En France «Ne pas enquêter serait irrespectueux pour les victimes»

Gloria Allred, célèbre avocate américaine féministe et partie civile dans le dossier Epstein, estime qu’il faut mener toutes les investigations sur ses complices présumés.

Par Émilie Garcia – le 22 août 2019 à 12h08

C’est une star du barreau aux Etats-Unis et elle a accepté de donner une interview au Parisien. Gloria Allred, 78 ans, une des plus grandes avocates féministes, représente plusieurs victimes de Jeffrey Epstein. Un dossier à l’image de sa carrière. Bill Cosby, Harvey Weinstein, Donald Trump : elle a l’habitude de s’attaquer aux plus puissants pour défendre les victimes de violences sexuelles, de discrimination ou d’abus de pouvoir.

Bourreau de travail, son engagement n’est jamais dans la demi-mesure. Tout comme ses apparitions dans les médias, qu’elle utilise comme arme de combat. En 2018, la pénaliste a même droit à un documentaire Netflix. « Obsédée des médias ! » opposent ses détracteurs. « Le pouvoir ne comprend que le pouvoir », rétorque-t-elle.

La célèbre avocate puise sa motivation dans une histoire bien plus personnelle. Violée au Mexique en 1966, Gloria Allred subit un avortement, illégal à l’époque, et y laisse presque sa vie. Depuis, elle se passionne pour la justice. Rien d’étonnant à ce qu’elle s’implique dans l’affaire Epstein. Jointe à New York mardi soir, par Le Parisien, elle nous livre sa vision de ce scandale et son volet français.

Pourquoi Epstein a été à nouveau arrêté le 6 juillet alors qu’il avait déjà été reconnu coupable en 2007 ?

GLORIA ALLRED. Il était accusé de trafic sexuel de jeunes filles mineures. Un fait nouveau. Il y a plusieurs années, Epstein avait effectivement été accusé par de nombreuses jeunes victimes. Mais il avait conclu un accord avec le procureur en plaidant coupable pour sollicitation de prostitution de mineure. Il a fait treize mois de prison et a été inscrit sur la liste des délinquants sexuels. Le problème est que les victimes auraient dû être informées en cas d’accord négocié. Ça n’a pas été le cas. Mais surtout, les termes de cet accord étaient ridicules!

Pour quelles raisons ?

Durant ses treize mois de prison, il sortait six jours sur sept toutes les semaines pour travailler et revenir seulement la nuit. C’est absurde et scandaleux! Les accusations envers lui étaient très graves. Alexander Acosta était à l’époque procureur fédéral, c’est lui qui a laissé passer cela. Il est ensuite devenu ministre du Travail de Trump. Après l’arrestation d’Epstein, ça a fait un tollé. Il a depuis démissionné. Cela a permis de médiatiser le cas d’Epstein. Il a été arrêté début juillet alors qu’il descendait de son avion de retour de Paris, parce qu’un nouveau dossier avait été déposé comprenant de nouvelles accusations de trafic sexuel. De plus en plus de noms de gens célèbres ont commencé à circuler parce qu’ils connaissaient Epstein, comme le président Trump, le prince Andrew, et le Français Jean-Luc Brunel.

Vous défendez plusieurs femmes qui affirment être victimes d’Epstein alors qu’elles étaient mineures. Maintenant qu’il est mort, quels sont les recours possibles ?

« Si des Françaises sont des victimes de Jeffrey Epstein, je serai ouverte à leur parler » confie l’avocate américaine Gloria Allred.  
Reuters/Shannon Stapleton

Je vais déposer une action en justice pour elles, nous avons toujours le droit à des poursuites civiles sur ses biens. Il a laissé un testament, mais de toute façon, sa fortune est gelée le temps que la justice fasse son travail. Ce n’est pas une procédure rapide, ça va prendre du temps. Il y a aussi toujours des investigations criminelles en cours. Bien sûr, des poursuites criminelles contre Epstein ne sont plus possibles. Mais ça peut être le cas contre toutes les personnes qui ont agi à ses côtés, recruté des mineures pour lui ou qui l’ont assisté. Il ne pouvait pas avoir toutes ces jeunes filles dans ses maisons, situées à des endroits différents, sans être aidé. Je ne peux pas dire, à l’heure actuelle, si nous allons porter plainte contre ces personnes. Mais s’il existe des preuves tangibles d’un rôle joué par des tiers, nous nous y intéresserons. Nous voulons savoir ce qui a été fait, comment, et avec qui.

Vous pensez à Jean-Luc Brunel, ce Français ex-patron d’agences de mannequin, soupçonné d’avoir servi de rabatteur ?

L’enquête est en cours. Je ne sais pas si les Etats-Unis font des investigations sur Brunel. Mais si une victime me contacte et qu’elle me dit que quelqu’un en France l’a recruté pour Epstein, je transmettrai l’information au procureur de New York. Si des Françaises sont des victimes de Jeffrey Epstein, je serai ouverte à leur parler. On pourra les aider à se joindre à la procédure civile afin d’obtenir des dédommagements pour leurs frais médicaux et de thérapie, pour leurs souffrances, ce qu’elles ont dû traverser en raison de ce traumatisme.

