Reconnaissance faciale : les polices de l’UE pourraient bientôt partager leurs données

L’Union européenne envisage d’étendre la coopération policière entre ses États aux images de reconnaissance des visages, selon un document confidentiel révélé par The Intercept.

Le visage d’un fugitif capté par une caméra de vidéosurveillance en France bientôt mis à la disposition de la police espagnole ou allemande ? C’est la piste envisagée par les institutions européennes qui pourraient étendre la coopération policière entre les 27 États membres.

Ces documents en fuite confirment que l’Union européenne fait face à un profond dilemme quant à la règlementation de la reconnaissance faciale. En janvier 2020, une autre fuite révélait que la Commission européenne envisageait de bannir cette technologie pendant 5 ans en attendant de définir une législation adéquate.

L’Europe vient à peine d’ouvrir le débat sur la reconnaissance faciale de masse — qui réveille l’angoisse d’un « Big Brother » espionnant chacun des mouvements des citoyens  — que des polices européennes auraient déjà pris les devants sur ce terrain. Le média The Intercept a mis la main sur un document confidentiel qui révèle comment dix polices nationales de l’Union européenne militeraient pour l’accès à une base de données commune de reconnaissance faciale pour chaque état membre — sans préciser les pays concernés. The Intercept indique qu’un rapport rédigé sous la direction de l’Autriche a circulé à l’automne dernier pour travailler sur l’introduction d’une base de ce type dans l’actuel dispositif législatif européen.

La politique de l’Union européenne en matière de reconnaissance faciale, pour l’heure évasive, tend à se concrétiser. Le rapport co-rédigé par les forces de polices de dix Etats membres, et récupéré par le média The Intercept, appelle à interconnecter les bases de données de reconnaissance faciale des vingt-sept Etats membres de l’UE. 

Le rapport en question, obtenu de la part d’un responsable européen, a été remis à plusieurs confrères européens et nationaux en novembre 2019. Il invite par ailleurs à l’interconnexion des bases européennes avec des bases américaines. L’ensemble de ces bases seraient vouées à être utilisées par les forces de police, de façon unifiée et pour faciliter leurs enquêtes.

La proposition s’inscrit dans le cadre de discussions entamées dès 2018, sur l’extension du Traité de Prüm. Ce dernier, qui date de 2005, constitue le socle de coopération policière et judiciaire en matière pénale. Il permet l’échange de données génétiques, d’empreintes digitales voire de plaques d’immatriculation et de données à caractère personnel. Les données de reconnaissance faciale viendraient grandement enrichir ce dispositif existant. 

‘La possibilité d’identifier presque n’importe qui, n’importe où’

Le rapport autrichien considérerait la reconnaissance faciale comme un outil biométrique « très approprié » pour l’identification de suspects inconnus et suggère que les bases de données soient créées et reliées « aussi rapidement que possible ». »Leur logique est la suivante : lorsque je fais face un crime grave et que je veux comparer la photo de quelqu’un avec une base de données, pourquoi ne pas l’avoir ? » s’interroge dans l’article Neema Singh Guliani, conseillère législative à l’Union américaine des libertés civiles, avant de pointer du doigt les conséquences pour la vie privée. « Une fois que vous avez l’accès, vous avez finalement la possibilité d’identifier presque n’importe qui, n’importe où ».

Malgré toutes ces précautions et ce contexte, les travaux seraient bien engagés. Une étude aurait été commandée au géant du conseil Deloitte sur les modifications possibles du système Prüm, dont une partie porte sur la technologie de reconnaissance faciale pour 700 000 euros, selon The Intercept. « La Commission européenne aurait également versé 500 000 euros à un consortium d’agences publiques dirigé par l’Institut estonien des sciences médico-légales pour ‘dresser la carte de la situation actuelle de la reconnaissance faciale dans les enquêtes criminelles dans tous les États membres de l’UE' », selon The Intercept, dans le but d’aller « vers un éventuel échange de données faciales », relaie le site, citant une présentation du projet envoyée aux représentants nationaux à Bruxelles en novembre 2019. 


L’article 4 (14) du RGPD interdit à l’heure actuelle le traitement des données biométriques à des fins d’identification d’individus à moins que la sécurité nationale ou l’intérêt public soient en jeu. De plus, selon l’article 6, les données personnelles d’un individu ne peuvent être traitées sans son consentement explicite.

