Tricastin : du tritium relevé dans l’eau de la centrale nucléaire

C’est par une note laconique sur son site internet dans la soirée du 22 janvier 2020 que EDF-Tricastin a avoué, au détour d’une phrase, que depuis deux mois se produit une fuite radioactive importante dans l’enceinte géotechnique sous la centrale atomique du Tricastin. EDF prétend avoir déclaré le 6 novembre 2019 cet incident significatif pour l’environnement à l’ASN et à l’IRSN. Mais aucune trace de ce signalement sur les sites internet de ces organismes censés surveiller le nucléaire et protéger les populations. Rien non plus à cette date sur le site de EDF. Pas plus d’alerte ou d’information données à la structure censée informer la population et être tenue au courant de ce qui se passe sur ce site nucléaire. 

C’est un événement classé 1 (sur 7) de l’échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques (Ines). Le 6 novembre 2019, la centrale nucléaire EDF du Tricastin effectue des contrôles dans sa nappe interne (une enceinte contenant de l’eau et qui sépare la centrale nucléaire de la nappe phréatique en dessous). Du tritium est alors détecté, pour une valeur supérieure au seuil les obligeant à déclarer l’événement à l’Autorité de sûreté nucléaire (1 150 becquerels par litre pour un seuil déclaratif de 1 000).

Alerte Tricastin, France : Fuite de tritium radioactif  jusqu’à 5300 Bq/l dans l’enceinte géotechnique sous la centrale

Une fuite radioactive de Tritium atteignant jusqu’à 1150 Becquerel par litre (Bq /l) pour un maximum autorisé de 1000 Bq/l s’est produite dans l’enceinte géotechnique située sous la centrale du Tricastin. La tuyauterie d‘un réservoir d’effluents radioactifs a laissé s’écouler les rejets mortels durant deux mois sans que la moindre information au public et à la Commission Locale d’Information (Cligeet) ne soit donnée par EDF. Un appareil de mesure piézométrique à même détecté en novembre et décembre 2019  des rejets radioactifs atteignant le niveau faramineux de 5300 Bq/l.

C’est la détection d’un marquage en tritium de l’eau souterraine contenue dans l’enceinte géotechnique située sous la centrale qui a révélée incidemment la fuite. Le  niveau de radioactivité y dépassait les 1150 Bq /l. Supérieur au seuil déclaratif fixé de 1000 Bq/l en deça duquel la centrale nucléaire est autorisée à contaminer sans prévenir personne. C’est la tuyauterie défaillante d‘un réservoir de rejets (effluents) radioactifs qui est à l’origine de cette fuite.

EDF se targue que , comme à l’accoutumé dans sa communication, cet  événement  a été  « sans  conséquence  sanitaire  ou  environnementale » en se réjouissant que les  valeurs  en  tritium  relevées  dans  la nappe phréatique à l’extérieur de la centrale sont conformes aux valeurs habituellement observées. On ne saura pas quel en est le niveau « habituel » alors que le réseau piézométrique interne et externe au site comporte en principe 44 points de contrôle différents théoriquement opérationnels.

Le pire des sites nucléaires de l’hexagone

La centrale nucléaire du Tricastin , la plus vieille de France après Fessenheim, a été construite non seulement sur une faille sismique mais aussi en dessous du niveau du canal de Donzère-Mondragon mais également sur des marnes instables. Il a donc fallu lors de sa conception et l’adaptation de la licence américaine vendue à la France par Westinghouse dans les années 70 y implanter en-dessous une enceinte géotechnique interne pour tenter de séparer et contenir les eaux souterraines de la nappe phréatique.

