Muselier et un fidèle d’Estrosi ébranlés par un sulfureux dossier immobilier

18 NOVEMBRE 2019 PAR HÉLÈNE CONSTANTY

Le président de la Région Sud Renaud Muselier a stoppé net le projet de cité scolaire internationale de Marseille. Officiellement pour cause de conflit d’intérêts. Mais aussi en raison du climat nauséabond qui règne au sein de l’Agence régionale d’équipement et d’aménagement, présidée par un proche de Christian Estrosi.

Le jury devait se réunir à Marseille, au siège de la Région Sud, le 15 octobre, pour désigner le consortium d’entreprises auquel allait être attribué le plus gros chantier régional de la décennie : la construction d’une cité scolaire internationale en plein cœur de Marseille.

Le site choisi pour ce projet à 63 millions d’euros (99,3 millions en incluant le foncier), porté par la Région Sud (Provence-Alpes-Côte d’Azur), et financé par la Région, le département et la ville, est idyllique. En bord de mer, face au port d’où partent les ferries pour la Corse et l’Afrique du Nord, au pied de la tour de l’armateur CMA-CGM, dans le quartier symbole du renouveau urbain de Marseille.

Le site du futur lycée international de Marseille.
La Marseillaise – Jean Nouvel / Michele Clavel

Cet établissement mettant l’accent sur l’apprentissage des langues devait abriter à la fois une école, un collège, un lycée, des classes préparatoires aux grandes écoles, un gymnase, un restaurant et un internat. Son ouverture était prévue, pour 2 100 élèves, à la rentrée scolaire de 2022.

Mais patatras, la veille de la réunion du jury, Renaud Muselier, le président de la Région, publie un communiqué aussi sec qu’alarmant, dans lequel il annonce l’arrêt immédiat de la procédure pour cause de conflit d’intérêts.

Les services de la Région, écrit-il, « ont constaté un conflit d’intérêts affectant l’un des membres du jury, qui entache d’irrégularité la procédure ». Mais Renaud Muselier, drapé de sa cape de chevalier blanc, ne dit pas tout. Selon les informations recueillies par Mediapart, les causes de l’arrêt du projet sont beaucoup plus embarrassantes qu’il ne le reconnaît. Et les conflits d’intérêts s’étendent bien au-delà du membre du jury désigné dans le communiqué.

Pour comprendre ce qui s’est joué en coulisses, il faut se pencher sur l’histoire et le fonctionnement de l’organisme porteur du projet, l’Agence régionale d’équipement et d’aménagement (AREA), le principal opérateur économique de la région. Cette agence est chargée des travaux dans les 180 lycées de la région, sachant que les lycées constituent la compétence première des régions françaises. Elle y consacre environ 140 millions d’euros par an.

Elle a été renommée AREA en 2001, afin de dissiper le parfum de corruption qui y régnait du temps où elle s’appelait SEMADER. Après son élection à la tête de la Région en 1998, le socialiste Michel Vauzelle avait en effet dénoncé à la justice de possibles marchés publics truqués, passés lors du premier grand plan de rénovation des lycées entrepris par son prédécesseur, Jean-Claude Gaudin, l’actuel maire de Marseille. Après de multiples péripéties, l’affaire s’était enlisée dans les méandres de la justice, pour aboutir à des non-lieux et des relaxes. Mais le soupçon était resté si présent dans les esprits que Michel Vauzelle avait préféré changer le nom de l’agence.

En décembre 2015, au terme d’une campagne électorale chaude, où se sont affrontés le tandem Christian Estrosi-Renaud Muselier (LR) et Marion Maréchal-Le Pen (FN), Christian Estrosi, élu président de la Région, a choisi de nommer à la présidence de l’AREA le Niçois Pierre-Paul Léonelli, un fidèle d’entre les fidèles.

Aujourd’hui âgé de 62 ans, ce sexagénaire à l’allure débonnaire accompagne Christian Estrosi depuis ses premiers pas en politique. Il était le directeur de cabinet de Jacques Médecin, le maire de Nice, lorsque Christian Estrosi y débute politiquement comme adjoint aux sports, dans les années 1980.

Pierre-Paul Léonelli continue de vouer un culte à l’ancien maire, auquel il rend régulièrement hommage sur Twitter, en dépit des scandales de corruption qui ont marqué sa fin de parcours politique.

C’est à cet homme aussi discret que fidèle que Christian Estrosi a également confié la présidence de l’association Les amis du maire de Nice, la structure de financement de son action politique. Une grande preuve de confiance.

