« Non au harcèlement, non au bâillonnement de la presse »
Des dizaines de journalistes guinéens ont manifesté le 26 août 2019 à Conakry pour dénoncer le « harcèlement » des médias privés par les autorités, selon eux.
L’administrateur du groupe de presse Le Lynx, Souleymane Diallo, et un journaliste de la radio du même groupe, Boubacar Diallo, ont été inculpés de diffamation et placés sous contrôle judiciaire respectivement le 19 et le 20 août à Conakry. Contrôle judiciaire finalement levé le 27 août. Ces poursuites font suite à une intervention sur la radio Lynx FM d’une auditrice accusant le ministre guinéen de la Défense, Mohamed Diané, d’avoir détourné de l’argent destiné à des casques bleus guinéens de la Mission de l’ONU au Mali (Minusma).
Souleymane Diallo, « doyen de la presse privée », « est poursuivi notamment pour diffusion de données de nature à troubler la sécurité publique par le biais d’un système informatique », rapporte RFI. « La plainte déposée s’appuie sur la loi sur la cybercriminalité et non pas sur la loi de la presse de 2010, ce que dénoncent les journalistes qui rappellent que cette loi dépénalise les délits de presse », précise le site de la radio française.
« Non au harcèlement, non au bâillonnement de la presse », ont scandé les manifestants réunis sous une pluie battante devant le siège de la Haute autorité de la communication (HAC), selon le correspondant de l’AFP. Ils ont ensuite déposé un mémorandum au siège de la HAC, en l’absence des membres de cette instance de régulation de la presse locale.
Les journalistes expriment leur « colère face à la dégradation des libertés de la presse », indique ce mémorandum. « Les jours des hommes des médias semblent comptés dans leur profession car leur liberté est mise à rude épreuve depuis quelques mois », selon le même texte.
Pour le secrétaire général du Syndicat des professionnels de la presse privée, Sidi Diallo, cité par RFI, « on traduit des journalistes à tout moment à la police judiciaire comme si on avait affaire avec des criminels. »
La Guinée, 107e au classement de RSF
Le ministère de l’Information et de la communication avait affirmé le 24 août dans un communiqué « son engagement à œuvrer pour la construction d’un espace médiatique respectueux des valeurs qui fondent notre société et notre jeune démocratie ». Il avait invité « les uns et les autres à faire preuve de respect de la procédure d’instruction en cours pour permettre de déterminer la culpabilité ou non des personnes poursuivies. »
La Guinée occupe la 107e position dans le classement 2019 de l’organisation de défense de la presse Reporters sans frontières (RSF), sur un total de 180 pays. « Le régime du président Alpha Condé n’est pas tendre envers la presse. Le président tient souvent des propos sévères envers les médias nationaux et internationaux, et les organisations de défense de la liberté de la presse. Les autorités tentent régulièrement de censurer les médias critiques du pouvoir sous des prétextes administratifs ou juridiques« , constate RSF. Dans un communiqué, l’organisation a dénoncé « le harcèlement judiciaire de la radio Lynx FM ».
Ancien opposant historique, Alpha Condé, élu en 2010 puis réélu en 2015, est le premier président démocratiquement élu de cette ex-colonie française d’Afrique de l’Ouest, jusqu’alors gouverné par des dictatures civile ou militaires. Alpha Condé, âgé de 81 ans, n’a jusqu’à présent pas annoncé de modification de la Constitution afin de pouvoir se représenter en 2020, au terme de son deuxième mandat. Mais plusieurs de ses déclarations ont été interprétées en ce sens.
« Il y a un climat de méfiance entre les journalistes et les autorités, un climat de peur, d’insécurité en fait. Les journalistes ne sentent pas en sécurité. » Voir Article RFI – 27-08-2019
Outre ces cris de détresse, les patrons de presse guinéens eux appellent à l’union sacrée pour défendre la corporation.
