Le gouvernement s’incline devant le lobby agroalimentaire

Le gouvernement opte pour la malbouffe !!! Les industriels de l’alimentation se félicitent du nouveau « programme alimentation et nutrition » du gouvernement, qui a retoqué les mesures les plus offensives. Selon un document obtenu par Mediapart, ils s’opposent au lancement d’une étude sur les risques pour la santé des aliments ultra-transformés.

6 JUIN 2019 PAR KARL LASKE

L’Association nationale des industries alimentaires (Ania) réclame ouvertement l’omerta. Selon une synthèse datée du 19 avril dernier, rédigée en réaction au programme établi par le comité interministériel pour la santé, le lobby des producteurs de denrées trop grasses, trop sucrées et trop salées s’oppose, sous le couvert de diverses « réserves »« au lancement d’une étude sur les liens entre la consommation “d’aliments ultra-transformés” et la santé », et ce « dans la mesure où il n’existe pas aujourd’hui de consensus scientifique ni de fondement réglementaire sur cette catégorie »

Ce courrier, qui résume les remarques des industriels du secteur sur le projet de politique nationale de l’alimentation et de la nutrition, a été transmis au Conseil national de l’alimentation (CNA) – l’instance consultative présidée par l’ancien ministre délégué à l’agroalimentaire Guillaume Garot –, qui s’est réuni mercredi à huis clos pour faire la synthèse des contributions rassemblées au sujet du programme gouvernemental.

Pour l’essentiel, le lobby peut se frotter les mains : il ne reste plus rien ou presque des projets offensifs imaginés par le ministère de la santé pour lutter efficacement contre l’impact sanitaire de la malbouffe. Mais à ses yeux, il persiste des zones grises. 

Le premier ministre Édouard Philippe et le ministre de l'agriculture Didier Guillaume au Salon de l'agriculture. © Ministère de l'agriculture

Le premier ministre Édouard Philippe et le ministre de l’agriculture Didier Guillaume au Salon de l’agriculture. © Ministère de l’agriculture

L’Ania se déclare « particulièrement critique » sur la prise en compte par les autorités de santé de cette classification de l’ultra-transformation des aliments. En février 2018, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP), une instance d’expertise indépendante chargée par les pouvoirs publics d’évaluer les stratégies nationales de santé, a recommandé de réduire de 20 % la consommation de ces produits ultra-transformés.

Et en janvier dernier, l’agence Santé publique France, placée sous l’autorité du ministère de la santé, a relayé cette recommandation en précisant « qu’en plus d’être gras, sucrés ou salés »,les produits dont la consommation devrait être limitée sont aussi souvent « ultra-transformés »« c’est-à-dire qu’ils contiennent de nombreux additifs (colorants, émulsifiants, conservateurs, exhausteurs de goût, arômes…) ».

« Ces additifs figurent sur la liste d’ingrédients souvent avec la lettre E,a précisé l’agence. On n’en connaît pas encore précisément l’impact sur la santé humaine. Par précaution, privilégiez les aliments sans additifs ou avec la liste la plus courte d’additifs. » L’agence a aussi recommandé de privilégier le « fait maison » en utilisant des produits frais ou en conserve ou surgelés non préparés.

Alors que des études épidémiologiques, parues dans de grandes revues scientifiques à comité de lecture comme le British Medical Journal (BMJ), font apparaître des corrélations entre la consommation de ces produits et la survenue de problèmes de santé – augmentation du risque de cancer dans une étude parue en février 2018, et de maladie cardiovasculaire selon une étude publiée le 30 mai dernier, des recherches commentées par l’Inserm ici et  –, l’Ania assure que cette classification d’ultra-transformation est « considérée comme manquant de robustesse, de rigueur, de précision et de cohérence, par de nombreux scientifiques ». Elle s’appuie de son côté sur la prise de position de membres de l’Académie d’agriculture, pour la plupart retraités ou consultants d’entreprise – comme l’a signalé Mediapart ici.

Dans son courrier au CNA, l’association des industriels précise qu’elle souhaite que la France s’accorde « au préalable » avec les autorités de santé européennes « concernant cette notion »« sur des bases fiables », avant d’engager… une étude.