Chaque année, à la fin de l’été, cette association organise un grand festin nissart dans les jardins du centre-ville de Nice. Cette année, 5 000 personnes y ont assisté, au premier rang desquelles figurait Renaud Muselier.

De gauche à droite, au premier rang, Pierre-Paul Léonelli, Christian Estrosi et Renaud Muselier, lors du festin des amis du maire de Nice, le 30 août 2019.
Capture d’écran de la page Facebook de Christian Estrosi

Bras armé économique de la région, l’AREA a logiquement été chargée de la maîtrise d’ouvrage déléguée de la future cité scolaire internationale. Le projet a été lancé au printemps 2018, un an après le départ de Christian Estrosi, qui a décidé de retourner à Nice afin de préparer au mieux sa réélection à la mairie en 2020, laissant la présidence de la Région à Renaud Muselier.

Celui-ci a choisi de recourir à un marché global de performance, portant sur la conception, la réalisation, l’entretien et la maintenance des installations pendant 15 ans. Plusieurs groupements, constitués autour de grands noms du bâtiment, y ont répondu en mars 2019. Quatre ont été retenus en avril, au terme d’une première analyse des offres : Vinci, Bouygues, Eiffage et Cardinal (un groupement formé d’entreprises locales). Lors de la deuxième étape, le 20 juin, Vinci a été éliminé. Il ne restait donc que trois candidats en lice, qui devaient être départagés lors de l’ultime réunion du jury, le 15 octobre.

Selon les informations obtenues par Mediapart, c’est Eiffage qui devait sortir du chapeau. Le groupement avait obtenu la meilleure note, au terme d’une analyse des offres fondée sur le prix (40 % de l’évaluation) et les éléments techniques (60 %). Le rapport d’analyse remis aux membres du jury attribuait 91 points à Eiffage, 89 points à Bouygues et 85 points à Cardinal.

Une décision surprenante, selon un représentant de l’un des groupements écartés. Il nous a parlé sous réserve d’anonymat, afin de ne pas compromettre ses chances de participer au nouvel appel d’offres que la Région va relancer. « Eiffage n’aurait pas dû arriver en tête. Le bureau de contrôle technique qui a examiné les trois offres a pointé 70 points de non-conformité dans l’offre d’Eiffage, 12 dans celle de Bouygues et aucun dans celle de Cardinal », dit-il. Ce document, que Mediapart a pu consulter, qualifie l’offre d’Eiffage de « non-conforme au regard des dispositions constructives, de la sécurité incendie et des dispositions handicapés ».

Il relève en outre un conflit d’intérêts concernant l’offre d’Eiffage, sur lequel s’est fondé le président de la Région pour stopper net la procédure : le bureau d’études Adret, membre du groupement Eiffage, emploie une chargée d’affaires qui est par ailleurs la présidente de l’association EnvirobatBDM.

Or cette association régionale, dont la vocation est d’accompagner les collectivités dans l’amélioration de la qualité environnementale de leurs constructions, dispose d’une représentante au sein du jury. Non seulement cette association a accès aux dossiers des candidats, qu’elle évalue selon des critères d’économie d’énergie, mais c’est elle qui délivre les certificats de qualité environnementale pris en compte dans l’évaluation des offres. Une porosité inacceptable.

« Tant d’argent public foutu à la benne, c’est un gâchis incroyable »

Renaud Muselier sait mieux que quiconque que si Eiffage avait été choisi dans des conditions aussi suspectes, les conséquences auraient pu être désastreuses pour lui, car il connaît bien le groupe, à titre personnel.

Dans sa vie professionnelle, il est propriétaire de cliniques à Marseille. Un héritage familial, dans lequel il est associé à François-Michel Giocanti, le beau-frère de Christine Lagarde, l’actuelle présidente de la Banque centrale européenne.

Renaud Muselier est actionnaire et directeur général de la Société de recherches, d’études et de participations (Sorep), la maison mère des cliniques Saint-Martin et Saint-Martin Sud, dont il est aussi le directeur médical. Il a perçu à ce titre en 2017 une rémunération de 256 000 euros, comme il l’a précisé dans sa déclaration d’intérêts. Et c’est à Eiffage qu’il a confié la construction de la clinique Saint-Martin Sud, en 2013…

Depuis plusieurs mois, le petit monde du bâtiment marseillais bruissait de rumeurs désagréables à ce sujet, dont Renaud Muselier avait évidemment connaissance. « Nous avons depuis le début de gros problèmes sur ce dossier, qui dégage une odeur nauséabonde. Lorsque les trois candidats ont été sélectionnés, les méchancetés et les rumeurs ont redoublé. J’ai demandé à mes services d’être particulièrement vigilants. Lorsque j’ai été alerté du conflit d’intérêts avec le membre du jury, et compte tenu de l’ambiance générale, j’ai compris qu’il y aurait un recours, quel que soit le résultat du marché. J’ai donc préféré tout arrêter », explique-t-il à Mediapart.