Le RGPD n’empêche pas pour autant les États membres d’envisager le déploiement de systèmes de reconnaissance faciale sur leurs territoires. La France prévoit d’autoriser l’intégration de technologies de reconnaissance faciale aux systèmes de surveillance vidéo, et l’Allemagne compte déployer de tels systèmes dans 134 gares et 14 aéroports.


Des échanges bilatéraux qui existent déjà

La coopération transfrontalière en matière de sécurité ne date pas d’hier. Depuis 2005, existe le traité de Prüm, signé par l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, la France, le Luxembourg, et les Pays-Bas. Ayant pour objet la lutte contre le terrorisme, le crime organisé, et l’immigration illégale, le traité en question permet aux pays mentionnés d’échanger des informations comme l’ADN, les empreintes digitales, et l’immatriculation des véhicules. Ce type d’échange avait fait parler de lui à l’époque, car l’accord permet une consultation automatique de ces fichiers par les États membres.

L’UE serait sur le point d’interdire la reconnaissance faciale pendant plusieurs années

La Commission européenne souhaite définir des règles dans l’ensemble de l’Union concernant l’utilisation de cette technologie très controversée. 

Par Mathilde Rochefort  – Publié le 17 janvier 2020

La Commission européenne serait sur le point de bannir l’usage de la reconnaissance faciale dans les lieux publics sur une durée de trois à cinq ans. Craignant les déviances de cette technologie, elle préfère tout mettre en œuvre pour la réguler et la contrôler avant de la déployer à grande échelle.

Une technologie en plein boom… mais pas toujours fiable

On ne présente plus la reconnaissance faciale, une technologie en plein boom. Largement utilisée dans certains pays comme la Chine, qui prévoit même de construire une super-caméra pour la perfectionner, elle soulève toutefois des questions éthiques et peut empiéter sur la vie privée des citoyens.

L’utilisation de la reconnaissance faciale évolue certes de manière fulgurante, notamment en Europe, mais elle n’est pour le moment pas fiable à 100 %. Aux États-Unis par exemple, une étude a révélé qu’elle identifiait beaucoup moins efficacement les personnes de couleur ou d’origines asiatiques, tandis que des chercheurs sont parvenus à la duper en utilisant de simples masques 3D. Par conséquent, l’Europe serait en train de réfléchir à une manière d’utiliser les bienfaits de ce système tout en laissant de côté ses dérives.

Bâtir un modèle européen

Le site Euractiv est parvenu à se procurer un extrait de 18 pages d’un livre blanc sur l’usage de l’intelligence artificielle, qui devrait paraître dans son intégralité au mois de février. On y découvre notamment que l’Union européenne envisage d’interdire l’usage de la reconnaissance faciale dans les lieux publics pour une durée de trois à cinq ans. Cette réglementation a pour but de mieux réguler son utilisation et d’établir “une méthodologie solide pour évaluer les impacts de cette technologie et d’éventuelles mesures de gestion des risques pourrait être identifiée et développée”.

En effet, l’UE souhaite protéger la liberté de ses citoyens et leur garantir “de ne pas faire l’objet d’une décision fondée uniquement sur un traitement automatisé, y compris le profilage”. Afin de réglementer le déploiement de la reconnaissance faciale, l’UE pourrait demander aux développeurs de se plier à des codes éthiques lorsqu’ils conçoivent les algorithmes, mais également mettre en place de nouvelles lois à respecter pour les organismes publics et privés qui s’en servent.

Au mois de novembre dernier, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) rappelait à quel point il était important de “bâtir un véritable modèle européen face aux usages parfois débridés ou déraisonnables de la reconnaissance faciale à travers le monde”.

Respecter l’humain

Interrogé par The Guardian, un porte-parole de la Commission européenne a souligné que l’Europe devait se servir des bénéfices de l’intelligence artificielle dans de nombreux domaines, tels que l’agriculture ou encore le domaine de la santé, tout en respectant la vie privée des habitants. “Pour maximiser les avantages et relever les défis de l’intelligence artificielle, l’Europe doit agir comme une seule entité et définir sa propre voie, une voie humaine. La technologie doit servir un but et les gens. La confiance et la sécurité des citoyens de l’UE seront donc au cœur de la stratégie de l’UE”, a-t-il expliqué.

Si elle est appliquée, cette interdiction freinerait certains pays dans leur utilisation de la reconnaissance faciale. C’est notamment le cas de l’Allemagne, qui avait prévu de déployer prochainement la technologie dans 134 gares et 14 aéroports.

Comments are closed, but trackbacks and pingbacks are open.