Déjà en 2017
Rachid Ndiaye : en Guinée, « les journalistes ont des droits, mais aussi des devoirs »
Le ministre de la Communication revient pour Jeune Afrique sur les récentes critiques dont le gouvernement guinéen a été la cible, après la suspension d’une radio privée en novembre, et l’interdiction par le chef de l’État de donner la parole à un leader syndical.
Début novembre, la radio privée Espace FM est suspendue pendant une semaine par la Haute Autorité de la communication (HAC) pour avoir consacré une émission aux forces armées nationales. À la fin du même mois, le chef de l’État menace de fermeture toute radio qui donnerait la parole à Aboubacar Soumah, leader syndical à l’origine de la grève qui a secoué le secteur de l’éducation. Depuis, les relations entre les médias et l’exécutif sont tendues.
Jeune Afrique : Dans une récente interview à JA, Lamine Guirassy, directeur d’Espace FM, estimait que les médias guinéens étaient davantage sous pression aujourd’hui que sous la junte de Dadis Camara…
Rachid Ndiaye : Ce jugement ne correspond en rien à la réalité. Nous avons dépénalisé les délits de presse et disposons d’un cadre légal qui permet aux journalistes d’exercer dans les meilleures conditions. Leur profession repose sur les principes de liberté et de responsabilité. Ils ont des droits, mais ils ont aussi des devoirs.
Comment expliquez-vous la décision prise à l’encontre d’Espace FM ?
La suspension d’une radio ne relève pas du gouvernement, mais d’une institution indépendante, la HAC. Principal organe de régulation des médias, celle-ci est chargée de leur rappeler leurs obligations. Tout ce qui relève de la sécurité de l’État, de la cohésion sociale ou de l’unité nationale mérite d’être pris en compte dans le traitement de l’information.
>>> A LIRE – Lamine Guirassy : « Soit nous continuons de nous défendre, soit c’est la fin des radios privées en Guinée »
Il y aurait donc des sujets dont on n’a pas le droit de parler en Guinée ?
La loi détermine l’exercice de la profession de journaliste et prévoit un certain nombre de règles applicables à toute la presse. Cette loi va-t‑elle trop ou pas assez loin ? C’est un autre débat.
À L’ÈRE DES FAKE NEWS, IL EST IMPORTANT DE RAPPELER CHACUN À L’EXERCICE DE SES LIBERTÉS ET DE SES RESPONSABILITÉS
Un chef d’État respectueux de la liberté de la presse peut-il menacer de fermeture des médias ?
Le président a simplement donné son avis, laissant les groupes de presse prendre leurs responsabilités. L’idée était de leur rappeler l’importance du respect de la loi et des principes de déontologie pour ne pas offrir d’espace médiatique à des acteurs dont les propos pouvaient porter atteinte à la cohésion sociale ou à la paix civile.
En décembre, Sabari et Djigui FM ont été fermées, officiellement pour non-paiement de leur redevance. N’est-ce pas un moyen de faire taire certaines radios trop critiques ?
Il y a des règles à respecter. C’est comme si une entreprise privée d’un autre secteur considérait qu’elle n’avait pas à payer ses impôts. Les radios privées reçoivent une subvention annuelle de l’État et sont assujetties au paiement de redevances pour l’utilisation de leurs fréquences. Finalement, elles se sont acquittées de leurs redevances et ont repris leurs activités.
En tant qu’ancien journaliste, que pensez-vous de la gestion de cette crise ?
Il ne s’agit pas d’une crise, mais de réalités à gérer sur le terrain. À l’ère des fake news, il est important de rappeler chacun à l’exercice de ses libertés et de ses responsabilités en matière de traitement de l’information.
Alpha Condé veut-il contrôler la presse ?
Pas du tout. Nous avons une loi et des institutions chargées de la faire respecter. La règle du jeu est claire. En Guinée, le débat est permanent. Il arrive au président d’exprimer des idées sur un certain nombre de choses, mais il ne prend jamais de décisions visant telle ou telle catégorie socioprofessionnelle.
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