Dans son communiqué du 14 octobre, il dit avoir « porté les faits à la connaissance du procureur de la République, afin qu’il apporte la qualification pénale requise et qu’il engage les poursuites qu’il jugera opportunes ».

Les rumeurs qui ont mis la puce à l’oreille de Renaud Muselier prennent leur source au sein même de l’AREA, où règne une ambiance épouvantable depuis plusieurs mois. Si la justice se penche sur le dossier, elle pourrait peut-être y trouver matière à étendre ses investigations au-delà du projet de cité scolaire internationale.

Elle pourra notamment lire deux lettres anonymes, dont Mediapart a eu connaissance. La première, datée du 24 juin 2019, a été adressée à Catherine Husson-Trochain, la déontologue de la Région, première présidente honoraire de la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Son auteur, qui se présente comme salarié de l’AREA, y dénonce un conflit d’intérêts au sein de son agence.

Il cible le Niçois Philippe Barde, directeur général adjoint (DGA) et responsable de l’antenne Est de l’agence, basée à Valbonne, dans les Alpes-Maritimes. Salarié de l’agence depuis 1996, après avoir commencé sa carrière au sein de la SOREHA, une société d’économie mixte créée par Jacques Médecin pour réhabiliter le Vieux-Nice, Philippe Barde a été promu DGA en 2016 par Pierre-Paul Léonelli, son ami de 30 ans.

En février 2011, Philippe Barde a déclaré une activité d’entrepreneur individuel, spécialisée dans l’ingénierie et les études techniques, basée à Nice, radiée en mars 2017, comme l’atteste le registre du commerce. Cette activité privée, susceptible de le mettre en relation d’affaires avec des collectivités territoriales ou des entreprises du BTP, semble incompatible avec ses fonctions à l’AREA. « Une situation complètement scandaleuse et aberrante », selon l’auteur du courrier anonyme, qui déplore également le fait que « Pierre-Paul Léonelli est bien entendu au courant, ferme les yeux et protège celui-ci ».

« J’ai cessé cette activité en 2014. La structure a été automatiquement radiée par l’URSSAF trois ans après, pour absence d’activité. Je n’ai eu qu’un client, la société publique locale de Valbonne-Sophia-Antipolis, avec l’accord de ma hiérarchie de l’époque », se défend Philippe Barde.

Lorsqu’elle a pris connaissance du courrier, Catherine Husson-Trochain l’a transmis au président Muselier. « Je peux vous assurer que toutes les demandes qui sont adressées à la commission de déontologie ou à moi-même font l’objet d’un examen dans le champ de nos compétences qui ne concernent que les élus », précise par écrit la déontologue, sans entrer dans le détail pour des raisons de confidentialité. Or Philippe Barde n’est pas élu. À ce stade, ni la déontologue ni le président de la Région n’ont donc saisi la justice.

La deuxième lettre anonyme a été adressée à Jean-Philippe Ansaldi, le directeur de cabinet de Renaud Muselier, le 18 septembre. L’auteur évoque cette fois le projet de cité scolaire internationale. Il dénonce les pressions subies par les deux ingénieurs responsables du rapport d’analyse des offres pour, selon lui, favoriser le groupement conduit par Bouygues.

Dit-il vrai ? Qui pousse qui ? Et pourquoi ? À ce jour, nul ne le sait.

Si rien n’a filtré publiquement, les deux courriers ont fait beaucoup de vagues en interne, au sein de la Région et de l’AREA. 
Pierre-Paul Léonelli a été convoqué par Renaud Muselier et prié de s’expliquer sur les faits dénoncés. À son tour, le président de l’AREA a provoqué le 8 octobre une réunion de l’ensemble du personnel. Son discours d’une vingtaine de minutes a été enregistré et transmis par une source anonyme à Mediapart.