EDf avoue que l’un  des  piézomètres de  l’enceinte  géotechnique a mesuré des pics  de radioactivité en tritium atteignant jusqu’à 5300 Bq/l et durant deux mois en novembre et décembre 2019. Comme l’activité en tritium mortel qui franchie alègrement la barrière de la peau varie  en  fonction  des  mouvements  de  la  nappe  et  de  la  météo :  les  valeurs  observées  font du yoyo pouvant passer de  400  bq/l  à  1000 Bq/l  et plus. EDF reconnait que de  nouvelles contaminations au tritium pourrait avoir lieu au niveau de la nappe interne dans les semaines voire les mois à venir. Beau programme et beau mutisme de l’ASN. Le business avant la sécurité sanitaire des populations et des territoires.Rien que dans les derniers mois, EDF a du déclarer à l’ASN d’autres incidents significatifs pour la sûreté : le 18 novembre 2019 le réacteur 1 de la centrale nucléaire du Tricastin a dépassé la concentration maximale en bore autorisée dans le circuit primaire. Dans la nuit du 10 au 11 novembre 2019 s’est un dysfonctionnement des pompes utilisées pour le refroidissement du groupe turbo alternateur du réacteur n°4  qui a conduit à son arrêt en urgence (SCRAM) et sa déconnexion du réseau électrique. Ce même 11 novembre le séisme du Teil atteignait les centrales atomiques de Cruas (Ardèche) et du Tricastin (Vaucluse-Drôme) où, malgré les dénégations officielles tout laisse penser qu’il a eu des effets nocifs sur les huit réacteurs nucléaires concernés et les 10 autres installations nucléaires des sites atomiques. Un mois plus tôt, le 5 octobre au matin. c’est le réacteur nucléaire n°3 qui était mis à l’arrêt suite à une défaillance sur une pompe de graissage de la turbine en salle des machines.Alors que EDF tente désespérément de faire valider la prolongation de ses vieilles casseroles nucléaires dans toute la France par la fumeuse « VD4 » (4ème visite décennale) qui engloutie des millions d’euros en pure perte : il est grand temps de mettre à l’arrêt définitif les 4 réacteurs nucléaires du Tricastin et de fermer ce site atomique mortifère.__

*Le réseau piézométrique du CNPE compte 44 puits de contrôle ou piézomètres  •26 permettent de surveiller les eaux de l’enceinte géotechnique située sous la centrale, •18 permettent de surveiller la nappe phréatique.La source originale de cet article est coordination-antinucleaire-sudest.net

L’origine de la fuite

EDF précise que les investigations menées montrent qu’une tuyauterie d‘un réservoir d’effluents radioactifs défaillante est à l’origine de l’événement. Le matériel a été immédiatement réparé et remis en conformité. Le tritium est un élément radioactif produit par la réaction nucléaire au sein des réacteurs de la centrale. 

Selon EDF, les valeurs tournent aujourd’hui autour des 400 Bq/l, ne dépassant plus le seuil déclaratif, même si de nouvelles fluctuations ou pics de tritium peuvent apparaître, en fonction du mouvement de l’eau et de la météo. Il y a un précédent : en 2013, des fuites de tritium avaient été observées jusque dans la nappe phréatique, poussant les associations antinucléaires à porter plainte. EDF a été relaxé par le tribunal correctionnel de Valence en mars 2019.

Les associations antinucléaires s’inquiètent

Dès jeudi 23 janvier, la Criirad (Commission de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité) a réagi à cette annonce d’EDF qu’elle considère comme tardive. L’association reproche également à l’exploitant de ne pas en avoir averti les membres de la Cligeet (Commission locale d’information des grands équipements énergétiques du Tricastin). Et s’inquiète dans un communiqué des risques de pollution de la nappe phréatique : le tritium, isotope radioactif de l’hydrogène, est “particulièrement mobile est susceptible de diffuser même à travers des murs de 60 centimètres de béton”. Le réseau Sortir du nucléaire a également réagi sur Twitter, s’inquiétant de l’état des installations et se demandant notamment “pourquoi les citoyens sont-ils avertis aussi tard de cette pollution importante”, alors que la visite décennale pour faire passer le cap des 40 ans au réacteur n° 1 battait son plein.


Par voie de communiqué, la CRIIRAD (Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la Radioactivité) rappelle que le niveau de contamination en tritium de 5 300 Bq/l annoncé par EDF est plus de 2 000 fois supérieur au niveau de tritium « normal » que l’on mesure en France dans les nappes non contaminées”.

