Vandana Shiva, lutte contre les OGM et s’attaque à Mark Zuckerberg et Bill Gates

Mais qui est-elle, cette égérie indienne des altermondialistes occidentaux, précurseuse des écoféministes, cheffe de file incontournable des luttes contre la brevetabilité du vivant et les OGM ? 

Pour la sortie française de son essai 1 % : “Reprendre le pouvoir face à la toute-puissance des riches“, la dame au bindi est venue chez nous. Coécrit avec son fils, l’ouvrage cible les multinationales et notamment les milliardaires Bill Gates (Microsoft), Mark Zuckerberg (Facebook), Jeff Bezos (Amazon) et Warren Buffet. Sous la plume de la défenseuse de la diversité, ces géants de l’information, de la finance et des biotechnologies deviennent «les nouveaux barons pillards». Des néocolons qui privatisent les biens communs et font le lit d’un «apartheid économique» et écologique mondialisé.

Un petit virus a «confiné» le monde, il a paralysé l’économie mondiale, il a ôté la vie de milliers de personnes et les moyens de subsistance de millions d’autres.

Que nous dit le coronavirus sur nous-mêmes en tant qu’espèce humaine, sur nos paradigmes économiques et technologiques dominants, et sur la Terre ?

Par Vandana Shiva, écologiste et féministe indienne — 29 avril 2020 

EXTRAITS

Tout d’abord, cette période de confinement nous rappelle que la Terre est un lieu de vie pour toutes les espèces, et lorsque nous prenons du recul et rendons les rues «sans voitures», la pollution de l’air est réduite.

La deuxième leçon est que cette pandémie n’est pas une «catastrophe naturelle», tout comme les phénomènes climatiques ne sont pas des «catastrophes naturelles». L’apparition de maladies épidémiques, comme le changement climatique, sont «anthropogéniques» – causées par les activités humaines.

La science nous apprend qu’en envahissant les écosystèmes forestiers, en détruisant les habitats des espèces et en manipulant la faune et la flore pour en tirer profit, nous créons les conditions propices à de nouvelles maladies. Au cours des 50 dernières années, 300 nouveaux agents pathogènes ont fait leur apparition. Il est bien connu qu’environ 70% des agents pathogènes pour l’homme, dont le VIH, le virus Ebola, la grippe, le Mers et le Sras, apparaissent lorsque les écosystèmes forestiers sont envahis et que les virus passent des animaux aux humains. Lorsque les animaux sont à l’étroit dans les fermes industrielles pour maximiser les profits, de nouvelles maladies comme la grippe porcine et aviaire se propagent.

L’avidité de l’homme, sans respect pour les droits des autres espèces et de nos semblables, est à l’origine de cette pandémie et des pandémies futures. Une économie mondiale fondée sur l’illusion d’une croissance illimitée se traduit par un appétit insatiable des ressources de la planète, ce qui se traduit par une constante violation des limites de la planète, de son écosystème et de ses espèces.

Solutions

L’urgence sanitaire et le confinement ont montré que lorsqu’il y a une volonté politique, nous pouvons démondialiser. Rendons cette relocalisation durable et adaptons la production conformément à la philosophie de Gandhi, à savoir le Swadeshi, c’est-à-dire fabriqué localement. 

Comme notre expérience à Navdanya nous l’a appris pendant plus de trois décennies, les systèmes alimentaires biologiques locaux et biodiversifiés fournissent une alimentation saine à tous tout en régénérant le sol, l’eau et la biodiversité.

La richesse de la biodiversité de nos forêts, nos fermes, notre alimentation, notre microbiome intestinal relie la planète, ses diverses espèces, y compris les humains, par la santé, plutôt que par la maladie.

Un petit virus peut nous aider à faire un pas en avant afin de créer une civilisation planétaire et écologique basée sur l’harmonie avec la nature.

Ou bien nous pouvons continuer à vivre dans l’illusion d’une maîtrise de la nature et rapidement nous diriger vers la prochaine pandémie… et enfin vers l’extinction.

La Terre continuera d’évoluer avec ou sans nous.

Vandana Shiva (Article complet Libération 29/04/2020)

Elle est née au pied de l’Himalaya en 1952, d’une mère réfugiée pakistanaise devenue fermière et d’un père ancien de l’armée britannique reconverti en garde forestier.

Elle aurait pu devenir prof ou physicienne nucléaire, avoir une vie calme et de réflexion. Mais «je ne suis pas assise avec mon petit morceau de papier et mon petit stylo en train de résoudre des équations quantiques», s’amuse-t-elle.

«Dr. Vandana Shiva», comme elle se présente sur Twitter, est titulaire d’un master en physique des particules et d’un doctorat portant sur les fondations de la physique quantique. La précision est importante car plusieurs de ses détracteurs lui reprochent d’usurper le titre de«scientifique». Un temps, ses diplômes furent même effacés de l’encyclopédie en ligne Wikipédia et elle est convaincue que ceux à qui elle s’attaque sans relâche «adoreraient» réécrire totalement sa biographie.

«Pour moi, je suis vraiment en train de distiller la voix de la Terre, la voix des espèces, la voix de nos paysans, la voix des femmes que je connais»

Vandana Shiva :
“Nous sommes victimes du profit, de la cupidité et de l’extractivisme”

Discours du 01 mai 2020

“Nous assistons à trois pandémies qui se produisent simultanément. La première est la pandémie de coronavirus. La deuxième est la pandémie de faim. La troisième est la pandémie de perte des moyens de subsistance. Le coronavirus a infecté 3,19 millions de personnes jusqu’à présent et en a tué 228 000.”