Deux ministres français, Marlène Schiappa et Adrien Taquet, ont réclamé l’ouverture d’une enquête. Êtes-vous étonnée que la justice française n’ait toujours rien annoncé ?

Je pense que ne pas enquêter en France serait irrespectueux pour les personnes qui affirment être victimes de tels actes. Je perds confiance en la justice française. Je travaille avec un confrère français ( NDLR : Me Jean-Marc Descoubes ) sur des accusations concernant le rappeur Chris Brown. Notre cliente l’accuse de viol. Elle a fait sa déposition à la police et a accepté une confrontation avec lui. J’étais venue en mai à Paris pour y assister, mais Monsieur Brown ne s’est pas montré! Et depuis, aucune date n’a été fixée! Mon confrère n’arrête pas de demander, demander, demander, et rien n’est fait! On ne sait rien. Je respectais le système judiciaire français. Voir ce genre de choses me désole. Cela bloque le système criminel.

Vous semblez mettre beaucoup de cœur à défendre vos clientes. C’est un investissement personnel ?

À 100 %. J’ai une passion pour la justice. C’est un engagement qui a régi toute ma vie. Encore aujourd’hui, j’ai aidé mes clientes qui accusent Epstein à obtenir une thérapie. Je suis aussi là pour les aider à comprendre quelles sont les étapes de la procédure civile et criminelle, et surtout ce qu’elles peuvent en espérer. Ça me prend tout mon temps, mais je pense qu’une bonne communication est essentielle. Surtout, je suis persuadée qu’elles ont le droit d’avoir des réponses à toutes les questions, et d’être soutenues. C’est en ayant ces informations qu’elles peuvent se valoriser.

Le 21 août 2019 – Affaire Epstein : dix témoignages sur le bureau d’Innocence en danger – L’association française indique avoir reçu dix témoignages de personnes qui se présentent comme victimes ou témoins de violences sexuelles liées au volet français de l’affaire Epstein.

La médiatisation d’un dossier de pédophilie amène parfois d’anciennes victimes à sortir du silence. C’est avec la conviction que cet effet de libération de la parole pouvait se produire après les révélations sur l’affaire Epstein et ses ramifications en France que l’association Innocence en danger (IED) avait lancé fin juillet un appel aux témoignages.

De fait, en moins d’un mois, dix personnes se sont signalées auprès de l’association, indique sa présidente Homayra Sellier. « Elles se présentent soit comme victimes, soit comme témoins » de faits de violences sexuelles liés à ce dossier, certaines mettant en cause Jean-Luc Brunel, l’ex-patron d’agences de mannequins et ami français du millionnaire américain.

La présidente d’IED précise cependant que ces témoignages « sont en cours de traitement par le comité juridique de l’association » avant leur éventuelle transmission au parquet de Paris et aux services d’enquête américain – avec qui IED, qui dispose d’un bureau aux Etats-Unis, collabore. Un processus qui pourrait prendre plusieurs semaines.

Suite de l’Article Le Parisien

«Plusieurs victimes de nationalité française»

Gloria Allred, l’avocate qui fait trembler les prédateurs sexuels


L’édition du soir ÉTATS-UNIS – Vendredi 15 Mars 2019

Gloria Allred, tempétueuse avocate américaine de 76 ans, a fait des femmes victimes de viols et d’agressions sexuelles son combat. Bill Cosby, Harvey Weinstein, Michael Jackson, Roman Polanski et autres hommes puissants ont eu affaire à elle. Elle défend aujourd’hui des victimes du chanteur R. Kelly. Un documentaire, diffusé sur Netflix, lui est consacré.

« Les femmes ont un utérus et un cerveau et les deux fonctionnent. » C’est à Gloria Allred qu’on doit cette sortie tonitruante, en 1977. À l’époque, elle est toute jeune avocate et elle réagit aux propos sexistes d’une animatrice de télévision. Et le public n’est pas habitué du tout à entendre ce genre de paroles. Elle s’en fera une spécialité.

Quasi inconnue en France, Gloria Allred est une avocate star aux États-Unis. À 76 ans, la Californienne au brushing et au tailleur toujours impeccables, a porté nombre de combats pour les femmes et pour les homosexuels. Son brillant parcours et ses – nombreux – coups d’éclat médiatiques sont racontés dans le documentaire Seeing Allred (L’avocate des femmes), à la sauce américaine, diffusé depuis février sur Netflix. 