Par ailleurs, “la nappe située sous la centrale fait intégralement partie de l’environnement. Or, en France, le rejet direct de substances radioactives dans les eaux souterraines est interdit“.

Pour la  commission, “ce type de fuite arrive malheureusement régulièrement sur le site du Tricastin. La CRIIRAD était intervenue comme témoin lors du procès qui s’est tenu à Valence en mars 2019 dans le cadre de la plainte déposée contre EDF par les associations Réseau Sortir du Nucléaire, Stop Nucléaire 26-07 et FRAPNA Drôme, du fait des fuites radioactives de l’été 2013 dans la nappe phréatique sous la centrale nucléaire du Tricastin. Lors de l’audience, EDF a été dans l’incapacité de répondre à la question de l’évaluation de la quantité de tritium qui avait été rejeté dans l’environnement du fait des fuites de 2013″.

Enfin, EDF indique qu’ « une tuyauterie d‘un réservoir d’effluents radioactifs défaillante est à l’origine de l’événement ». Or, pour les experts de la CRIIRAD,l’entreprise ne précise pas s’il s’agit d’une tuyauterie usée par la corrosion, ce qui poserait d’autres questions quant à l’état général de la centrale. Ni pourquoi il n’y avait pas de dispositif de rétention sous ces tuyauteries ? Dans tous les cas, cet évènement montre l’incapacité d’EDF à prévenir des fuites de substances radioactives dans l’environnement.”


18 plaintes de particuliers ont été déposées contre l’Autorité de Sûreté Nucléaire pour demander la fermeture de la centrale nucléaire du Tricastin, dans la Drôme, a-t-on appris de la coordination anti-nucléaire, mardi 6 février 2018. Ces sont des habitants de Provence et du Gard notamment, qui ont déposés ces plaintes auprès des procureurs des Hauts-de-Seine (Siège de l’ASN), de la Drôme (Site nucléaire du Tricastin) et de l’Ardèche, relayées par la coordination Anti-nucléaire du Sud Est.

Tritium dans l’eau potable :
plus de 6 millions de français concernés. Quelle eau potable en cas d’accident nucléaire grave ?

L’ACRO a publié une carte exclusive de la contamination radioactive de l’eau potable en France métropolitaine. Ces données, compilées par l’ACRO, ont été fournies par le Ministère de la Santé (ARS – SISE Eaux) et représentent la valeur moyenne sur les années 2016-2017.

Pour accéder à la carte : https://www.acro.eu.org/carteeaupotable/index.html#7/47.832/1.670

Vignoble et nucléaire : les atomes de la discorde

Atteinte à l’image de marque d’appellations, crainte d’une catastrophe toujours possible en raison du vieillissement des installations, plainte de la Suisse pour pollution… Le nucléaire, ce vieux compagnon du vignoble, n’est plus un actif intouchable.

L’immense colonne de vapeur d’eau se voit à des kilomètres dans le voisinage. Quel que soit le lieu où l’on se trouve dans les coteaux chinonais, la vue s’attarde sur ce panache de vapeur blanche. Il se confond avec les cumulus, comme si une fabrique de nuages sortie de la tête d’un poète élaborait à la chaîne cirrus et autres cumulonimbus.
Il n’y a pourtant rien de poétique derrière ces rejets de la centrale nucléaire de Chinon, en activité depuis 1963. Certes, les réacteurs actuellement en service datent des années 80 et ne sont pas les plus anciens de France. Certes, la France bénéficie grâce au nucléaire d’une électricité vendue à bon marché, mais les installations vieillissantes du parc français ne sont plus à l’abri d’un accident industriel, comme en 2002, lorsqu’un rejet incontrôlé d’effluents liquides dans la Loire a finalement été reconnu par EDF.

