Vanier, un prédateur caché sous un philanthrope

L’Arche a révélé ce week-end les abus sexuels commis par Jean Vanier, son fondateur, figure très respectée dans les milieux catholiques. Proche ami du pape Jean Paul II, il était aussi le fils spirituel d’un dominicain, condamné par le Vatican pour des déviances doctrinales dès les années 50.

L’Arche sidérée par les abus sexuels de Jean Vanier

C’est la chute d’un géant. Moins d’un an après la mort de Jean Vanier – grande figure du catholicisme – une enquête indépendante publiée samedi a révélé que le fondateur canadien de la communauté de L’Arche avait usé de son autorité spirituelle pour perpétrer des abus sexuels sur au moins six femmes adultes et non-handicapées, entre 1970 et 2005. Cette enquête a été réalisée à la demande de L’Arche internationale, qui compte 154 communautés où des salariés et des bénévoles partagent le quotidien de personnes handicapées mentales dans 38 pays.

Pour tous ceux que Jean Vanier a inspirés, pour toute la communauté de l’Arche, le choc est immense. «Nous sommes en état de sidérationbouleversés, confie Stephan Posner, responsable International de L’Arche. Nous éprouvons à la fois de la tristesse et de la colère. Nous sommes touchés en plein cœur mais nous poursuivrons le travail de L’Arche. J’ai confiance en notre capacité collective à traverser cette épreuve».

02 mai 2014 : Jean VANIER, fondateur de l’ARCHE. Jubilé de l’Arche à Paray-le-Monial (71), France. May 2, 2014 : Jean VANIER. Jubilee of L’ARCHE at Paray-le-Monial, France.

Des abus sexuels commis par Jean Vanier, fondateur de L’Arche

Le « mère Teresa » des déficients intellectuels avait un côté sombre. Une enquête révèle que le Canadien a abusé sexuellement de femmes vulnérables.

par Thomas Gerbet et Alain Crevier 22 février 2020 – ici.radio-canada.ca

Jean Vanier était un quasi « saint », couvert des plus grands honneurs. Mais les révélations obtenues par Radio-Canada jettent le discrédit sur son œuvre reconnue mondialement. Les responsables de L’Arche au Canada expriment leur « incrédulité » et leur « colère ».

« Relations sexuelles sous emprise », activités sexuelles « sous la contrainte »… Le rapport incriminant Jean Vanier révèle un personnage aux antipodes de son image publique d’ange gardien des personnes vulnérables.

L’enquête indépendante a été commandée par L’Arche internationale elle-même. L’organisation a reçu un premier témoignage inquiétant en 2016, puis un autre en mars 2019, deux mois avant la mort de son fondateur.

Grâce aux témoignages de victimes couvrant la période de 1975 à 2000, les enquêteurs concluent que Jean Vanier a entretenu des relations sexuelles manipulatrices avec au moins six femmes adultes et non handicapées. 

Une partie de ces activités sexuelles ont eu lieu dans le cadre d’un accompagnement spirituel. Plusieurs femmes ont déclaré qu’elles étaient vulnérables à l’époque et que Jean Vanier en était conscient.

Il disait : “Ce n’est pas nous, c’est Marie et Jésus. Tu es choisie, tu es spéciale, c’est un secret”.Une victime de Jean Vanier, citée dans le rapport d’enquête

Le rapport d’enquête décrit un comportement abusif : Jean Vanier a profité de la confiance que ces femmes avaient placée en lui. Il a usé de son ascendant pour profiter d’elles à travers divers comportements sexuels.

J’étais très ébranlée et très vulnérable, raconte une de ses victimes dans le rapport. Il m’a dit de venir tard (pour de la direction spirituelle). Nous avons prié, j’ai eu une invitation à le rencontrer. C’était très intime, il a tout fait sauf la pénétration.

Il a répliqué : “Mais Jésus et moi, ce ne sont pas deux, mais nous sommes un. […] C’est Jésus qui t’aime à travers moi.”Une victime de Jean Vanier, citée dans le rapport d’enquête

L’accompagnement spirituel s’est transformé en toucher sexuel, raconte une autre victime. […] Cela a duré trois ou quatre ans, chaque fois, j’étais figée. […] Il m’a dit que cela faisait partie de l’accompagnement.

Le rapport révèle par ailleurs que Jean Vanier a caché pendant des décennies d’autres abus sexuels commis par le cofondateur de L’Arche, le prêtre Thomas Philippe, son père spirituel : Jean Vanier connaissait les pratiques sexuelles et les théories déviantes initiées par le père Thomas Philippe et il les a lui-même exercées.

Photo d’archive de Jean Vanier, lors d’une manifestation de soutien aux personnes handicapées, en France.
PHOTO : GETTY IMAGES / PIERRE MICHAUD/GAMMA-RAPHO

Né en 1928 à Genève, en Suisse, Jean Vanier est le fils de l’ancien gouverneur général du Canada Georges Vanier, premier Québécois à occuper ce poste.

Il passe la majeure partie de sa vie en France où il a l’idée, en 1964, de fonder des foyers pour déficients intellectuels, à une époque où la plupart croupissaient dans des asiles.

Aujourd’hui, des maisons de L’Arche existent dans 38 pays et soutiennent des milliers de personnes handicapées. Au Canada, on compte une trentaine de communautés dans huit provinces.

En 1970, il fonde un autre organisme d’entraide pour les personnes ayant un handicap mental et leurs familles, baptisé Foi et Lumière, qui compte 1500 communautés dans 83 pays.

