75% des exportations mondiales sont le fait de pays qui ne luttent pas contre la corruption. La lutte active contre ce fléau est en recul selon Transparency International. La France progresse, mais les démêlées de la Chancellerie et du Parquet National Financier montrent la fragilité de ces progrès.
Avec LA BULLE ÉCONOMIQUE par Marie Viennot – 17/10/2020
L’Inde contre la corruption… un refrain pour une chanson, mais pas un leitmotiv pour ce pays, surtout quand il s’agit de contrer la corruption internationale, celle qui vient des entreprises étrangères cherchant à obtenir un contrat ou une concession.
Entre 2016 et 2019, l’Inde n’a lancé aucune investigation sur la corruption étrangère, et personne n’y a donc été condamné. Pourtant l’Inde, pèse 2% des exportations mondiales.
La Chine pèse plus de 10% des exportations, et elle non plus n’a mené aucune investigation à ce sujet. Comme l’Inde, Singapour et Hong Kong, elle n’a pas adhéré aux conventions internationales contre la corruption, ce qui n’a pas l’air de déranger les pays qui commercent avec elle et l’ont fait entrer dans l’Organisation Mondiale du Commerce il y a 20 ans.
Les fonctionnaires chinois se font-ils soudoyer pour attribuer des marchés, les entreprises chinoises proposent-elles des dessous de table pour en gagner ? C’est l’opacité totale, et cela n’intéresse pas Pékin, à lire le rapport que vient de publier l’ONG Transparency International.
Pourtant, il y aurait de quoi faire. Le rapport cite quelques cas de pots de vins versés par des entreprises chinoises à des officiels Guinéens, Ougandais pour des concessions minières et pétrolières.
Que cette corruption existe ne fait aucun doute, mais rares sont les pays à la traquer, enquêter et la condamner. La corruption concerne les trois quart des échanges commerciaux selon Transparency.
Pire encore : les pays qui luttent activement contre la corruption sont de moins en moins nombreux, un tiers de moins qu’il y a deux ans. Ils sont 4 : les Etats Unis, La Grande Bretagne, Israël et la Suisse.
Les Américains sont ceux qui mènent le plus d’enquêtes, poursuivent et condamnent, (Rolls Royce, Ericsson ou Alstom en ont fait les frais), mais ces vélléités anti-corruption ne sont pas dénuées d’arrières pensées économiques.
La France progresse modérément…
Les procédures américaines ont néanmoins contribué à faire avancer la lutte contre la corruption. La France progresse d’ailleurs dans le classement fait par Transparency, et fait partie du groupe de pays, avec l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, qui mettent MODÉRÉMENT, en œuvre les préconisations faites par l’OCDE pour lutter contre la corruption d’agents étrangers.
MODÉRÉMENT, cela veut dire que l’arsenal législatif existe, ainsi que les institutions chargées d’enquêter sur la criminalité économique et financière, mais qu’il y a encore peu de poursuite en cours, au vu du poids de ces pays dans la mondialisation, et donc de leur exposition au risque de corruption.
A lire / écouter : Corruption partout, justice (presque) nul part
Au cours de la période 2016-2019, la France a ouvert 8 enquêtes, 7 affaires, et clôturées neuf affaires sanctionnées, recense Transparency. Avant, la création de l’Agence Française de lutte contre la Corruption en 2016, et du Parquet National Financier en 2014, la France n’enquêtait quasiment pas sur le délit de corruption, et il n’y avait eu AUCUNE condamnation, au point que l’OCDE avait dû le déplorer publiquement en 2012.
Depuis des enquêtes il y a, et aussi des condamnations. En janvier dernier AIRBUS a accepté de payer 2 milliards 300 millions à la France pour avoir « facilité » ses ventes notamment en Chine, Egypte, et Russie moyennant des dessous de table.
C’est un mieux indéniable, mais il reste du chemin à faire.
L’association ANTICOR bataille depuis 3 ans pour qu’une enquête s’ouvre en France contre Alstom. L’entreprise a plaidé coupable pour des faits de corruption aux USA en 2014, elle a versé 772 millions de dollars mais aucune enquête en France encore à ce jour, selon ANTICOR, sur les protagonistes de cette affaire, les dirigeants d’ALSTOM notamment. Qui ne cherche pas, ne trouve pas.