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Le projet d’étudier l’impact pour la santé de la consommation d’aliments ultra-transformés, afin de parvenir « à une définition opérationnelle des différentes classes d’aliments transformés », a pourtant été inscrit dans le programme national de l’alimentation et de la nutrition présenté, le 25 mars, par le comité interministériel pour la santé. Pour le moment, on dispose de l’échelle brésilienne Nova, ou de sa déclinaison française affinée, Siga, proposées par certaines applications pour smartphone – elles aussi conspuées par l’industrie.

Les industriels soutiennent que, dans le cas où « des travaux de recherche » seraient « menés » en dépit de leurs réclamations, « les acteurs de l’agroalimentaire devront être associés aux travaux afin d’apporter leur expertise en termes d’explications des process de transformation des aliments ». 

L’Ania – déclarée comme groupe d’intérêt à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique – revendique donc de poser ses conditions et de s’immiscer dans une recherche publique. Il est vrai qu’elle déploie des stratégies de partenariats « public-privé » au sein même des structures qu’elle contrôle – notamment le Fonds français pour l’alimentation et la santé – afin d’attirer des fonds publics, des laboratoires publics, et des chercheurs employés par l’État, voire des hauts fonctionnaires en détachement.

Au terme du long processus des États généraux de l’alimentation, l’Ania a déjà été largement entendue par le gouvernement. Dans sa note consacrée au projet gouvernemental de l’alimentation, elle a ainsi salué « la mise en place d’une politique globale et ambitieuse ». Pour deux raisons : d’abord pour avoir fixé comme objectif de « cibler les populations sensibles » – comprendre les populations défavorisées, plus touchées par l’obésité – et non pas la population dans son ensemble ; ensuite parce que « l’approche incitative a été choisie », et préférée aux mesures réglementaires et contraignantes envisagées par le HCSP.

Le 16 novembre, Richard Girardot, le président de l’Ania (à droite), a signé un « contrat stratégique de la filière agroalimentaire » avec Agnès Pannier-Runacher, la secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, Didier Guillaume, le ministre de l’agriculture et de l’alimentation (au centre), et le président de Coop de France Dominique Chargé (à gauche). © Ministère de l'agriculture

Le 16 novembre, Richard Girardot, le président de l’Ania (à droite), a signé un « contrat stratégique de la filière agroalimentaire » avec Agnès Pannier-Runacher, la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances, Didier Guillaume, le ministre de l’agriculture et de l’alimentation (au centre), et le président de Coop de France Dominique Chargé (à gauche). © Ministère de l’agriculture

Le comité interministériel pour la santé a ainsi balayé la plupart des recommandations formulées par le HCSP pour le quatrième plan national nutrition santé (PNNS). Le Nutri-Score – l’affichage nutritionnel retenu par la France, qui classe les produits de A à E avec un code couleur allant du vert au rouge, selon leur qualité nutritionnelle – était le pivot de plusieurs des mesures proposées. Pour rappel, le HCSP préconisait notamment : 

  • La création d’une taxe proportionnelle au score nutritionnel des aliments, c’est-à-dire adossée au calcul du Nutri-Score, et permettant de taxer les produits mal notés – D et E – puis d’alléger leur taxation selon leurs efforts de reformulation.
  • L’interdiction des produits ayant un Nutri-Score D ou E dans les couloirs promotionnels des magasins, en bout de rayon et en caisse.
  • L’interdiction de l’utilisation de tous supports publicitaires à destination des moins de 16 ans pour des aliments classés D ou E selon Nutri-Score.
  • La réglementation du marketing et l’interdiction des communications commerciales aux aliments moins favorables au plan nutritionnel, ainsi que les ventes promotionnelles (vente avec prime, vente par lots, jeux promotionnels). Cette recommandation couvrant la publicité à la télévision, au cinéma, à la radio et sur Internet de 7 heures à 22 heures.
  • Une réglementation de l’offre alimentaire des distributeurs automatiques, limitant les boissons sucrées ou édulcorées (y compris jus de fruits) à 50 % de l’offre de boissons. Et en ce qui concerne les aliments solides, privilégier les produits de bonne qualité nutritionnelles – au moins 50 % des produits en A et B.