EN QUÊTE D’INDÉPENDANCE ÉNERGÉTIQUE
En cinquante ans, l’image du nucléaire civil en France a été écornée, et pas seulement depuis Tchernobyl ou Fukushima. Née d’une volonté politique d’indépendance énergétique au début des années 50, la production d’électricité nucléaire se paraît alors de toutes les vertus de la modernité. Grâce à elle, les villes allaient être éclairées à moindres frais. Une ère nouvelle allait métamorphoser la France, désormais sans colonies. Comme l’écrit aujourd’hui le service communication d’EDF concernant l’histoire de l’entreprise : “Les Trente Glorieuses sont en marche. C’est une course. Tout le monde veut grandir : collectivités et particuliers… EDF relève le défi”. Pour l’État, le nucléaire est le meilleur outil pour assurer la croissance énergétique de la France. Mais à quel prix ?

Longtemps considéré comme le symbole de la haute technologie française, le nucléaire ne jouit plus de la même aura dans l’Hexagone. Les pressions du gouvernement allemand pour la fermeture de la centrale de Fessenheim et la plainte déposée en mars 2016 par la Suisse, pour pollution des cours d’eau, à l’encontre de la centrale du Bugey, dans l’Ain, accentuent encore le malaise vis-à-vis d’EDF. “Chacun sent bien que nous ne sommes plus à l’abri d’un accident important, comme au Japon”, redoute un vieux vigneron des Côtes du Rhône qui vit depuis des décennies non loin de la centrale de Saint-Alban-du-Rhône.



UNE AUBAINE POUR L’ÉCONOMIE LOCALE

Pourtant l’implantation de ces centrales dans les années 60 et 70 était loin de soulever une opposition farouche dans les vignobles. Car bon gré mal gré, ces deux mondes cohabitent depuis des décennies.
Au début des années 60, Chinon est une zone rurale peu développée, dont la principale richesse est le vin. Jean-Max Manceau, l’ancien président du syndicat viticole de Chinon, se souvient des témoignages de vieux vignerons locaux lors de l’implantation de la centrale sur la commune voisine d’Avoine. “Lors de sa construction, les vignerons n’ont pas été consultés. Ils se sont retrouvés face à une décision de l’État, nous assurant d’une énergie propre et sans danger”, raconte aujourd’hui Jean-Max Manceau basé sur les coteaux de Noiré. “Bon, il est vrai que l’arrivée de nouveaux habitants travaillant pour la centrale d’EDF et les plateformes industrielles créées à proximité auront tout de même permis de redonner vie à la commune et à la région”, poursuit-il.   

Historiquement, la proximité géographique entre vignobles et centrales atomiques s’explique car, aussi incroyable que cela puisse paraître, ils partagent les mêmes besoins de fonctionnement, de logistique et de commercialisation. Depuis l’Antiquité, la plupart des terres à vignes ont été exploitées à proximité de fleuves ou de ports facilitant l’acheminement du vin et sa vente vers les marchés des grandes villes. C’est toujours le cas aujourd’hui.
Les sites de production d’électricité ont eux besoin d’une grande quantité d’eau, pompée dans les fleuves ou dans la mer et destinée au refroidissement des réacteurs atomiques. Mais aussi de voies d’accès afin d’assurer leur approvisionnement en combustible, comme de l’uranium provenant des gisements miniers français et étrangers. En regardant de plus près une carte de France, on constate la juxtaposition des installations nucléaires et des terroirs viticoles. Comme pour le vin, il faut pouvoir produire localement et transporter la production vers des zones à forte concentration humaine sans être au cœur même des grandes cités. Si bien que la carte de France des centrales se confond avec celle des vignobles. Aujourd’hui, sur 19 centrales nucléaires implantées en France, 12 sont situées dans des zones viticoles et produisent près de 55 % de l’électricité nationale…

BLAYE, CHINON, TRICASTIN, BUGEY…

Le programme débute en 1956, sur les bords du Rhône, dans le Gard. Le site nucléaire de Marcoule voit le jour au cœur du vignoble des Côtes du Rhône sur le territoire des communes de Chusclan et Cocolet. Là même où le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) mettra au point des années plus tard la filière nucléaire graphite-gaz. Aujourd’hui encore, la production de tritium (l’un des isotopes de l’hydrogène) y est toujours active. Mais c’est dans les années 70 que la stratégie énergétique du tout nucléaire va modifier le paysage rural de la France. Préemption de milliers d’hectares de friches, de terres cultivables et de forêts, modification de cadastres, nouveaux plans d’occupation des sols… La construction des centrales de Blaye, de Chinon, du Tricastin et du Bugey va modifier l’équilibre et l’image des vignobles voisins.