Autre talon d’Achille de la lutte contre la corruption française, les magistrats chargés de ces enquêtes ultra sensibles, sont sous la tutelle du ministère de la Justice. Transparency relève à nouveau dans son rapport ce manque d’indépendance comme un problème préoccupant car il y a toujours des soupçons d’ingérence politique dans les affaires judiciaires.
… et les progrès sont fragiles
Or, dernièrement, le ministère de la Justice a mis plusieurs fois la pression sur les magistrats spécialisés dans la corruption. Le 5 juillet 2019, la ministre de la Justice Nicole Belloubet a saisi l’inspection générale de la justice d’une demande d’enquête administrative concernant Eric Alt, magistrat, par ailleurs vice-président d’Anticor. Enquête classée sans suite un an plus tard.
Ces pressions se sont aggravées depuis qu’Eric Dupont Moretti est devenu Garde des Sceaux, et touchent maintenant directement le Parquet National Financier, puis tout récemment selon Mediapart un magistrat chargé de la lutte contre la corruption.
Ces pressions ne sont pas liées à des affaires de corruption internationale, et il y a en outre un conflit d’intérêt, mais elles illustrent les effets délétères pour la démocratie de ce lien hiérarchique entre le ministère et les magistrats. François Molens procureur général près de la Cour de Cassation s’en alarme dans une tribune au Monde, et au micro de RTL.
C’est pas la magistrature qui est en danger, c’est l’indépendance de la justice, c’est tout à fait différent. François Molins, procureur général près la Cour de cassation, le 20 septembre 2020 sur RTL.
François Molens
Manque d’indépendance, manque d’effectifs aussi (la Cour des comptes a même alerté le ministère de l’Interieur à ce sujet il y a un an), la lutte contre la corruption n’a toujours pas, ni en France ni ailleurs, les moyens de ses ambitions.
Qui veut lutter contre la corruption internationale ?
Contrairement à la lutte contre l’optimisation fiscale, qui intéresse les Etats, car ils en espèrent des rentrées en plus dans leurs caisses publiques, la lutte contre la corruption a beau faire l’objet d’une convention signées depuis 1997 par 44 Etats sous l’égide de l’OCDE, les progrès sont minimes.
https://www.franceculture.fr/emissions/cultures-monde/corruption-la-grande-tentation
La coopération internationale, essentielle en la matière, progresse reconnait Transparency, mais elle fait face à des obstacles qui semblent insurmontables : cadres juridiques insuffisants ou incompatibles, expertise limitée, manque de coordination et long retards, avancées limitées pour identifier les bénéficiaires réels de structures opaques comme les trusts.
Même quand elle s’affiche comme une priorité, la lutte contre la corruption n’est pas toujours sincère.
En Russie et en Chine, elle est utilisée pour éliminer les adversaires politiques, aux Etats-Unis, c’est pour déstabiliser les concurrents économiques, en général, c’est le cynisme qui domine. Quel pays voudrait déstabiliser ses champions économiques quand ils remportent un marché ?
Eric Alt, vice président d’Anticor.
Les victimes sont légions, mais rarement indemnisées. Pas de coupables condamnés, pas de réparation. Pas de réparation, pas de punition, pas de crainte à avoir pour les délinquants en cols blanc, et toujours plus de corruption.
88 milliards de dollars de capitaux illicites sortent d’Afrique chaque année selon un récent rapport de l’ONU, deux fois plus que le montant de l’aide publique au développement or cette fuite des capitaux est majoritairement le fait d’opérations commerciales.
Plus que de nouveaux prêts, ou de moratoire sur le paiement des intérêts de leur dette, comme viennent de l’accorder les Ministres des finances du G20 pour les pays les moins avancés, c’est de justice dont ont besoin ces pays. Encore plus aujourd’hui, la corruption ayant su profiter de la pandémie et des fonds débloqués en urgence pour se déployer plus encore.
Marie Viennot
La vidéo de la chanson contre la corruption qu’on entend au début de la bulle économique.
Et celle qu’on entend à la fin..
Covid-19 : l’ONU appelle à combattre la corruption qui prend de nouvelles formes
La corruption est encore plus préjudiciable dans le contexte de la Covid-19 et risque de nous éloigner encore plus des objectifs de développement durable (ODD), a alerté, jeudi, le chef de l’ONU.
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