont 21 ont écopé de prison ferme, avec deux mandats de dépôts et deux maintiens en détention. Isolés face au système judiciaire, ces détenus ont fait une croix sur le gilet.

C’est aussi le cas d’Hedi, qui avoue avoir « tout arrêté dés que les embrouilles judiciaires ont commencé ». Le débit rapide de ce passionné d’informatique masque une certaine amertume. « Tout ce qu’on avait est allé dans ce mouvement : notre argent, notre voiture, nos meubles. Mais on a raté le coche. Il a fallu revenir à la vie normale. C’est comme une descente : je suis mort intérieurement. »

Le coup dur est venu avec le bracelet électronique imposé de mars à fin novembre après sa détention provisoire. « J’étais en prison à domicile. Mon contrôle judiciaire m’interdisait d’aller sur les rond-points, en manifestation, de sortir du territoire national. J’étais assigné à résidence de 22h à 6h, avec un pointage une fois par semaine, une obligation de travail et de soin. »

« Ils te détruisent économiquement, psychologiquement. Beaucoup de couples explosent »

Cette répression « à emporter » l’a conduit à faire une dépression. « J’ai senti l’étau se refermer sur moi. Un psy m’a prescrit un arrêt. Pendant quatre mois et demi je ne suis pas sorti de ma maison. » Comme pour les blessés, les conséquences post-traumatiques de l’incarcération sont insidieuses et s’insinuent partout dans le quotidien, générant repli, amertume, colère. L’entourage et les compagnes sont les premières affectées. « Ils te détruisent économiquement, psychologiquement. Si en plus ils arrivent à casser le niveau familial on perd tout. Beaucoup de couples explosent », explique Karine.

Les nuits de Victor sont hantées par des cauchemars récurrents, peuplés de policiers qui le poursuivent et le perquisitionnent pour un meurtre qu’il ne sait plus s’il a commis. « Je me réveille le matin déboussolé. » Mais pas question de quitter le mouvement, malgré ses huit mois de sursis, deux ans de mise à l’épreuve, son obligation de travail et de suivi. « Je continue d’aller à toutes les manifestations. Toujours en première ligne, mais les mains dans les poches et à visage découvert ! Je ne peux pas lâcher le mouvement, après toute cette solidarité qu’il y a eu autour de moi. » Abdelaziz, lui, y va « un samedi sur deux, au plus loin des policiers. »

En plus de son incarcération, Bruno a écopé d’une peine d’interdiction de manifester de deux ans sur le territoire national. Une peine complémentaire qui, depuis le passage de la loi « anti-casseurs » en avril 2019, tend à se généraliser dans les condamnations pour « violences » ou « dégradations ». Il a donc littéralement arrêté de marcher dans les cortèges du samedi. Pas plus, pas moins. « Je reste 300 m plus loin, devant ou derrière en faisant très attention, mais je suis là. Je vais partout où je peux aller, aux piques-niques, aux assemblées populaires, aux tractages sur les marchés. » Il s’est aussi impliqué dans la « coordination anti-répression » du Mans.

« Le système ne sait plus comment contenir la colère sociale. Jusqu’au jour où ça explosera encore plus fort »

L’incarcération a profondément marqué les gilets jaunes interrogés. Tous ont changé de regard sur la prison. « Je croyais que c’était la guerre, que seuls les mauvais y allaient. Mes proches ont cru que j’allais me faire violer ou mourir. Mais j’ai surtout réalisé les conditions honteuses », explique Victor. Les rencontres entre les mondes, entamées sur les rond-points, se sont poursuivies entre quatre murs. « André, incarcéré avec moi, votait RN », confie Abdelaziz. « Maintenant c’est fini. Il a changé de regard sur les détenus, qui sont surtout des personnes racisées issues des quartiers populaires. Ce sont des gens comme tout le monde. »

Grâce au soutien sans failles de ses proches et du mouvement, la détermination de Victor est restée intacte. « Tous n’ont pas eu cette chance mais j’en suis sorti plus fort. Ils m’ont mis en prison pour me détruire, ça a produit l’inverse : j’ai encore plus ouvert les yeux. Le système ne sait plus comment faire pour contenir la colère sociale, alors il enferme même des gens avec un profil “intégré”. Jusqu’au jour où ça explosera encore plus fort. » Le gilet jaune ne regrette en aucun cas le geste qui a provoqué son arrestation. « J’en ai assumé les conséquences. J’ai encore la rage : pour l’instant, on n’a rien gagné. »

* Les prénoms ont été modifiés

PAR  ALEXANDRE LÉCHENETSIMON GOUIN 23 SEPTEMBRE 2019

Tract du Secours Rouge distribué à Paris en février 1971

EN QUARANTE-TROIS ANS, 676 MORTSÀ LA SUITE D’INTERVENTIONS POLICIÈRES OU DU FAIT D’UN AGENT DES FORCES DE L’ORDRE

Une base de données de BastaMag, compilée et analysée par Ivan du Roy et Ludo Simbille.

https://bastamag.net/webdocs/police/


75 % des peines de prison inférieures à 1 an ne sont pas accomplies,
en France. Et 100 % des peines pour des délits mineurs. Sauf pour
Nicolas, prisonnier politique.