Gloria Allred (à droite), aux côtés de Norma McCorvey, mère célibataire qu’elle a défendu et grâce à laquelle l’avortement sera légalisé en 1973 aux États-Unis. (Photo : Lorie Shaull /CC BY-SA 2.0 / Wikimédia Commons) 

Née à Philadelphie dans un milieu modeste, Gloria Allred n’était pas vraiment prédestinée à devenir une star du barreau. Son père est vendeur en porte-à-porte. Sa mère, femme au foyer, n’entrait pas dans le moule réservé aux femmes dans les années 1960. « Elle n’était pas comme les mères de mes amies qui faisaient la cuisine, la lessive et s’occupaient de leurs enfants. La mienne m’a appris à penser en dehors des normes, du conformisme », décrit-elle à Libération.

« Cela te servira de leçon »

Les économies de ses parents lui permettent de suivre un cursus de langue, à l’université de Pennsylvanie, où elle rencontre son premier mari dont elle divorce rapidement, après la naissance de leur fille (elle a alors 19 ans), Lisa Bloom (elle aussi est devenue avocate). Après une période où elle enseigne dans un lycée de garçons afro-américains d’un quartier pauvre de Los Angeles, pendant laquelle elle écrit une thèse – remarquée – sur la littérature noire américaine, elle reprend des études de droit.

En 1979, sa première affaire médiatique oriente la suite de sa carrière. À la demande de parents, elle poursuit une chaîne de pharmacies qui étiquetait ses allées « jouets pour garçons » et « jouets pour filles ». À cette période, ces questions comme celles des viols, du harcèlement sexuel, des droits civiques etc., ne sont pas vraiment à l’ordre du jour. L’avocate en fait ses chevaux de bataille.

Ses détracteurs reprochent à Gloria Allred ses mises en scène très médiatiques des conférences de presse qu’elle donne dans une pièce dédiée de son cabinet, avec ses clients souvent très émus. (Photo : Robyn Beck / AFP) 

Un événement de sa vie personnelle explique sans doute cette orientation. Quand elle a 25 ans, lors de vacances au Mexique, un médecin l’agresse et la viole dans un motel, sous la menace d’une arme. Elle doit avorter dans la clandestinité et manque de mourir d’une hémorragie. Une infirmière lui aurait lancé : « Cela te servira de leçon ! »

Dans le documentaire, Gloria Allred revient sur cet épisode traumatisant. «J’ai cru au début que c’était un manque de chance. Puis j’ai réalisé, qu’il y avait un systématisme dans la façon dont les femmes sont traitées.» Et elle a décidé de le combattre. « J’aide les gens à évoluer de victime à survivant, et enfin devenir un combattant du changement », dit-elle avec son sens de la dramaturgie dans le documentaire.

La « Vengeresse », comme la surnomme le New York Times, précise son engagement : «Je défends l’individu lambda qui a été victime d’une injustice due aux actes abusifs d’une grande entreprise, d’une personne riche et célèbre, d’un tueur, d’un violeur, d’un harceleur sexuel.»

Les Simpsons et South Park

À son actif : la famille de Nicole Brown (assassinée en 1994), dans le procès mettant en cause son ex-mari O.J. Simpson ; le premier enfant qui a porté des accusations de pédophilie contre Michael Jackson ; Charlotte Lewis, l’actrice britannique qui dit avoir été violée par Roman Polanski ; et, plus récemment, 33 des 55 femmes abusées par Bill Cosby ; Summer Zervos, une ancienne candidate de la télé-réalité The Apprentice, qui accuse Donald Trump de l’avoir agressée sexuellement ; ainsi que deux victimes présumées d’Harvey Weinstein…

D’ailleurs, à propos du mouvement #MeToo qui a suivi cette affaire, elle se réjouit, auprès de l’Agence France Presse, de vivre « une période passionnante, car nous voyons des femmes qui n’ont plus peur, qui élèvent la voix, cherchent à savoir quels sont leurs droits, à les revendiquer. Ce ne sera plus jamais pareil pour les femmes, au moins en Amérique ».

Gloria Allred est devenue une véritable icône dans le milieu homosexuel. Elle défile régulièrement lors des Gay Pride aux côtés de personnes qui se déguisent comme elle, comme ici, en 2010. (Photo : JR / Creative Commons Attribution 2.0 Generic) 

Au-delà de ses engagements féministes, la pugnace avocate, par ses méthodes et ses coups d’éclat, a fait bouger la loi. Depuis 1994, elle représentait Robin Tyler et Diane Olson, un couple de lesbiennes qui voulaient se marier. En 2008, la Cour suprême de Californie tranche enfin en leur faveur. Elle a aussi contribué aux débats qui ont donné lieu à la levée de la prescription pour les viols en Californie.

Alors forcément, Gloria Allred n’a pas que des amis. Parodiées dans les très célèbres séries animées comme Les Simpsons et South Park, les méthodes de l’avocate aux bijoux clinquants interpellent. 

Adepte de conférences de presse dans une salle dédiée de son cabinet où crépitent les flashs des photographes et où coulent les larmes de ses clientes devant des parterres de journalistes, Gloria Allred fait grincer des dents. Ses détracteurs lui reprochent d’être attirée par les feux des projecteurs, les gros chèques… « S’ils m’attaquent personnellement, c’est qu’ils n’ont pas d’autre argument valable. »

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