Sur les bords du Rhône, au nord-est de Lyon, la centrale du Bugey fait son apparition, à une trentaine de kilomètres du vignoble. Loin vers le sud-ouest, en pleine zone marécageuse, sur la rive de l’estuaire de la Gironde, face à l’appellation médocaine de Saint-Estèphe, la centrale du Blayais est mise en service en 1981 et compte quatre réacteurs de 900 mégawatts chacun. Ironie de l’histoire, le vignoble le plus proche à vol d’oiseau (4,6 km) de cette centrale en partie construite par Bouygues est le château Montrose, deuxième cru classé du Médoc en 1855 et devenu depuis 2006 la propriété de Martin et Olivier Bouygues.

VIGNERONS, PÊCHEURS, ÉCOLOGISTES MOBILISÉS
Dès l’annonce de sa construction en 1974, la centrale nucléaire de Blaye cristallise l’opposition des paysans, pêcheurs et écologistes locaux. Une pétition est lancée. Les opposants recueillent 25 000 signatures qu’ils remettent en préfecture de la Gironde, le 26 novembre 1974. Les pêcheurs de l’estuaire, notamment, sont très inquiets de l’impact sur les poissons du réchauffement des eaux reversées dans l’estuaire. Une poignée d’irréductibles agriculteurs, via l’association de protection de la nature dans le Sud-Ouest (Sépanso), et des viticulteurs de l’Entre-deux-Mers concernés par la désignation du couloir de passage des lignes à très haute tension sur leurs exploitations, défileront dans les rues de Bordeaux
Mais rien n’empêchera la mise en service de la centrale nucléaire, en 1981. Une époque bénie pour le nucléaire français. La France voit en effet pousser comme des champignons les hautes cheminées aéro-réfrigérantes (d’une hauteur comprise entre 128 et 170 mètres) sur les rives de la Loire non loin des célèbres châteaux Renaissance, de l’Ain, du Rhin, de la Gironde à portée de tir de la citadelle de Blaye. Toujours à proximité de vignobles emblématiques. 

L’implantation de chaque centrale est le théâtre d’oppositions locales plus ou moins fortes de la part de citoyens écologistes ou de paysans, comme à Blaye. Mais en parcourant les archives des journaux locaux, on s’aperçoit que les vignerons sont souvent absents de ces rassemblements. Ils ne s’opposent que mollement à ces projets de centrale. En effet, l’arrivée d’une centrale nucléaire rime avec la création de nombreux emplois qualifiés. 
Or, les vignerons vendent l’essentiel de leur production au domaine. S’opposer à la construction d’une centrale, cela veut donc dire tourner le dos à une clientèle importante. “Les vignerons de Chinon ont de nombreux clients parmi les employés du site. Nous entretenons de bonnes relations”, reconnaît Jean-Martin Dutour, le président du syndicat viticole de Chinon qui souhaite conserver un dialogue fructueux avec le personnel de la centrale.