En 1997, il reçoit le prix Paul VI des mains du Pape Jean Paul II. En 2015, il reçoit le prestigieux prix Templeton qui a déjà été remis à Mère Teresa, le Dalai Lama et Desmond Tutu. Le Pape François a salué sa mémoire lors de son décès.

Jean Vanier est aussi Officier de l’Ordre du Canada, Grand officier de l’Ordre national du Québec et Commandeur de la Légion d’honneur en France.

Docteur en philosophie, Jean Vanier a enseigné à l’Université de Toronto. Auteur de plusieurs ouvrages spirituels, sa pensée est encore enseignée par certains professeurs en éthique et culture religieuse dans des écoles québécoises. 

Une dizaine d’écoles catholiques portent son nom en Ontario. 

Onde de choc à L’Arche Canada

C’est pire que tout ce qu’on aurait pu imaginer, réagit Louis Pilotte, responsable national de L’Arche Canada, la plus importante branche de l’organisation après la France.

Il se déclare sous le « choc », « abasourdi » par cette nouvelle concernant un homme qu’il connaissait personnellement depuis 40 ans. Louis Pilotte a le sentiment d’avoir été trompé durant des années.

Je l’ai tant aimé et admiré…, témoigne de son côté Elisabeth Richard, responsable régionale de l’Association des Arches du Québec. Je suis triste qu’on perde ce modèle-là.

Je sens que L’Arche a été trahie par son fondateur. […] On était face à un grand homme. Maintenant, on est face à l’humain dans ce qu’il a de moins beau.Elisabeth Richard, responsable régionale de l’Association des Arches du Québec.

L’Arche est entrée en contact avec ses grands donateurs pour les informer de la tourmente à venir et obtenir le maintien de leur appui en mettant de l’avant la transparence de sa démarche.

Bien des avocats nous ont conseillé d’en dire le minimum. Mais, ce n’est pas le choix qu’on a fait.Louis Pilotte, responsable national de L’Arche Canada 

Ça ne remet pas en cause les valeurs qu’il a instaurées, dit Elisabeth Richard. Je n’ai aucun doute sur l’avenir de L’Arche.

L’Arche Internationale s’engage à renforcer son organisation pour garantir la sécurité et le bien-être de ses membres. Elle procédera à une évaluation de son niveau de prévention des abus. 

De la tristesse 

Les révélations qui découlent de cette enquête ont semé la consternation chez des leaders religieux. Monseigneur Christian Lépine, archevêque de Montréal, a été secoué par la nouvelle et il se dit profondément peiné. 

Je suis encore en état de choc. C’est une grande tristesse. Je pense aux victimes, aux femmes qui ont été victimes. Je pense à l’Arche même, à tous ces bénévoles, au personnel rémunéré, qui se donnent, qui font partie de la famille de l’Arche.Monseigneur Christian Lépine 

Selon Mgr Lépine,  on peut être reconnaissant pour l’Arche, qui fait un effort de vérité aussi douloureux soit-il, qui est prêt à aller jusqu’au bout à travers cette enquête.

De son côté, le président de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec, Monseigneur Christian Rodembourg, a salué par voie de communiqué la transparence avec laquelle les responsables de l’Arche ont accueilli les allégations qui leur ont été faites et la diligence avec laquelle ils ont cherché à faire toute la lumière sur ces tristes événements. 

Il a affirmé que même si l’image de Jean Vanier était ternie à jamais, « les œuvres qu’il a mises sur pied gardent toute leur pertinence ». 

Les évêques catholiques du Québec appellent toutes les personnes qui ont été victimes d’un abus à le dénoncer aux autorités policières. 

Chacun de nos diocèses a mis en place des mesures pour accueillir dans la dignité les victimes qui se manifesteront à nous, affirme Mgr Christian Rodembourg. 

Un sentiment de trahison

Écrivain et ancien professeur de théologie à l’Université Saint-Paul, Jacques Gauthier a connu Jean Vanier et aujourd’hui il un sentiment de trahison l’habite. 

C’est un choc. C’était un ami, un modèle pour moi. J’ai vécu avec Jean Vanier en 1973 quand j’avais une vingtaine d’années. C’était un modèle, je n’aurais jamais pu penser ça, dit-il 

L’an dernier, M. Gauthier avait écrit des éloges sur son blogue à son sujet. Je le prenais pour un Saint, j’ai écrit qu’il sera peut-être un jour officiellement canonisé, mais là, la statue tombe, affirme-t-il. 

Jacques Gauthier ajoute : C’était un homme de compassion, mais il a eu cette faiblesse-là avec des abus de pouvoir qui ont dégénéré dans des abus sexuels de femmes adultes. C’est désarçonnant et c’est un petit peu comme si on avait été trahis.

Révélations sur Jean Vanier : les dominicains veulent « faire la vérité » sur le frère Thomas Philippe

Après les révélations sur Jean Vanier, la province dominicaine de France a annoncé, samedi 22 février, la constitution de deux groupes de recherche pour établir la vérité sur le père spirituel du fondateur de l’Arche, le frère dominicain Thomas Philippe.

Les dominicains de France veulent « faire la vérité sur l’affaire Thomas Philippe ». L’enquête menée depuis juin 2019 par les responsables de l’Arche montre que Jean Vanier était au courant, contrairement à ce qu’il a affirmé jusqu’à sa mort, des abus sexuels commis par son père spirituel, le père Thomas Philippe (1905-1993), dont il a partagé certaines théories et pratiques.