Au lieu de quoi le comité interministériel pour la santé, présidé par Édouard Philippe le 25 mars, a décidé de mettre en œuvre :

  • Une « étude » pour « évaluer l’impact de la fiscalité sur les ventes des boissons sucrées »et leur reformulation.
  • Une « corégulation » pour réduire l’exposition des enfants et des adolescents à la publicité pour des aliments et boissons non recommandées.
  • Une « incitation » des gestionnaires de distributeurs à proposer des produits plus sains.
  • L’élaboration des « recommandations » officielles concernant la restauration collective, et une « incitation » à y tester le Nutri-Score.
  • Une « incitation » à la mise en place volontaire de Nutri-Score sur les emballages et la vente en ligne.

Comme Mediapart et Que Choisir l’ont révélé, les autorités de santé avaient pourtant retoqué en décembre la troisième mouture de la charte de bonne conduite du secteur audiovisuel avec l’Ania parce qu’elle ne comportait « aucun engagement sur la réduction de la publicité alimentaire dans les programmes pour enfants ». Mais en mars, sous la houlette du premier ministre, le comité interministériel a une nouvelle fois validé le principe d’une charte d’engagement non contraignante.

« Les entreprises s’y perdent avec tous ces plans » (Ania)

Pour couronner le tout, l’Ania demande aux pouvoirs publics d’écarter le terme « nutrition » de l’intitulé de son programme, pour ne garder que « politique nationale de l’alimentation »« plus global et porteur de sens que le terme de nutrition »… Le gouvernement a en effet choisi de réunir les deux plans habituellement distincts : le plan national nutrition santé (PNNS) entre les mains du ministère de la santé – qui portait des propositions offensives – et le plan national de l’alimentation (PNA) géré par le ministère de l’agriculture – plus axé sur les problématiques de filière : traçabilité, dates limites de consommation, gaspillage… Chaque ministère gardant cependant la main sur sa partie. 

Derrière cette volonté affichée de simplification, les industriels voient l’occasion d’un « pilotage politique clair »« associant les acteurs économiques » et qui marginaliserait de facto les professionnels de la santé publique. « Les entreprises s’y perdent avec tous ces plans qui ne sont pas toujours compréhensibles », explique à Mediapart Catherine Chapalain, la directrice générale de l’Ania, qui soutient l’idée d’un « plan global ».

Édouard Philippe et Didier Guillaume au Salon de l'agriculture. © Ministère de l'agriculture

Édouard Philippe et Didier Guillaume au Salon de l’agriculture. © Ministère de l’agriculture

Le Réseau action climat – qui réunit 22 ONG – a précisé de son côté qu’il « ne souhaitait pas que le PNNS soit fusionné avec le PNA ». Le PNNS, même s’il est placé « sous l’ombrelle » du nouveau programme national, « doit rester sous la seule tutelle du ministère des solidarités et de la santé », a tenu à faire savoir le réseau, bien conscient des risques.

Influencer le PNNS, voire « participer activement à son élaboration », est depuis longtemps pour l’Ania un objectif stratégique, comme le montre l’une de ses notes internes, datée de 2015. En particulier afin « d’obtenir » des repères nutritionnels « en ligne » avec sa position et des messages sanitaires « non stigmatisants ».

Comme on le voit sur notre document (ci-dessous), l’association espérait aussi que le plan ne comporterait pas « d’objectif de reformulation par nutriments ». Or c’est précisément l’un des projets des autorités sanitaires que d’obtenir des industriels qu’ils reformulent leurs recettes. Une partie de ces derniers jouent le jeu depuis l’adoption du Nutri-Score. Le groupe Fleury Michon a d’ailleurs quitté son interprofession de la charcuterie (la FICT) parce que celle-ci rechignait à mettre en place ce dispositif.

Une note interne du groupe de travail alimentation de l'Ania. © DR

Une note interne du groupe de travail alimentation de l’Ania. © DR

Dans son courrier du 19 mars dernier, l’association des industriels signale au sujet « des objectifs de réduction en sucre/sel/gras et augmentation des fibres » que « la définition des seuils devra être réalisée en concertation avec les professionnels ». Or ces « professionnels » sont presque tous derrière l’Ania, dont le siège social boulevard Malesherbes, près de la place de la Madeleine à Paris, héberge l’Alliance 7 (les confiseurs et biscuitiers), l’Association des entreprises des glaces, la fédération de la charcuterie (FICT), l’Alliance pour la préservation des forêts – regroupant notamment Ferrero, Nestlé et Unilever pour la poursuite de la production d’huile de palme, de cacao et de café… –, la confédération des producteurs de levure, les Brasseurs de France… L’Ania déclare 25 fédérations adhérentes.