LE VIN, FAIRE-VALOIR DU NUCLÉAIRE

Cette proximité géographique entre atomes et vins se traduit également dans le nom des centrales nucléaires. Trente Glorieuses obligent, l’État prend soin de valoriser ces symboles de la haute technologie française. Ces centrales ne peuvent se contenter de porter les noms de villages anonymes. Or, le meilleur moyen de se souvenir de leur nom est de les associer à un site ou un lieu emblématique de la région.
Et quoi de mieux que les vins renommés pour porter haut les couleurs de ce savoir-faire de l’électricité hexagonale. Ainsi, personne ne connaît la centrale d’Avoine. Pourtant, c’est le véritable site de la centrale de Chinon. Qui connaît la centrale de Braud-et-Saint-Louis ? Il s’agit en réalité de celle de Blaye. Même chose pour Saint-Vulbas qui abrite la centrale du Bugey, dont le vignoble est pourtant situé à plus de trente kilomètres des hautes cheminées des réacteurs. Jadis acceptée, cette homonymie ne passe plus aujourd’hui dans les vignobles concernés.
Les syndicats viticoles multiplient depuis quelques années les recours pour demander aux centrales de changer de nom. L’AOC Chinon l’a demandé en 2011, tout comme Bugey en 2014 (lire encadré, page 50). Mais ces demandes sont restées lettres mortes. À chaque fois, EDF ou l’État, inflexibles, ont refusé le changement de nom.

TCHERNOBYL EST DANS TOUS LES ESPRITS
À tel point que le seul changement de nom officiellement enregistré ne concerne pas une centrale nucléaire, mais une appellation. Les vignerons des Coteaux du Tricastin, voisins de la centrale du même nom, ont préféré rebaptiser leur AOC Grignan-les-Adhémar. Il faut dire qu’ils supportaient de moins en moins la mauvaise réputation de la centrale, notamment à cause des incidents à répétition. En juillet 2008, lors du nettoyage d’une cuve par la Socatri, une filiale d’Areva, une solution uranifère importante s’est répandue sur le site et dans les rivières avoisinantes, créant un vent de panique dans le voisinage.
Tout le monde a naturellement pensé à Tchernobyl. “Ces incidents nous ont porté un important préjudice commercial, le nom de Tricastin a vu son image altérée, se rappelle Henri Bour, le président du syndicat vigneron. Tandis qu’EDF refusait de nous entendre, l’Inao a pris très au sérieux notre volonté de sortir de cette impasse.” Le 17 novembre 2010, l’AOC a donc pris le nom de Grignan-les-Adhémar et en a profité pour réviser le cahier des charges de l’appellation. “Les vignerons se sont fixé des objectifs plus ambitieux : le désherbage total des vignes est désormais interdit afin de permettre un meilleur travail du sol. Aujourd’hui, le quart des caves coopératives présentes dans l’AOP Grignan-les-Adhémar est certifié en agriculture biologique”, souligne Henri Bour comme pour faire un pied de nez au nucléaire voisin.

DÉTONATIONS ET DÉGAZAGE À TRICASTIN

Pour autant, même rebaptisé, le vignoble n’est pas à l’abri d’une nouvelle alerte. Le soir du réveillon du 31 décembre 2014, un réacteur de la centrale du Tricastin s’est mis en arrêt d’urgence. Un dégazage a été accompagné d’un immense panache de fumée suivi de bruits assourdissants et de détonations entendues jusqu’à 12 km à la ronde. Dans la foulée, l’organisation écologiste Next-Up a mesuré des rejets de radioactivité dans l’air, que EDF a réfuté. Deux mois après, EDF a néanmoins reconnu publiquement des rejets radioactifs de tritium dans la nature.
Cette multiplication d’incidents ou de rejets non contrôlés pose la question fondamentale de la surveillance spécifique des vignobles situés à proximité des centrales nucléaires. Existe-t-il un protocole ? Malgré nos demandes répétées d’interviews auprès du Bureau information des publics de l’Agence de sécurité atomique, nous n’avons obtenu aucune réponse, l’agence se contentant de nous renvoyer vers son site internet.