Dans un silence de mort, Pierre-Paul Léonelli, dont le souci numéro un semble être d’identifier le corbeau et de faire taire toute voix dissonante au sein de l’agence, réaffirme son plein soutien au directeur général adjoint et dénonce une manœuvre politique, comme le montre cet extrait.

oint par téléphone, il s’est montré beaucoup plus évasif, cherchant à minimiser le rôle de l’agence dans le concours de cité scolaire internationale. « C’est la direction des lycées de la région qui s’occupe du projet. L’AREA n’a été sollicitée que pour accompagner la maîtrise d’ouvrage. Elle ne prend aucune décision et n’intervient pas dans la commission d’appel d’offres. »

Il a réitéré son soutien à Philippe Barde, ajoutant que sa société d’ingénierie a été créée bien avant son arrivée à l’AREA, lorsque l’agence avait pour PDG le socialiste Marc Daunis, alors maire de Valbonne-Sophia-Antipolis, aujourd’hui sénateur des Alpes-Maritimes.

Enfin, concernant les lettres anonymes, dont il a eu connaissance en août, Pierre-Paul Léonelli a demandé au directeur général de l’AREA de porter plainte pour diffamation et violation du secret professionnel et de signaler les faits à la justice, conformément à l’article 40 du code de procédure pénale qui oblige toute autorité publique à porter à la connaissance du procureur de la République toute information susceptible de constituer un crime ou un délit.

En attendant d’éventuelles suites judiciaires de la part du procureur de la République de Marseille, les contribuables de la région vont devoir régler la facture. Une double facture.

D’une part, le règlement du concours prévoit des indemnités pour les entreprises qui y ont participé, en rémunération du travail accompli jusqu’à l’arrêt de la procédure. Les trois groupements en lice en octobre ont droit à 800 000 euros chacun et celui éliminé au stade antérieur à 400 000 euros, ce qui fait un total de 2,8 millions.

Mais ce n’est pas tout. Car la cité scolaire internationale a pris la place d’un précédent projet de centre de formation d’apprentis, dit université régionale des métiers ou Campus A, dont l’abandon brutal en 2017 a déjà coûté près de 9 millions d’euros. Initié par Michel Vauzelle, le chantier a été abandonné alors que les travaux étaient commencés depuis un an. Renaud Muselier en avait pourtant lui-même posé la première pierre, en chantant les louanges de l’apprentissage. « Campus A comme apprentissage, A comme amour », avait-il alors clamé, la truelle à la main, sur le chantier.

« Abandonner ainsi un chantier déjà commencé, sans même que cela soit justifié par un changement de majorité politique, c’est rarissime. Tant d’argent public foutu à la benne, c’est un gâchis incroyable », déplore Thierry Van de Wyngaert, l’architecte lauréat du projet.

La Région a dû indemniser l’architecte (3 millions d’euros), l’entreprise de terrassement (1 million) et celle chargée du gros œuvre, Bec Construction Provence (5 millions). La facture totale des deux projets avortés s’élève donc à 11,8 millions d’euros.

Renaud Muselier a prévu de relancer un appel à candidatures pour la cité scolaire internationale, par le biais de l’AREA, en vue d’une livraison en décembre 2023, avec deux ans de retard sur l’ouverture prévue. Vu le climat qui règne au sein de l’agence, la tâche s’annonce ardue.

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L’élu LR, qui succède à Christian Estrosi à la présidence de la région, avait invité le porte-parole du gouvernement Christophe Castaner dans l’hémicycle. VOIR ARTICLE
Le Point Publié le 29/05/2017

Municipales à Marseille: en arrière-plan, Gaudin et Muselier restent incontournables

Le 29 octobre, Jean-Claude Gaudin a eu un long tête-à-tête avec Christian Jacob. Si le maire de Marseille qui, après vingt-cinq ans de règne sur la cité phocéenne, ne rempilera pas, avait accepté le principe de la réunion organisée par le patron de LR ce mercredi avec les deux prétendants à sa succession et les parlementaires des Bouches-du-Rhône, il a demandé à celui-ci un entretien en amont.

Voir ARTICLE www.lopinion.fr/ – 13 novembre 2019 

Municipales : à Marseille, entre Martine Vassal et Bruno Gilles, la droite cherche son candidat

Entre Martine Vassal et Bruno Gilles, le choix n’est pas encore tranché
VALLAURI Nicolas/MAXPPP

Les principaux élus de la droite marseillaise étaient réunis mercredi 13 novembre à Paris au siège des Républicains. Objectif : préparer l’élection municipale 2020 à Marseille. A la sortie de la réunion, aucun candidat n’a émergé. Une date pour une commission d’investiture a été choisie.

VOIR ARTICLE – france3-regions.francetvinfo.fr/ Publié le 13/11/2019