Les perturbateurs endocriniens

Pour la première fois, Santé publique France a mesuré la présence de ces polluants dits « du quotidien » dans l’organisme d’un large échantillon représentatif de la population française.


Texte, Par  Stéphane Mansard – 03 septembre 2019

Bisphénols, phtalates, parabens, éthers de glycol, retardateurs de flamme bromés, composés perfluorés (PFC)… Pour la première fois, Santé publique France a mesuré la présence de ces polluants dits « du quotidien » dans l’organisme des enfants et des adultes, auprès d’un large échantillon (1 104 enfants et 2 503 adultes) représentatif de la population française.

Les résultats sont aussi édifiants qu’alarmants : ces substances omniprésentes dans les objets de la vie courante et qui sont souvent des perturbateurs endocriniens ou des cancérigènes, avérés ou suspectés, sont « présents dans l’organisme de tous les Français » et « des niveaux d’imprégnation plus élevés sont retrouvés chez les enfants ».

Cette étude inédite a été publiée mardi 3 septembre. Elle doit servir de référence à la nouvelle stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens (PE) présentée le même jour par la ministre de la santé, Agnès Buzyn, son homologue à la transition écologique, Elisabeth Borne et le secrétaire d’Etat chargé de la protection de l’enfance, Adrien Taquet. Les PE sont capables d’interférer avec le système hormonal et sont impliqués dans une variété de troubles et pathologies : obésité, baisse du quotient intellectuel, cancers du système reproducteur, etc.

Ajoutée le 13 déc. 2016

Etablir des valeurs de référence d’imprégnation

L’étude de Santé publique France devrait notamment permettre d’établir enfin des valeurs de références d’imprégnation dans la population qui existent parfois à l’étranger pour certains polluants mais font toujours défaut en France.

Cette première grande étude de biosurveillance sera par ailleurs suivie de deux autres volets, sur les métaux et les pesticides. Pour ce premier volet, près de 70 biomarqueurs ont été analysés. A quelques exceptions près, les niveaux d’imprégnation relevés sont comparables à ceux d’autres études menées à l’étranger, notamment aux Etats-Unis et au Canada.

Plusieurs hypothèses pourraient expliquer les niveaux plus élevés chez les enfants. Des contacts cutanés et de type « main-bouche » plus fréquents avec les objets du quotidien comme les jouets ou les peintures, vecteurs de bisphénols ou d’éthers de glycol (solvants) notamment. Des expositions plus importantes par exemple aux poussières domestiques pouvant contenir ces substances. Ou un poids relativement plus faible par rapport à leurs apports alimentaires, également contaminés par ces polluants. L’imprégnation par les bisphénols S, utilisés depuis plusieurs années comme alternatives au bisphénol A, augmente ainsi avec la consommation d’aliments préemballés dans du plastique.

Effets toxiques sur la reproduction

Mais, souligne l’étude, l’alimentation n’est pas la source d’exposition exclusive à ces substances. L’utilisation de produits cosmétiques et de soins, par exemple, augmente les niveaux d’imprégnation des parabens et des éthers de glycol. Pour certains des composés de ces solvants, Santé publique France relève que les concentrations retrouvées chez les Français dépassent les « valeurs seuils sanitaires » établies à l’étranger.

Or, rappelle l’organisme, les éthers de glycol sont suspectés d’entraîner des effets toxiques sur la reproduction et le développement chez l’homme : diminution de la fertilité masculine, augmentation du risque d’avortements spontanés ou encore malformations fœtales.

La fréquence de l’aération du logement a également une influence sur les niveaux d’imprégnation pour les retardateurs de flamme bromés et les PFC, avertit Santé publique France. Logiquement, plus l’air des logements est renouvelé, moins l’imprégnation est forte.

L’organisme préconise enfin de répéter ce type d’étude afin à la fois de suivre dans le temps les évolutions des expositions des Français et d’évaluer l’impact des politiques publiques visant à les réduire, à commencer par la nouvelle stratégie nationale sur les PE. Dévoilée mardi 3 septembre, elle ne comporte pas de mesures radicales.