La difficulté d’accéder aux informations ne concerne pas que les centrales nucléaires. Difficile, en effet, de se renseigner sur les risques de contamination des sites de stockage de déchets nucléaires. Les associations écologistes peuvent en témoigner. Ce sont elles qui ont dénoncé, dès 1992, les risques de contamination des terres ou des nappes phréatiques depuis la mise en service du Centre de stockage de déchets nucléaires de Soulaines-Dhuys, près de Troyes. Les viticulteurs de la Côte des Bars, eux, ne s’en étaient pas souciés. Pourtant, le site de stockage est situé à moins de 15 km des vignes. Depuis, les vignerons champenois s’efforcent d’éviter la langue de bois. 
Béatrice Richard, viticultrice à Essoyes et présidente du Syndicat général des vignerons de la Côte des Bars, déclare ainsi, le 8 avril 2013, dans L’Est Éclair que “le champagne de l’Aube n’est pas radioactif. Il n’y a aucun problème de dépassement de rejet ou de dangerosité”. La vigneronne n’est pas devenue une pro-nucléaire. En réalité, elle s’appuie sur les études menées par un laboratoire indépendant financé par le Comité interprofessionnel des vins de Champagne (CIVC) qui réalise des mesures très précises des rejets dans l’eau, dans l’air et dans le sol du vignoble champenois autour du fameux site de stockage. 


LA CHAMPAGNE CONTRE LE STOCKAGE NUCLÉAIRE

La question du stockage des déchets est en effet suivie de très près par le CIVC. Les vignerons ne veulent surtout pas voir le nucléaire menacer l’image de leur vin (près de 4,75 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2015). En 2011, une enquête publique a été exigée par le CIVC lors de l’annonce de la création d’un site de stockage de déchets radioactifs à Morvilliers, toujours dans l’Aube. Le CIVC a clairement soulevé le problème de la contamination possible du vignoble situé à seulement 4 km de l’emplacement du site retenu.
Le débat s’est poursuivi en 2015 avec le projet d’agrandissement de l’ancien centre d’étude du CEA de Pontfaverger-Moronvilliers, actuellement fermé, au pied de la Montagne de Reims, ce parc naturel régional qui jouxte à l’est la Cité des sacres. Le site devrait permettre de stocker des déchets radioactifs, ce qui inquiète de CIVC. Mais le vignoble champenois fera-t-il fléchir EDF ? À l’heure où l’État envisage de prolonger la vie des centrales, de dix, voire de vingt ans supplémentaires, ce débat sur la cohabitation du vin et de l’atome ne fait sans doute que commencer.

Éric Angelot, président du Syndicat des vins du Bugey : “Nous voulons corriger une injustice”

La RVF : Vous avez demandé à EDF de rebaptiser la centrale du Bugey en centrale de Saint-Vulbas, pourquoi ?
Éric Angelot : Parce que depuis 1958, année d’attribution de l’AOVDQS pour nos vins, le nom du Bugey est associé au vignoble. Il est donc plus simple que la centrale située sur la commune de Saint-Vulbas change de nom. Et non pas notre appellation, comme ce fut le cas pour l’AOC Tricastin.

La RVF : Vous avez donc décidé d’interroger le gouvernement sur ce sujet. Où en est votre dossier ? 
Éric Angelot : Oui, le 29 avril 2014, Étienne Blanc, député de l’Ain, a interpellé le gouvernement sur la possibilité de faire changer la dénomination de la centrale de Saint-Vulbas afin de ne plus créer de confusion entre les deux activités, surtout depuis la reconnaissance en 2009 des vins du Bugey en AOC. 

La RVF : Avez-vous reçu une réponse favorable ?
Éric Angelot : Hélas ! non. Le 24 février 2015, le ministre de l’Agriculture nous répondait en arguant d’une coexistence de 40 ans avec la centrale. Il considérait que cela n’avait pas créé d’obstacle au développement des vins du Bugey. Ce qui est totalement inexact. Nous  allons donc poursuivre nos actions pour corriger cette injustice.

> Cet article est issu de La Revue du vin de France N°602Abonnez-vous pour découvrir nos dossiers plusieurs mois avant leur mise en ligne.


Nous attaquons chaque fois que nécessaire les industriels du nucléaire, pollueurs et menteurs, afin de lutter contre l’impunité dont ils font l’objet et faire barrage à leurs grands projets inutiles et dangereux. Et nous obtenons des résultats ! Cette action nous demande évidemment d’engager des moyens humains et financiers. Parce que nous souhaitons pouvoir continuer à mener cette guérilla juridique, nous avons besoin de votre soutien : https://www.sortirdunucleaire.org/Sou…