JE M’APPELLE NICOLAS B, JE SUIS PRISONNIER POLITIQUE EN FRANCE ET J’AI PEUR

 par CALCULETTE – 22/06/2013

Lettre inspirée de la compilation de faits réels évoqués dans plusieurs grands médias de toutes tendances. Toute ressemblance avec la réalité devra être imputée à cette dernière

Je m’appelle Nicolas Bernard-Buss, je suis prisonnier politique en France et … j’ai peur.
J’ai quitté mes parents et ma ville d’Angers pour suivre un double cursus universitaire à Paris. J’étudiais les sciences politiques et l’histoire à la Catho en plus d’être en troisième année d’école d’ingénieur. J’ai 23 ans et le «malheur» de porter le même prénom que le président Sarkozy sur qui s’acharne la haine du locataire de l’Élysée.

Espérance…
Comme des millions de Français encore libres de penser, je manifestais mon opposition à la loi Taubira en portant fièrement la Famille dans mon cœur et sur mon sweat, regrettant que les élus et responsables politiques se soient même provisoirement «faits une raison» face au mépris du gouvernement.

Joie de vivre…
Dimanche 16 juin, j’étais à Neuilly-sur-Seine avec des amis, au milieu de 1500 personnes selon la police, pour accueillir François Hollande, invité à s’exprimer dans l’émission «Capital». Comme toujours dans cette ambiance bon enfant et déterminée contre le mariage Gay, la Manif Pour Tous battait son plein parquée à 500 m de l’entrée du studio de télévision par des bataillons de forces de l’ordre… Plus tard, mes amis et moi sommes allés poursuivre joyeusement en nous promenant sur les Champs Élysées.

Perplexité…
Vers 22h, j’ai vu fondre sur nous une charge de CRS accompagnés d’ individus armés de Taser et hurlant «Interpellation !» Ne voyant aucun braqueur, violeur, voleur, dealer et autre terroriste alentour, j’ai pensé à ces fanatiques d’Antifa voulant casser du «droitard». Nous avons pris la fuite.

Affolement…
Aidés par un des serveurs, nous nous sommes réfugiés dans la première pizzeria venue. J’apprendrai plus tard que le patron, absent au moment des faits, justifie ainsi une plainte contre moi «à cause de son arrestation, il y a eu des dégâts, et le restaurant a dû fermer un quart d’heure».

Trou noir…
Rattrapé par deux de ces brutes qui écrasaient tout sur leur passage dans le restaurant, j’ai réalisé que nos agresseurs étaient des policiers en civil ! Comme j’essayais de me défendre, ils m’ont tabassé jusqu’à perdre quasiment connaissance.

Isolement…
On m’a dit qu’une vingtaine de personnes ont été interpellées en même temps que moi et relâchées après un contrôle d’identité de plusieurs heures. Ce qui m’étonne, c’est d’avoir été séparé des autres qui eux, ont été emmenés dans le panier à salade jusqu’au commissariat de la rue de l’Evangile. Réflexion faite, après mon tabassage, je n’étais probablement plus assez présentable devant de mes compagnons d’infortune.

Incrédulité…
Assommé, menotté et pieds liés, ils m’ont jeté dans la fourgonnette de la BAC puis embarqué pour une comparution immédiate non pas dans l’une des deux chambres correctionnelles qui s’en occupent habituellement mais à la 16e, spécialisée dans les dossiers de stupéfiants et proxénétisme et qui, d’après «Le Monde», venait opportunément d’être libérée suite à l’ajournement du procès de l’affaire Zahia. De ces deux prétextes «dégradations volontaires» et «rébellion», seul le deuxième sera retenu par le juge, la responsabilité des dégradations étant difficile à établir dans le cadre d’une interpellation mouvementée !

Improvisation…
Le 27 mai après-midi, en marge d’une manifestation spontanée à proximité du lycée Buffon à Paris, où François Hollande effectuait une visite, des lycéens, une femme enceinte, un aveugle, un prêtre, des dames catéchistes et des retraités âgés de plus de 70 ans ont été interpellés, en tout quatre-vingt-treize personnes, des opposants au mariage homosexuel mais aussi de simples passants. J’avais déjà été contrôlé moi aussi comme des centaines de veilleurs et condamné à 200 euros d’amende avec sursis pour «non-dispersion d’un rassemblement non autorisé». Je vivais donc l’instant présent comme un improbable cauchemar. Trop c’est trop, j’ai refusé le prélèvement de mes empreintes et ADN. C’est cet «antécédent judiciaire» qui motivera la sévérité du juge. Tout cela n’avait aucun sens ! Jean-Frédéric Poisson, député UMP s’indignait : «Quand vous êtes interpellé sans raison, il n’est pas anormal que vous vous rebelliez !»