« Un plan d’urgence pour protéger les populations »

L’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) devra établir une liste de perturbateurs endocriniens, en expertisant au moins six substances en 2020, puis neuf par an à partir de 2021. Jusqu’ici, l’Anses a déjà publié des avis sur cinq polluants, relevant notamment un « possible effet perturbateur endocrinien » pour le triclocarban, utilisé comme antibactérien et antifongiqueParmi les autres annonces, un site Internet devrait être lancé avant la fin de l’année pour permettre au grand public de s’informer sur la présence éventuelle de PE dans les produits de consommation courante.

C’est insuffisant pour l’association Générations futures, qui a participé aux différents groupes de travail mis en place par le gouvernement pour élaborer sa nouvelle feuille de route sur les PE. Elle réclame « un plan d’urgence pour protéger les populations de ces polluants dangereux ». Pour son directeur, François Veillerette, « les ambitions de la nouvelle stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens doivent être revues à la hausse pour faire de la disparition rapide des substances pointées par Santé publique France de notre environnement une priorité de santé publique absolue ».


Envoyé Spécial – Ajoutée le 1 juil. 2018


Investigations et Enquêtes – Ajoutée le 26 mai 2019


Cliquez pour voir en grand

Comment fonctionnent les perturbateurs endocriniens ? https://www.lemonde.fr/planete/video/2017/07/12/comment-fonctionnent-les-perturbateurs-endocriniens_5159606_3244.html

Perturbateurs endocriniens – Comment s’en prémunir ? https://www.quechoisir.org/conseils-perturbateurs-endocriniens-comment-s-en-premunir-n42384/

Les effets des perturbateurs endocriniens sur la santé http://benhur.teluq.uquebec.ca/SPIP/pe/spip.php?article15

Perturbateurs endocriniens: où les trouve-t-on ?

Au domicile

Au domicile, les perturbateurs endocriniens sont dans toutes les pièces:

● Les enduits de construction, peintures, dalles… sont imprégnés de composés perfluorés, de solvants ou encore de phtalates.

● Les tapis, moquettes, rideaux, coussins, mousses de canapé, de fauteuil ou de literie contiennent des composés polybromés pour les rendre moins inflammables et les textiles sont parfois revêtus de composants antitaches tels que les composés perfluorés. 

●  Les appareils électroniques: téléviseurs, ordinateurs… contiennent des retardateurs de flammes bromés libérés par la chaleur. Les éteindre complètement en dehors de toute utilisation. Quant aux fils et câbles électriques, ils contiennent des phtalates pour les assouplir. 

● L’utilisation de détergents contenant des solvants contamine à peu près toutes les pièces. Les cires à parquet contiennent des composés perfluorés. À noter que ces polluants se retrouvent dans l’air et peuvent être inhalés. Les mesures d’exposition de la population générale sont d’ailleurs parfois effectuées en dosant les substances recherchées dans les poussières de domicile. Bien aérer quotidiennement et passer l’aspirateur une fois par semaine sont des moyens efficaces de réduire la concentration de ces polluants chez soi.

Dans la cuisine…

● Les ustensiles renferment souvent des perturbateurs endocriniens. Vous trouvez des composés perfluorés dans les revêtements anti-adhésif des poêles et casseroles et dans les emballages en papier et/ou carton traités contre le gras (comme ceux contenant les hamburgers dans les fast-foods), sur les nappes et serviettes imperméabilisées et antitaches. Vous trouvez aussi des phtalates dans les récipients en plastique. Ces différentes substances migrent des contenants vers l’alimentation, en particulier en cas de chauffage. À ce titre, ne pas réchauffer au micro-ondes d’aliments dans des récipients plastiques et ne pas utiliser de contenants et d’ustensiles rayés ou usés. 

● L’eau du robinet est contaminée par des traces d’hormones issues de médicaments et libérées dans les urines (pilules contraceptives, hormonothérapies, etc.), elle peut également l’être par du plomb ou du bisphénol A contenu dans les matériaux des canalisations. 

●  L’alimentation en est imprégnée: les fruits, légumes et céréales sont les principaux pourvoyeurs de pesticides et les aliments gras (viande, poisson, lait) de composés polybromés. Quant aux poissons gras, ils sont particulièrement contaminés car ils sont en bout de chaîne alimentaire (mercure, dioxines, PCB). Il est recommandé de limiter leur consommation à une fois par semaine. Certains parabènes sont par ailleurs employés comme additifs alimentaires en tant que conservateurs (E214, E215, E218, E219…) en raison de leurs propriétés antibactériennes et antifongiques.