Le Programme alimentaire mondial a averti la communauté internationale de l’imminence d’une “pandémie de faim”, qui pourrait toucher un quart de milliard de personnes dont la vie et les moyens de subsistance seront immédiatement menacés. Selon le Programme alimentaire mondial, plus d’un million de personnes sont menacées de malnutrition et 300 000 d’entre elles pourraient mourir de faim chaque jour pendant les trois prochains mois.

Il existe également une “pandémie” liée à la perte des moyens de subsistance. Selon l’OIT, “en raison de la crise économique créée par la pandémie, près de 1,6 milliard de travailleurs de l’économie informelle (qui sont les plus vulnérables sur le marché du travail), sur un total mondial de deux milliards et une main-d’œuvre mondiale de 3,3 milliards, ont subi des dommages massifs dans leur capacité à gagner leur vie. Cela est dû aux différentes mesures de verrouillage qui affectent leurs activités et/ou au fait qu’ils travaillent dans les secteurs les plus touchés”.

Comme l’a souligné Guy Ryder , directeur général de l’OIT, “pour des millions de travailleurs, ne pas avoir de revenu signifie ne pas avoir de nourriture, ne pas avoir de sécurité et ne pas avoir d’avenir. […] Alors que la pandémie et la crise de l’emploi évoluent, la nécessité de protéger les plus vulnérables devient encore plus urgente”.

Ces trois pandémies trouvent leur origine dans un modèle économique fondé sur le profit, la cupidité et l’extraction, qui a accéléré la destruction écologique, aggravé la perte des moyens de subsistance, accru les inégalités économiques et polarisé et divisé la société entre 1 % et 99 %. En ce 1er mai, en ces temps de crise du coronavirus, nous imaginons et créons de nouvelles économies basées sur la démocratie de la Terre et la démocratie économique, qui protègent la Terre et l’humanité. Nous faisons face à ces trois crises grâce à la participation démocratique et à la solidarité. Par la compassion, nous veillons à ce que personne ne souffre de la faim, par la solidarité et la démocratie, nous participons à l’élaboration des économies futures afin de garantir que personne ne soit sans travail, que personne ne soit sans voix.

Les multiples crises auxquelles nous sommes confrontés sont un signal d’alarme : l’économie gérée par le 1% ne fonctionne pas pour l’homme et la nature. Le 1% définit 99% de la population mondiale comme des “personnes inutiles”. Leur idée de l’avenir est basée sur une agriculture numérique sans agriculteurs, des usines automatisées et une production sans travailleurs. Nous avons l’obligation de créer des économies qui ne détruisent pas la nature, qui ne détruisent pas les moyens de subsistance et les droits des travailleurs ; des économies qui ne détruisent pas notre santé en propageant des maladies et des pandémies, qui ne causent pas la perte de moyens de subsistance, de liberté, de dignité et du droit au travail, qui n’aggravent pas le problème de la faim dans le monde.

Nous créons des économies “zéro faim” en protégeant les moyens de subsistance des petits agriculteurs qui fournissent 80 % de la nourriture que nous consommons. Nous créons des économies circulaires et de solidarité locale qui soutiennent les vendeurs de rue et les petits détaillants, qui façonnent les communautés tout en réduisant l’empreinte écologique. Dans la prochaine phase post-Covid 19, nous régénérerons l’économie avec la conscience que toutes les vies sont égales, que nous faisons partie de la Terre, que nous sommes des êtres écologiques, biologiques, que le travail est notre droit et est au centre de la vie humaine. Nous nous souvenons également que prendre soin de la Terre et des autres est le travail le plus important. Il n’y a pas de personnes jetables ou inutiles. Nous sommes une seule humanité sur une seule planète. L’autonomie, la cohérence, la dignité, le travail, la liberté, la démocratie sont notre droit de naissance”.

Le 22 avril, Michael Moore a mis en ligne sur sa chaîne Youtube le film Planet of the Humans, réalisé par Jeff Gibbs. Une enquête sur les énergies vertes, pas aussi efficace que ce que l’on escomptait.

Planet of the Humans avait tout pour attirer notre attention. Mis en ligne par les soins de Michael Moore (qui en est le producteur exécutif) sur sa chaîne Youtube le 22 avril – soit le jour de la Terre -, il promettait un de ces coups d’éclat dont le réalisateur de Fahrenheit 11/9 et Bowling for Columbine a le secret, sur un sujet éminemment d’actualité : la catastrophe climatique. Nos espérances ne sont cependant qu’à moitié satisfaites.

Greenwashing et énergies vertes

Ce film documentaire est narré à la première personne par son réalisateur, Jeff Gibbs (collaborateur de Moore sur de nombreux films), qui apparaît de temps en temps à l’écran. Militant écologiste de longue date, celui-ci raconte son cheminement intellectuel jusqu’à une prise de conscience bouleversante pour lui : les énergies vertes, devenues l’Alpha et l’Omega des mouvements écologistes américains, sont une arnaque. Eoliennes, énergie solaire et autres “green tech” ne permettent en fait pas de s’affranchir des énergies fossiles, et donc de cesser de produire des émissions de gaz à effet de serre. Pire : elles servent à de grosses entreprises capitalistes (comme General Motors, sujet du premier film de Moore, Roger et moi, en 1989) de se racheter une image “verte”, alors qu’elles ne font que poursuivre un intérêt financier à court terme.