Consternation…
Mercredi soir, ils m’ont condamné pour «rébellion et refus de prélèvement» à quatre mois de prison, dont deux fermes et 1000 euros d’amende avec mandat de dépôt comme si j’étais une menace, un danger pour la société ! «C’est ubuesque ! Il a été jugé pour des infractions consécutives à une interpellation qui n’a pas de cause.» a déclaré Me Henri de Beauregard, l’un des avocats bénévoles de la Manif pour tous.

Solitude…
J’ai évidemment fait appel de cette sentence ahurissante simplement pour recouvrer ma liberté. Mais contrairement à ce qui se fait dans le cadre de cette procédure, ils m’ont jeté dans un cachot de Fleury Mérogis. «Pour l’exemple» sans doute !

Cauchemar…
Il y a 8 ans, un jeune homme du nom d’Eric BLAISE incarcéré comme moi à la prison de Fleury-Mérogis était battu à mort et décédait dans sa cellule. Une ordonnance de «non-lieu» envoyée à ses parents signifiant que sa mort restera inexpliquée lui sert aujourd’hui d’épitaphe ! Aujourd’hui je survis dans un environnement sordide à trois dans 9 mètres carrés, toilettes comprises. Je suis cerné par la crème de la délinquance et de la violence.

Angoisse…
Quand il fera trop chaud, les détenus de Fleury-Mérogis boucheront leurs lavabos pour laisser l’eau s’écouler directement sur le sol. Puis, pour avoir un peu d’air, ils briseront les lourdes vitres de l’étroite fenêtre de leur cellule. Ils devront également choisir entre le ventilateur, que l’on peut “cantiner” auprès de l’administration, et tout autre équipement électrique : le circuit ne supporterait pas la surcharge imposée par les deux appareils. Et si le soleil cogne lors des promenades, le seul véritable point d’ombre de la cour ne sera d’aucun secours. Le préau, à l’abri du regard des gardiens, est en effet une zone de non-droit où se mènent les règlements de comptes. Il est donc interdit d’accès. (*)
Parole d’expert :

Désespérance…
Je me sens tellement étranger à ce statut de prisonnier politique, incroyable dans une démocratie, que je ne maîtrise plus rien. J’ignore comment je pourrai m’en sortir et dans quel état ? Il parait que je reçois d’innombrables témoignages de soutien et de sympathie ? Cela fait tant de bien. Quelqu’un m’a dit qu’il y a aussi des Français pour estimer que ce qui m’arrive est «bien fait», c’est possible ça ?

Courage…
J’aimais la France quand elle était encore le pays des Droits de l’Homme.
Maman, Papa, mes amis, mes amours… ne pleurez pas : oui j’ai peur, mais je m’accroche. Du fond de ma cellule, je m’accroche à l’idée que quoiqu’il arrive vous ne lâchez rien !
Je vous aime.
Nicolas B.

13 000 prisonniers politiques en France (des sources indépendantes), 7 000 blessés, des dizaines d’handicapés et une police qui bénéficie d’une totale impunité. Voilà où en est la Macronie à la troisième année du mandat de son président.

Publié par wikistrike.com sur 30 Avril 2019

http://www.wikistrike.com/2019/04/france-13-000-prisonniers-politiques.html

Envoyés en prison comme 440 autres Gilets jaunes, ils racontent

16 / 09 / 2019

https://www.streetpress.com/sujet/1568288596-en-prison-comme-440-gilets-jaunes-ils-racontent

Publié le 25 septembre 2019

Un Gilet jaune dijonnais a été condamné à 5 mois de prison avec sursis pour avoir filmé et diffusé sur le web une vidéo des affrontements qui avaient eu lieu devant la caserne Deflandre pendant l’acte 8 des Gilets jaunes, le samedi 5 janvier 2019.

Suite à des provocations des gendarmes qui menaçaient le cortège avec leurs LBD, des manifestants leur avaient lancé des projectiles et une cinquantaine de mètres de la grille d’enceinte avaient été arrachés. Dix jours plus tard, quatre personnes avaient été interpellées pour avoir participé à cet accrochage, et jugées en comparution immédiate. Deux habitants de la Côte-d’Or, âgés de 30 et 33 ans, avaient été condamnés à deux ans de prison, dont un avec sursis et mise à l’épreuve. Un troisième, âgé de 21 ans, avait été condamné à dix-huit mois de prison dont douze avec sursis et mise à l’épreuve, tout comme le dernier mis en cause, âgé de 25 ans et originaire de l’Yonne. Tous les quatre avaient également été condamnés à une interdiction de manifester pendant deux ans.

Le vidéaste a quant à lui été condamné à cinq mois de prison avec sursis, 1 100€ de dommages et intérêts à verser aux gendarmes, et un stage de citoyenneté à ses frais pour avoir simplement filmé et diffusé une vidéo de ces affrontements.