À noter que le bisphénol A (BPA) est interdit dans les contenants alimentaires depuis 2015, notamment dans les revêtements de canettes et boîtes de conserve ainsi que dans les emballages et bouteilles en plastique. On peut néanmoins le trouver dans les ustensiles de type blender, boîtes pour micro-ondes, cuves d’autocuiseur ou encore bacs de réfrigérateur.

Dans la salle de bains…

Médicaments, crèmes, savons, parfums… Les perturbateurs endocriniens sont partout.

● Certains médicaments interfèrent avec le système hormonal puisque c’est leur mode d’action – comme les pilules contraceptives. Pour d’autres, cet effet est plus inattendu. Le paracétamol, l’aspirine ou encore l’indométacine, un anti-inflammatoire, réduisent par exemple la production de testostérone chez l’adulte et il existe des inquiétudes quant à l’utilisation du paracétamol pendant la grossesse. En outre, on trouve également des phtalates ou encore des parabènes comme excipients.

●  Les phtalates sont aussi présents dans de nombreux produits d’hygiène et de cosmétique (déodorants, après-rasage, shampoings, aérosols pour cheveux, vernis à ongles) et les parabènes rentrent dans la composition d’environ 80 % des produits cosmétiques en tant que conservateurs. Quant au triclosan, un biocide, il est présent dans les savons et les dentifrices. 

À noter que les rideaux de douche doivent leur souplesse aux phtalates!

Dans la chambre d’enfant…

● L’utilisation de jouets en plastique est une source majeure d’exposition. Chez les plus petits, cela passe par la salive en raison de leur mise à la bouche. Plusieurs phtalates entraînent un danger pour la santé et ont déjà été interdits. 

● D’autres sources secondaires proviennent du contact direct avec certains revêtements, notamment les tapis ou les moquettes. 

Sur soi

Les vêtements neufs sont souvent imprégnés de polluants utilisés au cours de la fabrication. Bien les laver avant une première utilisation. Certains composites dentaires contiennent également cette substance. Les concentrations salivaires en BPA chez les patients ayant reçu ces amalgames sont alors plus élevées qu’en population générale. 

En voiture

Mousses de sièges, textiles, huiles lubrifiantes, optiques de phare et liquide de freinage sont autant de matières pourvoyeuses de perturbateurs endocriniens. Les taux retrouvés dans les sièges automobiles seraient même représentatifs des niveaux d’imprégnation mesurés chez leurs conducteurs, selon une étude.

Au travail

Le lieu de travail n’est pas épargné. Plusieurs études indiquent que le taux de BPA contenu dans les poussières collectées dans des bureaux peut être cinq fois plus élevé que celui des poussières domestiques.

Certains professionnels peuvent par ailleurs être davantage exposés en cas de manipulation de produits phytosanitaires, de fabrication de produits chimiques, d’utilisation de solvants. La protection des travailleurs exposés aux perturbateurs endocriniens est prévue par le Code du travail: ces personnes doivent être informées et disposer de moyens de protection adaptés.

À l’extérieur

Les pesticides organochlorés comme le chlordécone ou le DDT (insecticides) sont interdits depuis de nombreuses années en raison de leur toxicité mais leur persistance dans l’environnement fait que les sols et les eaux continuent d’être pollués. Ils s’accumulent dans les organismes au cours de la chaîne alimentaire, entraînent un risque pour la santé humaine. Les pesticides actuels, dont les organophosphorés, suivent le même parcours. Pour mémoire, la France est l’un des premiers utilisateurs mondiaux de pesticides, dont 90 % sont réservés à l’agriculture. Le reste est employé au traitement du bois, mais aussi à l’usage en santé humaine et vétérinaire comme les antiparasitaires, la lutte contre les moustiques, les dératisations. Leur utilisation est interdite depuis janvier 2017 pour l’entretien des espaces publics (voiries, jardins, parcs).

D’autres perturbateurs endocriniens comme les PCB ou les polybromés PBDE sont également retrouvés en quantités importantes dans les fonds marins. Ils se détachent de leur support d’origine, se retrouvent dans l’atmosphère et suivent le même parcours que les pesticides.

L’air est également pollué par les produits de combustion dus aux activités humaines, notamment les usines: dioxines, furanes, hydrocarbures aromatiques polycycliques.

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