Elles sont plusieurs à se battre contre la réduction du sel : le Comité des salines de France, la Fédération des entreprises de boulangerie et pâtisserie françaises, ainsi que le Syndicat national des fabricants de produits intermédiaires pour boulangerie, pâtisserie et biscuiterie (Syfab). Aussi l’Ania déclare-t-elle : « Concernant le pain, nous sommes opposés aux 16 g/kg de farine. » « À ce niveau, le goût du pain français est dénaturé », se plaint l’association.

« L’ensemble des pays européens adoptent un mode de calcul en grammes de sel dans le produit fini, plaident encore les industriels. Dans un souci de cohérence et d’harmonisation avec l’ensemble des États membres, nous sommes opposés au calcul de la teneur en sel en g/kg de farine panifiable et privilégions donc une approche au gramme de sel de produit fini. » Une argumentation dilatoire, selon Serge Hercberg, professeur de nutrition à l’université Paris XIII et ancien président du PNNS, joint par Mediapart. « Il faut jouer sur la farine pour que cela joue sur le produit fini, commente-t-il. Par ailleurs, on peut descendre progressivement les taux de sel de 18 à 16 g/kg sans que les consommateurs ne s’en rendent compte, et même aller jusqu’à 14 g/kg. »

Les fédérations membres de l’Ania se sont aussi mobilisées comme jamais pour contester les nouveaux repères de consommation avancés par le HCSP, et validés en janvier dernier. Selon des courriers obtenus par Mediapart et Que Choisir, la fédération des charcutiers (FICT) a ainsi écrit au HCSP pour s’étonner qu’on indique qu’il faille « limiter la consommation de charcuterie » à 150 grammes par semaine (21 grammes par jour).

« La consommation moyenne en France se situe entre 31 et 35 g pour la charcuterie. Ce type de recommandation vise donc à réduire la consommation des trois quarts de la population. Or seuls les gros consommateurs, soit le quart consommant plus de 50 g, devraient être visés par de tels messages », s’est plainte la fédération. Ou encore : « L’avis du HCSP fait référence aux “amateurs” de viandes et de charcuterie. Cette mention ne figure pas pour les autres familles de produits, n’est-ce pas une forme de culpabilisation des consommateurs dans leur ensemble ? »

Par le biais du Centre national interprofessionnel de l’économie laitière (CNIEL), de Syndilait et de Syndifrais, le lobby du lait s’est aussi insurgé auprès du directeur général de la santé et de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) quant au fait que l’on recommandait de diminuer le repère de consommation de trois à deux produits laitiers par jour, et ceci en réclamant des explications scientifiques. Le lobby agroalimentaire n’est pas parvenu à faire fléchir les autorités de santé sur ces points stratégiques.

Alors que les précédents plans de prévention peinaient à faire passer leurs recommandations, l’adoption du Nutri-Score et sa diffusion via des applications telles qu’Open Food Facts puis Yuka offrent désormais un outil très simple de détection des produits défavorables. Le calcul du score nutritionnel prend en compte, pour 100 grammes de produit, la teneur en nutriments et aliments à favoriser – fibres, protéines, fruits et légumes – et en nutriments à limiter – énergie, acides gras saturés, sucres, sel. 

Le score obtenu permet donc aux consommateurs de choisir, entre des produits d’un même rayon, celui le moins défavorable. Nutri-Score a ainsi conduit les industriels à reformuler leurs recettes dans le sens du moins gras, moins sucré, moins salé. Il se révèle ainsi un véritable outil de prévention et de santé publique. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’Ania s’est opposée à ce dispositif, qu’elle se bat toujours pour son « caractère facultatif », et qu’elle combat frontalement les applications qui le mettent en œuvre.

Dans son courrier du 19 mars, l’association indique qu’il est « urgent » que les pouvoirs publics « se saisissent » de la question de « la loyauté des informations transmises via les applications de notation des produits »« Certaines applications utilisées par des millions de consommateurs fournissent une information tronquée et non valide scientifiquement, martèle encore l’Ania. Ce type d’information participe de la cacophonie sur l’alimentation. »

Si vous avez des informations à communiquer, vous pouvez contacter MEDIAPART à l’adresse enquete@mediapart.fr.

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Publié par Ludmïa Lewis le Vendredi 07 Juin 2019